Sous traitement efficace, il y a zéro transmission du VIH

Alors qu’attendons-nous?

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Publié 30/11/2019 par Laurie Edmiston

Depuis trois décennies que je travaille dans le domaine de la prévention et du traitement du VIH, je n’ai jamais vu une percée comme celle-là.

Il ne s’agit pas d’un vaccin. Ni d’un remède. Mais d’un progrès qui pourrait signifier la fin de l’épidémie de VIH telle que nous la connaissons.

Les faits scientifiques sont simples. Lorsqu’une personne vivant avec le VIH prend ses médicaments comme prescrits de façon continue, le virus peut être supprimé à des niveaux si faibles qu’on ne peut plus le détecter dans des tests sanguins.

Et lorsque le virus est indétectable, les médecins et les scientifiques sont désormais d’accord: il est intransmissible. Je le répète: une personne qui suit un traitement efficace contre le VIH ne peut pas transmettre le virus à un partenaire sexuel.

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Multithérapies antirétrovirales

Depuis l’annonce de la révolution médicale des multithérapies antirétrovirales lors du Congrès international sur le sida en 1996, nous avons vu ces médicaments transformer la réalité de la vie avec le VIH.

L’infection au VIH, que l’on considérait jadis comme un verdict de mort annoncée, est aujourd’hui considérée par de nombreux professionnels des soins de santé comme étant une maladie chronique gérable.

Les traitements modernes donnent aux personnes séropositives un nouveau souffle de vie. Tant et si bien qu’aujourd’hui, un jeune Canadien venant de recevoir un diagnostic de VIH peut s’attendre à vivre aussi longtemps qu’un jeune qui n’a pas le VIH – à condition d’être diagnostiqué et traité tôt.

Pas de risque pour les partenaires

Et maintenant, nous savons que ces médicaments offrent un bienfait additionnel: les partenaires des personnes qui suivent un traitement efficace n’ont pas de risque de contracter l’infection.

Ceci offre des possibilités jadis considérées comme impensables aux couples formés d’un partenaire qui a le VIH et d’un qui ne l’a pas: concevoir et avoir un bébé, et partager l’intimité physique sans crainte de transmission d’un virus.

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Tout cela est maintenant possible si une personne vivant avec le VIH a accès à un traitement efficace.

Le symbole «indétectable = intransmissible» à propos du VIH.

Éradiquée d’ici une quinzaine d’années?

Ces bienfaits, nous en profitons tous, qu’on soit séropositif ou séronégatif. Des projections mathématiques ont démontré que si un nombre suffisant de personnes vivant avec le VIH sont diagnostiquées et amorcent un traitement d’ici l’an prochain, les bienfaits préventifs des traitements pourraient mettre fin à l’épidémie de VIH d’ici un peu plus d’une décennie.

Pour cela, il faut atteindre trois cibles d’ici 2020: que 90% des personnes vivant avec le VIH soient diagnostiquées, que 90% des personnes diagnostiquées amorcent un traitement et que 90% des personnes suivant un traitement arrivent à la suppression du virus (les cibles 90-90-90).

Il s’agit d’une véritable révolution et d’autres pays ont déjà saisi l’occasion qui se présente. Au Royaume-Uni, où l’épidémie de VIH et le système de soins de santé sont similaires aux nôtres, une combinaison d’efforts de dépistage et de traitement a conduit le pays au-delà du seuil des 90-90-90 l’an dernier.

Même des pays à revenu faible ou moyen, comme le Botswana, le Cambodge, l’Eswatini et la Namibie, ont atteint ces cibles mondiales avec une longue avance sur le Canada.

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Deux blocages

Pourquoi ne donnons-nous pas notre pleine mesure? Le traitement du VIH est efficace chez pratiquement tous ceux qui peuvent l’obtenir et le prennent comme prescrit.

Au Canada, les deux principaux facteurs de blocage se situent à l’étape du diagnostic: d’abord, amener les gens à se faire dépister, puis arrimer les personnes nouvellement diagnostiquées à des services de soins et des traitements.

Ce sont les deux goulots d’étranglement les plus urgents à résoudre, car tous les nouveaux cas d’infection au VIH ont pour origine une personne qui n’est pas au courant de son infection ou qui ne suit pas un traitement efficace.

En dépit de l’accessibilité et de l’universalité louangées du système canadien de soins de santé, les individus font face à plusieurs obstacles pour se faire dépister et commencer un traitement. Ces obstacles frappent plus fort dans les communautés les plus touchées par le VIH, dans notre pays.

Le ruban rouge canadien de la Journée mondiale du SIDA.

Réglementation et inertie

Bien que des fournisseurs de services canadiens ont développé des stratégies novatrices pour inciter les gens à se faire dépister, des obstacles de réglementation et une force d’inertie ralentissent l’adoption de technologies et d’approches plus avant-gardistes et efficaces.

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Soixante-dix-sept pays dans le monde ont adopté des politiques qui permettent l’autodépistage du VIH, ce qui signifie qu’une personne peut effectuer elle-même son dépistage du VIH, comme on utilise un test de grossesse à domicile. Mais Santé Canada n’a pas encore approuvé l’autodépistage du VIH.

L’analyse de gouttes de sang séché, une autre méthode de dépistage qui semble prometteuse pour les communautés rurales et éloignées ainsi que les communautés autochtones, n’est offerte pour le dépistage du VIH que dans des situations limitées, comme des projets de recherche.

Dépistage hors clinique

Notons une nouvelle réjouissante cette année: Santé Canada autorisera à présent que le dépistage rapide du VIH par piqûre au bout d’un doigt soit effectué par des intervenants non cliniques, comme des conseillers et des pairs – mais ceci arrive plusieurs années après que d’autres pays ont rendu des tests semblables accessibles au comptoir des pharmacies à toute personne qui veut s’en procurer.

Néanmoins, l’obstacle principal (et de loin) à l’atteinte des cibles mondiales pour éliminer l’épidémie de VIH au Canada concerne la tâche d’arrimer les personnes diagnostiquées à des services de traitement.

Selon les plus récentes estimations de l’Agence de la santé publique du Canada, 19% des personnes qui ont reçu un diagnostic d’infection au VIH n’ont pas accès à un traitement. Le Canada figure au dernier rang des pays du G7 qui ont publié des statistiques à ce sujet.

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Régime national d’assurance-médicaments

Où résident nos différences? Premièrement, nous sommes, dans le monde, le seul pays à revenu élevé qui est doté d’un système public pour les soins de santé, mais qui n’a pas de régime national d’assurance-médicaments.

Dans certaines provinces et certains territoires, les Canadiens qui n’ont pas d’assurance privée peuvent avoir accès aux médicaments anti-VIH par le biais d’une mosaïque de régimes publics et de programmes d’aide aux patients.

Mais s’y retrouver dans tous ces programmes peut constituer un obstacle en soi. Et plusieurs régimes publics de médicaments imposent des primes, des franchises et des dispositions de copaiement.

Des études de cas réalisées au Canada ont révélé que des copaiements plus élevés conduisent à une augmentation des ordonnances non remplies, du nombre d’hospitalisations ainsi que des coûts pour le système de soins.

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Traitement du VIH sans frais

Une expansion de notre système public de soins de santé par l’ajout d’une assurance-médicaments à l’échelle du pays simplifierait la couverture du coût des médicaments, rendrait les médicaments d’ordonnance aussi accessibles que les soins de santé publics et offrirait le pouvoir d’achat et l’efficience nécessaires pour minimaliser les frais pour les patients.

Quatre provinces et deux territoires du Canada offrent déjà le traitement du VIH sans frais; et des recherches réalisées en Colombie-Britannique ont démontré que cela permet un rapport coût-efficacité avantageux, grâce aux économies en soins de santé résultant de l’amélioration de la qualité de vie ainsi que de la prévention d’infections futures.

Mais un accès élargi aux traitements du VIH n’aurait pas pour seul bienfait une longue vie saine pour les Canadiens vivant avec le VIH: des pays comme le nôtre – et des pays fort différents – ont mis en place des programmes de traitement gratuit du VIH à l’échelon national et observent déjà un recul considérable du nombre de nouvelles infections au VIH.

Le Canada n’a plus qu’un an pour rattraper son retard sur le reste du monde dans la réponse au VIH, alors qu’attendons-nous?

 

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