Charte des valeurs québécoises: coup de barre salutaire?

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Publié 27/08/2013 par François Bergeron

J’ai eu à prendre le train pour Montréal, récemment, où j’étais assis à côté d’un juif orthodoxe à l’attirail complet, peut-être un rabbin. Pendant la plus grande partie du trajet, il lisait ses livres de prières, tandis que j’alternais entre la lecture d’H.L. Mencken, un éditorialiste iconoclaste des années 1920-30, et du poker en ligne sur mon iPad.

Dans mon wagon, il y avait aussi deux musulmans barbus en pyjamas et un Indien enturbanné (sikh? hindou?). Pas de femmes en sari ou au visage voilé, mais plusieurs jeunes vêtus pour la plage et d’autres pour un concert «heavy fucking metal» (c’est ce qu’on lisait en très gros dans le dos d’une camisole). Pas d’autres minorités bizarres. Même pas deux gars se tenant par la main. Juste d’autres personnes «normales» comme moi…

Cet épisode, absolument pas original ni mémorable, m’est quand même revenu en tête à l’annonce, la semaine dernière, d’un projet de «Charte des valeurs québécoises» qui sera présenté en septembre par le gouvernement minoritaire de Pauline Marois, et qui fait déjà beaucoup jaser.

Grâce à un scoop ou à une fuite délibérée au Journal de Montréal et au Journal de Québec de Quebecor (plus nationalistes que La Presse et Le Soleil de Power Corporation), on sait que cette Charte prônera la neutralité de l’État et de ses employés en matière religieuse.

Cela reviendrait, comme en France, à interdire les symboles religieux «ostentatoires» dans les bureaux et les institutions gouvernementales, y compris les écoles et les hôpitaux: pas de kippa juive, de turban sikh ou hindou, ou de foulard musulman, encore moins de niqab ou de tchador (rarissimes dans nos rues, probablement inexistants dans la fonction publique).

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Un petit crucifix ou une étoile de David au bout d’une chaînette, c’est plus discret et resterait donc permis. La barbe? C’est un signe religieux chez certains mais pas chez d’autres…

Quant aux noms de rues et de villes en l’honneur des saints, au crucifix de l’Assemblée nationale, à la croix du Mont-Royal et à celle qui orne le drapeau québécois, ce sont des symboles patrimoniaux, historiques, culturels qui auraient perdu leur religiosité et qui seront sûrement épargnés. Mais on criera à l’hypocrisie et à la double mesure.

Le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, promet «un heureux équilibre entre le respect des droits de la personne et le respect des valeurs communes». La première ministre Marois a prédit en fin de semaine que la nouvelle Charte fera «consensus», comme la Charte de la langue française, à laquelle se rallient en effet la grande majorité des Québécois. Bel optimisme…

Après l’élection d’un gouvernement séparatiste, le 15 novembre 1976, véritable électrochoc au Canada anglais, la Loi 101 avait donné le coup de barre nécessaire pour affirmer irrévocablement le caractère français du Québec. Un autre coup de barre est-il salutaire aujourd’hui, face au multiculturalisme et aux problématiques issues de l’immigration? Le gouvernement péquiste devra en faire la démonstration.

Au Canada anglais, où le «Québec bashing» est un automatisme, on a tout de suite répercuté le «poutinesque» de Charles Taylor (de la commission sur les accommodations), en référence à la nouvelle loi russe interdisant la promotion de la sexualité «non-traditionnelle».

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À ce propos, la Charte des valeurs québécoises permettra-t-elle d’embaucher un enseignant ou un fonctionnaire dont l’homosexualité serait «ostentatoire», ou encore un travesti, mais pas un juif ou une musulmane dont on pourrait deviner la religion à cause de sa tenue vestimentaire? Ce serait «le bout de la marde», comme on dit dans le pays qui n’est pas un pays. D’aucuns y verraient carrément une inversion des valeurs où à peu près tout serait permis sauf la modestie et la dévotion.

Le Parti libéral de Philippe Couillard et la Coalition Avenir Québec de François Legault attendent, comme il se doit, le dépôt officiel du projet de Charte avant de se prononcer, mais déjà leurs commentaires sont négatifs. Même le parti communiste/féministe/souverainiste Québec solidaire refuserait d’interdire le foulard.

À part le niqab et la burqa, dont on ne veut nulle part et qu’on devrait bloquer au premier guichet d’immigration, on voit mal comment l’habillement de qui que ce soit – surtout quand il y en aurait trop plutôt que pas assez – puisse déranger. Que tout ce beau monde cohabite harmonieusement en français, voilà qui devrait rester le principal objectif.

* * *
À lire aussi dans L’Express:
Une Charte québécoise qui fait jaser… en privé (17 septembre 2013)
Charte, chape, écharpe… (3 décembre 2013)
Sociologie antisociale (16 janvier 2014)

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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