Dans la Sainte Trinité de la chanson française – Brel, Brassens et Ferré – le principal candidat aux relectures jazzantes était sans contredit Brassens, comme en témoignait son rôle de guitariste lors des légendaires séances de 1979 qui rassemblaient le gratin du swing autour du batteur Moustache.
Malgré quelques intrigantes reprises (je pense à Ne me quitte pas, par Nina Simone et Voir un ami pleurer, du saxophoniste Yannick Rieu), Brel ne s’est jamais jazzifié sans peine. Quant à Ferré, la présence d’un saxo évanescent sur certains de ses plus beaux enregistrements des années 50 et 60 laissait supposer qu’il y avait là un potentiel que les jazzmen auraient tôt ou tard envie d’explorer.
Il aura fallu une coterie d’éminents solistes italiens (son pays d’adoption dès le début des années 70) pour consommer la relation entre Ferré et le jazz. Mais ceux qui s’attendaient à retrouver leur Ferré agrémenté d’une simple palette bleu nuit risquent d’être surpris, et peut-être même déconcertés, par F à Léo (Justin Time).
J’imagine qu’il eût été trop facile pour le trompettiste Paolo Fresu, le pianiste Roberto Cipelli et leurs acolytes de simplement nous «saouler le dedans de pathétique», pour emprunter les mots de Léveillée, et le caractère obstinément polymorphe de l’album se défend sur le plan conceptuel, en ce qu’il reflète la complexité de l’homme auquel il rend hommage.
Mais avec les interludes de l’Art poétique de Verlaine (qui servent à «expliquer» les positions de Ferré, mais n’agrémentent en rien notre écoute) et les interprétations parfois étranges de Gianmaria Testa (notamment sur Les poètes et Les forains), dont le phrasé pourrait laisser croire qu’il ne comprend pas les mots – ou la charge émotionnelle – de ces chansons, F à Léo nous frustre aussi souvent qu’il nous séduit.