Grand ménage du printemps

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Publié 08/04/2008 par Dominique Denis

J’ai une nouvelle à vous annoncer. Je renonce au métier de critique. J’en ai marre d’avoir des opinions. Ou, plus exactement, j’en ai marre d’être obligé d’avoir des opinions et de les formuler à intervalles réguliers. Même quand on est loin des épicentres (ce qui est le cas des francophones de Toronto), ça devient pesant, ce boulot d’opinioniste hebdomadaire. Le printemps est là, alors j’en profite pour changer de peau.

Rien d’intempestif dans cette décision. J’ai écrit mon premier papier pour L’Express quand mon fils Antoine avait deux ans. Il vient d’en avoir 17, et il écoute certaines des mêmes musiques que son père (Brel, Vian, Dylan, Tom Waits, Miles Davis). Précisément les musiques dont je dois trop souvent me priver pour me pencher sur telle ou telle nouveauté au sujet de laquelle je me croyais tenu de formuler un avis que certains disent compétent.

J’en suis de moins en moins sûr, de ladite compétence. Et à mon avis, mon avis ne vaut pas plus que le vôtre ou celui du voisin. Ce dont je suis sûr, c’est que le plaisir du partage doit être au cœur de ce que j’écris; sinon, pourquoi faire?

Je ne vais pas renoncer à cet espace, simplement le réaménager. Parler de mes rapports à la musique de façon à reconnaître que, dans les meilleurs des cas, elle constitue la bande-son du quotidien, faisant le raccord entre le cœur et la tête, nous donnant un petit surplus d’âme lorsqu’on en a le plus besoin. Et surtout, renouvelant par association notre réserve de futurs souvenirs.

Un exemple? L’autre jour, c’était le 1er avril. En marchant sur la rue Queen, vers 11h30, j’ai été témoin du moment précis où nous avons basculé irréversiblement vers le printemps. Alors que je me fondais à la foule des passants qui partageaient avec moi cet instant miraculeux, j’écoutais les mots rythmés – sinon toujours rimés – de Kwal, dont je venais de recevoir Là où j’habite (Naïve/Distribution Fusion III). Désormais, pour moi, Kwal, c’est le soleil.

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Je ne ferai pas semblant d’être un spécialiste de la poésie slam, cette espèce d’excroissance du hip hop dont on parle de plus en plus depuis le triomphe d’Abd Al Malik, mais j’ai aussi reçu les mots de Kwal (Vincent Loiseau, pour l’état civil) comme un cadeau, une grosse bouffée d’oxygène et d’intelligence. Voilà un gars qui a les yeux pour voir le monde – et les mots pour nous en livrer un puissant concentré.

Par bonheur, tout ce que je reproche habituellement au rap (ce recours pathologique aux jérémiades de la sous-culture incomprise, avec une dose de machisme on the side) est absent chez lui.

Rien de plus loin des clichés du genre que Chez Lucien, portrait de ce petit café de quartier avec ses habitués plus ou moins abimés, où c’est précisément la routine, avec tout ce qu’elle a de sécurisant, qui donne un sens à la vie. Un sens, mais surtout un ancrage, une espèce de bouée.

Et comme tout bon conteur, Kwal nous y transporte, dans ce bar, nous le fait voir, sentir et comprendre. Là où j’habite est son quatrième album, et il m’a donné envie de remonter le filon de ses mots pour y découvrir d’autres pépites. Ce qui, en matière de chanson, est le seul compliment qui vaille, non?

J’ÉCOUTE DE LA MUSIQUE SOÛLE

Et puis le lendemain de ma découverte de Kwal, je farfouillais parmi les piles de disques qu’il me reste à organiser – et à écouter – et je suis tombé sur Âme soûle, de Geneviève Letarte (Ambiances magnétiques).

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Nouvelle bouffée d’oxygène. Letarte, je l’avais découverte (un peu sur le tard, j’en conviens) lors de sa participation à l’aventure du Band des Poètes qui, comme son nom l’indique, regroupait une poignée de poètes qui avaient l’envie de se mettre en musique, sans pour autant faire dans la chanson.

L’hybride était inégal mais avait quelque chose d’interpelant. On dit souvent des jolies paroles de chansons qu’il s’agit de poésie, mais on se trompe le plus souvent.

La poésie sous-entend un degré d’abstraction qui la distingue de la chanson, et c’est ce qu’on retrouve en abondance dans l’écriture d’Âme soûle.

D’entrée de jeu, on se sent interpellé par ces mots d’autant plus intrigants qu’ils n’essaient pas de faire du style («Certains jours/Il n’y a rien/Le temps se tait/Comme un arbrisseau/Dans la brume/Le ciel par la fenêtre/Convole dans sa nudité»).

Composée et interprétée par les habitués de l’étiquette Ambiances magnétiques (dont Claude Fradette à la guitare et Pierre Tanguay à la batterie), la musique oscille entre le jazz, le country et ce qu’il convient d’appeler la chanson à textes, la voix est toujours de l’avant, sans toutefois essayer de nous en mettre plein les oreilles, préférant nous remplir la tête.

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J’enseigne présentement un cours sur la chanson et j’ai tout de suite senti que Letarte et ses textes ne tarderaient pas à faire partie du curriculum. Ce sera peut-être ce fort beau texte sur l’écriture et les besoins auxquels elle répond («Écris-moi/Sur un napperon sali/Un carton de cigarettes/Sur l’écran d’un ordi/Peu m’importe/J’ai besoin de ta voix/De ta vie loin de moi/À travers tes mots»).

Après quelques écoutes, j’ai compris ce qui m’attirait chez Genevive Letarte: il y a quelque chose dans le climat de cet album qui me rappelle un autre des mes albums fétiches, lui aussi marqué du sceau des poètes: Je pleure, tu pleures, de Chloé Sainte-Marie.

Ce que j’appelle de la musique nourrissante. Écoutez, vous comprendrez.

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