Revaloriser la R2P

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Publié 01/03/2011 par François Bergeron

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité samedi soir des sanctions contre le régime de Mouammar Khadafi en Libye, dont les derniers soubresauts ont déjà fait au moins 1000 morts.

La plupart de ces mesures avaient déjà été prises par certains pays occidentaux quelques jours auparavant: embargo sur les fournitures d’armes et inspection du fret vers la Libye, gel des biens à l’étranger et des transactions financières du «guide» libyen et de sa famille, qui sont par ailleurs menacés de procès devant le Tribunal pénal international pour «crimes contre l’humanité».

Comme le président américain Barack Obama et quelques dirigeants européens, le premier ministre canadien Stephen Harper a souhaité que Khadafi abandonne le pouvoir dès maintenant: «La responsabilité primordiale d’un gouvernement consiste à assurer la sécurité et la sûreté de ses citoyens. À l’évidence, M. Kadhafi a violé cette confiance élémentaire. Loin de protéger la population libyenne contre le danger, il est à l’origine des dangers auxquels elle fait face. Il est clair que la seule chose acceptable à faire pour lui est de mettre fin au bain de sang et de renoncer sur-le-champ à ses fonctions et à ses pouvoirs.»

L’opposition (un terme vague ici, car la révolte libyenne origine de plusieurs groupes plus ou moins coordonnés qui ont pris le contrôle de quelques villes importantes, grâce aux défections dans l’armée) a demandé aux grandes puissances de surveiller l’espace aérien libyen pour interdire aux derniers partisans de Khadafi ou à ses mercenaires d’attaquer les zones libérées avec des 
avions ou des hélicoptères.

La résolution de l’ONU, malheureusement, ne va pas aussi loin, en raison peut-être des réticences de la Chine, un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité avec droit de véto, dont le gouvernement communiste est très nerveux face à tous ces soulèvements dans le monde arabe, qui pourraient facilement inspirer sa propre population malgré les tous les efforts de Pékin pour censurer les médias.

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Les régimes autoritaires sont évidemment allergiques à toute idée d’intervention extérieure pour protéger les populations révoltées de leur répression. Ils n’ont jamais adhéré au concept de R2P, la «responsabilité de protéger» les peuples en danger, qui minerait la sacro-sainte souveraineté des États sur leur territoire, quand celle-ci équivaut à la liberté de massacrer leurs adversaires en toute impunité.

Il faut dire que la R2P a été discréditée par l’invasion américaine en Irak (quand l’histoire des armes de destruction massive s’est avérée mensongère, Washington s’était rabattu sur l’utilité d’orienter les Irakiens sur la voie de la démocratie). Par ailleurs, la présence menaçante d’importantes forces militaires américaines en Méditerranée, dans le Golfe Persique et dans l’Océan Indien nuit aux démocrates de plusieurs pays – en Iran par exemple – que les dirigeants accusent d’être à la solde d’un futur envahisseur.

La crise libyenne – qui fait aussi des dizaines de milliers de réfugiés, notamment en Tunisie pas vraiment équipée pour les recevoir – est une occasion en or de revaloriser la R2P. Au minimum faudrait-il clouer au sol les avions et hélicoptères militaires libyens. Mais des troupes de l’OTAN pourraient aussi limiter l’action des forces encore fidèles à Khadafi, voire tenter de l’arrêter s’il refuse de capituler.

Ce serait un changement d’attitude salutaire, quoique très tardif. Jusqu’à tout récemment, les Khadafi, Moubarak et autres Ben Ali de ce monde étaient reçus avec tous les honneurs dans nos grandes capitales. Cherchez des photos de Khadafi sur internet et vous le trouvez à la tribune de l’ONU, serrant la pince à des Obama, Berlusconi ou Sarkozy tout sourire, ou embrassant ses frères de la Ligue arabe ou de l’Union africaine.

Cela devrait d’ailleurs nous amener à réexaminer nos relations avec plusieurs autres régimes sur tous les continents, et à commencer à faire preuve d’un peu plus de prudence et de discernement: entretenir des «relations normales» avec des gouvernements qui bafouent les droits et libertés fondamentales n’aide pas les populations opprimées.

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Stephen Harper avait été vertement critiqué, en début de mandat il y a cinq ans, quand il avait jeté un froid sur nos relations avec la Chine en insistant sur la démocratie et les libertés. Il a même fait des efforts pour s’amender et faire passer nos intérêts économiques avant toute considération éthique. Finalement, il n’avait pas tort.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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