Du haut de nos F-18

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Publié 14/10/2014 par François Bergeron

Le Canada est en guerre contre l’État islamique, la milice sanguinaire qui cherche à établir un «califat» en Syrie et en Irak (l’ancien «Levant») et qui a fait des progrès foudroyants cet été, contrôlant déjà plusieurs zones du nord-est de la Syrie, du nord-ouest de l’Irak, et s’approchant dangereusement de Bagdad.

Au sein d’une coalition organisée par les États-Unis, appelés à l’aide par le gouvernement irakien (mais motivés surtout par la décapitation médiatisée de journalistes et de travailleurs humanitaires américains, britanniques et français), le Canada fournira 6 chasseurs-bombardiers F-18, 2 avions de reconnaissance Aurora et 1 avion de ravitaillement en vol, dont s’occuperont 600 hommes et femmes basés au Koweït.

La Parlement a entériné la semaine dernière ce déploiement de six mois, qui reste modeste, décidé par le gouvernement de Stephen Harper. Six mois, ça nous mène au printemps, bien avant les élections fédérales de l’automne 2015, pour mettre fin à la mission si ça tourne mal ou la renouveler si on se couvre de gloire.

Tous les députés conservateurs ont voté pour, presque tous les libéraux et néo-démocrates ont voté contre, 2 bloquistes et 2 ex-bloquistes ont voté contre, la chef des Verts a voté contre, mais son autre député a voté pour. Justin Trudeau aurait préféré que le Canada s’en tienne à la diplomatie et l’aide humanitaire. On sent que Thomas Mulcair aurait voulu nuancer son opposition à l’intervention militaire, mais le NPD ne peut pas se permettre d’être perçu comme étant moins pacifiste que le Parti libéral…

Le premier ministre fait valoir que l’ÉI représente une menace mondiale qui a notamment ciblé le Canada. C’est encore très exagéré, mais ce ne sont pas les bonnes raisons qui manquent pour tenter d’arrêter les massacres dans cette région du monde.

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Malheureusement, jusqu’à maintenant, les machinations et les incursions américaines dans le monde arabe ont toujours empiré la situation. Est-ce que cela confère à Washington une responsabilité d’intervenir cette fois encore, ou devrait-on tous partir de là définitivement et laisser les sauvages s’entretuer?

En plus du Canada, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, la Jordanie, les émirats du Golfe persique (et peut-être Israël, dans l’ombre, pour ne pas énerver la rue arabe), le président Barack Obama a tout de même réussi à rallier à sa cause l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite, qui arment et financent des rivaux dans tout le Moyen-Orient et au-delà. L’Iran est proche du gouvernement chiite de l’Irak, qui a poussé les sunnites dans les bras de l’ÉI… dont plusieurs combattants contre le régime syrien (allié de l’Iran) étaient jusque-là encouragés par l’Arabie saoudite.

Ce simulacre de détente Téhéran-Riyad ne durera pas longtemps, mais il ferait oeuvre utile en amenant les Américains à réexaminer leurs liens souvent irrationnels avec ces deux pays.

Qui va accepter que l’Irak et la Syrie deviennent des protectorats iraniens? Les puissances régionales que sont l’Iran, la Turquie, voire la Russie, pourraient difficilement résister à la tentation de s’engouffrer dans le vide laissé en Irak par l’inaction des Américains et des Occidentaux. (À moins qu’Israël ne s’entende secrètement avec ses anciens ennemis pour leur laisser le champ libre en échange de garanties de sécurité…)

Depuis cette «apparition» de l’État islamique en Syrie et en Irak (malgré un appareil de «renseignement» américain qui coûte 60 milliards $ par année), notre allié le plus décevant est la Turquie, qui est paradoxalement le seul pays du Moyen-Orient et le seul pays musulman membre de l’OTAN.

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À elle seule, la Turquie pourrait entrer en Syrie (dont le gouvernement actuel est un ennemi de longue date) et détruire l’État islamique. Damas est encore en mesure de se défendre contre ses insurgés, mais pas contre les Turcs. Bachar el-Assad n’interviendra pas, de toute façon, contre les ennemis de ses ennemis.

Mais voilà, les forces de l’État islamique attaquent présentement surtout les Kurdes de Syrie et d’Irak. Or, des Kurdes, qui rêvent d’un Kurdistan indépendant, il y en a encore plus en Turquie, dans toute la moitié est du pays. (Il y en a aussi en Iran…)

Selon Ankara (ce n’est pas dit ouvertement, mais il n’y a pas d’autres explications), aider les Kurdes à repousser les assauts de l’ÉI stimulerait leur nationalisme. Pire: laisser l’ÉI les chasser et s’emparer de leurs territoires en Syrie et en Irak les affaiblirait en Turquie aussi. Les ennemis de mes ennemis…

Ce n’est qu’en fin de semaine que la Turquie a accepté que la coalition se serve de ses bases aériennes. Cette coalition, à laquelle participe le Canada, devrait exiger davantage de cet allié, sous peine d’ajouter à la mission actuelle un nouvel objectif: sécuriser un Kurdistan indépendant. Mais ça aussi, ça pourrait empirer les choses.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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