Un embryon de Watergate canadien

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Publié 27/02/2012 par François Bergeron

Écoutez-vous jusqu’au bout les appels enregistrés vous annonçant des prix imbattables sur le remplacement de vos portes et fenêtres, ou vous invitant à voter pour le candidat XYZ à l’élection qui s’en vient?

Chez nous, le télémarketing est mal reçu: on attendait un autre appel ou on n’apprécie pas se faire déranger à l’heure du souper ou juste au moment où le Canadien pourrait compter un but. On raccroche dès qu’on entend un robot. D’ailleurs, ça ne dure pas longtemps non plus avec un vendeur en chair et en os.

Ce n’est peut-être pas le cas chez vous: on ne vous appelle pas assez souvent; le livre que vous êtes en train de lire n’est pas passionnant; vous songiez justement à remplacer vos portes et fenêtres; vous adorez discuter de religion sur le pas de votre porte…

Quoi qu’il en soit, j’ai toujours douté de l’efficacité des campagnes de télémarketing, comme de l’impact des milliers de pourriels qu’on reçoit et qu’on efface au premier coup d’oeil.

La police enquête présentement sur au moins un cas (à Guelph) où des appels enregistrés prétendant provenir d’Élections Canada ont tenté de détourner des électeurs vers les mauvais bureaux de scrutin aux élections fédérales du 2 mai 2011.

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Selon le chef libéral Bob Rae, de telles fraudes auraient été perpétrées par les Conservateurs contre des électeurs libéraux dans une trentaine de circonscriptions où la lutte était serrée.

Une enquête du Toronto Star mentionne un centre d’appels basé à Thunder Bay où des téléphonistes – pas des robots – auraient contacté des électeurs de tout le pays. Dans le passé, ce même centre d’appels aurait travaillé pour le Parti conservateur à identifier l’orientation politique des électeurs en vue d’appels ciblés – une pratique parfaitement légale qui fait partie de la tradition politique canadienne.

Attendez-vous à ce que cet embryon de «Watergate canadien» soit évoqué par l’opposition à plusieurs reprises cette semaine au Parlement. Car on a raison de s’attaquer, immédiatement et avec force, à une pratique sans doute bénigne et peu efficace, mais dont l’impunité ne ferait qu’encourager les partis politiques à tricher et minerait la confiance des citoyens envers notre démocratie.

Pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons, le public est déjà très cynique face au pouvoir politique. Selon la façon dont on réagira au scandale, on le confirmera dans cette opinion ou, au contraire, on le rassurera.

Le premier ministre Stephen Harper nie les accusations en question, mais il a promis de sévir s’il s’avérait que certains de ses partisans les plus «zélés» avaient recouru à des tactiques illégales. Un organisateur du candidat conservateur à Guelph – qui avait néanmoins été défait – a démissionné la semaine dernière de son poste de conseiller d’une autre élue, dans le sillage de ce scandale.

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Les organisateurs conservateurs n’ont probablement pas informé Stephen Harper de tous les détails de leurs opérations sur le terrain. Généralement, le chef lui-même ne tient pas à être au courant de tout ce qui se passe, justement pour être en mesure de nier et de corriger le tir en cas de dérapage. Mais si la fraude dépassait la seule bataille de Guelph et s’étendait effectivement à plusieurs autres circonscriptions, il serait impossible de ne blâmer que quelques éléments du parti: toute l’organisation conservatrice serait fautive.

Suite aux enquêtes policières, on devra examiner aussi si ces tentatives de détournement d’électeurs ont pu affecter le résultat de l’élection ici ou là. Ce n’est probablement pas le cas, mais on ne devrait pas exclure la tenue d’élections partielles là où des fraudes massives auraient été perpétrées.

Ce scandale doit servir de leçon au Parti conservateur et à toute autre organisation qui serait tentée de recourir à des manoeuvres illégales ou immorales pour prendre le pouvoir. Et les électeurs – pas seulement la loi – doivent punir les tricheurs.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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