Les mêmes molécules dans les cosmétiques que dans les armes chimiques

Des dangers connus depuis les années 1930

Présenté aux Hot Docs 2019, Toxic Beauty, de Phyllis Ellis, met en lumière les dangers des cosmétiques que l'on utilise quotidiennement. Un documentaire édifiant qui d'appuie sur les témoignages de scientifiques, de malades et d'avocats.
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Publié 09/05/2019 par Alicia Blancher

Lorsque l’on termine le documentaire Toxic Beauty de Phyllis Ellis, la première chose que l’on a envie de faire, c’est se précipiter dans sa salle de bain pour vérifier les étiquettes de nos produits de beauté.

Du mercure dans les crèmes pour la peau, du plomb dans les rouges à lèvres, des phtalates dans les gels de douche et shampoings, du triclosan et de l’arsenic dans le dentifrice… La liste des molécules chimiques dans nos cosmétiques est sans fin.

Si les firmes sont davantage incitées à réduire leur utilisation, la régulation de ces produits peine à être mise en place et reste très faible.

Et pourtant, dès les années 1930, les dangers des cosmétiques commencent à être pointés du doigt. Dans American Chamber of Horrors: The Truth About Food and Drugs, publié en 1936, Ruth D. Lamb dresse un portrait édifiant des dessous du maquillage, comme le mascara qui a rendu de nombreuses femmes aveugles à cette époque-là.

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Plus dangereux que le tabac

«Ce qui est fou, c’est que rien ça n’a pas vraiment changé depuis», témoigne Mymy Nguyen, étudiante en sciences médicales de l’Université de Boston.

Parmi les pathologies engendrées, les problèmes de fertilité et divers cancers sont au cœur de Toxic Beauty.

Selon un chercheur interrogé dans ce film présenté aux Hot Docs 2019 de Toronto, ces produits seraient encore plus dangereux que le tabac, car ils ne contiennent pas une dizaine, mais une centaine de substances chimiques.

«En tant que scénariste et réalisatrice, j’ai l’occasion de raconter des histoires qui peuvent éclairer et inciter éventuellement à l’action», confie à L’Express Phyllis Ellis, qui dénonce également dans ce documentaire les diktats de la beauté.

«Nous sommes constamment bombardés par des images qui nous poussent à acheter des produits afin de nous améliorer. J’essaie encore de me réconcilier avec la teinture de mes cheveux, en recherchant le meilleur produit, jusqu’à ce que j’abandonne l’idée de dissimuler mes cheveux gris», témoigne la réalisatrice.

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Phyllis Ellis, réalisatrice primée d’une trentaine de documentaires, dont Toxic Beauty.

L’industrie dupe les consommateurs

Les dangers des parabènes, que l’on retrouve notamment dans les déodorants ou les savons, sont désormais amplement connus, ce qui a forcé les firmes à trouver de nouveaux moyens pour préserver leurs produits.

Pour répondre à la mode des produits sans parabène, les industries du cosmétique ont remplacé ce conservateur par du methlisothiazolinone, une molécule très populaire dans les années 1950, dont la toxicité a déjà été prouvée.

«Ils ont simplement changé le nom de la molécule (diazolidinyl area) pour duper une fois de plus les consommateurs», témoigne le gérant d’une marque de produits de beauté alternatifs, biologiste de formation.

L’utilisation du methlisothiazolinone est d’ailleurs restreinte au Canada et en Europe depuis plusieurs années.

«Un système de réglementation post-commercialisation»

 

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«Contrairement à la nourriture et aux médicaments, il est très dur de réguler les cosmétiques, alors que ce sont des produits utilisés quotidiennement!», s’insurge une chercheuse.

De nombreux hommes politiques américains, comme Ron Wyden et Ted Kennedy, ont déjà tenté d’imposer des normes plus strictes aux firmes, mais ces dernières parviennent constamment à soumettre leurs propres réglementations.

«Ils ont d’importants groupes de scientifiques autour d’eux, engagés pour défendre leurs produits».

De plus, certains cosmétiques ne sont testés qu’après leur commercialisation. «On parle de système de réglementation post-commercialisation.»

Les femmes ne sont pas les seules victimes

Si le documentaire s’attaque principalement aux dangers des cosmétiques pour les femmes, comme le maquillage, il met également en lumière l’impact de ces produits sur les hommes et les enfants en bas-âge, voire les embryons.

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En effet, de nombreux produits chimiques utilisés dans les cosmétiques sont considérés comme des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire ayant des conséquences sur les fonctions reproductives des femmes, comme des hommes, et augmentant les risques de cancers (du sein, de la prostate et du testicule).

Savons, gels de douche, shampoings… Tout le monde est concerné.

Mais les épidémiologistes semblent de plus en plus concernés par l’impact de ces produits sur les embryons et les jeunes enfants.

«Les corps ne sont pas complètement développés jusqu’à un certain âge. Donc quand ils sont exposés durant leur jeunesse, cela peut avoir de graves conséquences sur leur santé future».

Parmi les troubles qui apparaissent chez les enfants, on retrouve le développement sexuel précoce, en partie dû aux œstrogènes présents dans les shampoings notamment, le diabète, les maladies cardiaques, les troubles de l’attention, etc.

À la question «Pouvons-nous protéger nos propres enfants de ces substances?», les épidémiologistes semblent sceptiques.

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«Les substances naturelles présentent aussi des dangers» 

 

Les produits chimiques sont bien évidemment les principales cibles de ce documentaire. Néanmoins certaines substances naturelles sont également signalées comme des perturbateurs endocriniens.

L’huile de lavande, par exemple, serait à l’origine de croissance mammaire masculine, selon de nombreuses études.

Le talc à l’origine de cancers des ovaires

Les scandales qui entourent le talc au Canada et aux États-Unis occupent une part importante du documentaire Toxic Beauty. 

En effet, depuis le 5 décembre 2018, Santé Canada a émis un avertissement sur ce produit concernant «les risques potentiels de problèmes pulmonaires et de cancers des ovaires». Mais cette décision intervient après des années de batailles judiciaires engagées par des femmes atteintes de cancers des ovaires, dus à l’utilisation régulière de talc.

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«J’ai utilisé ce produit durant des années lorsque j’étais athlète, je me suis donc sentie concernée quand j’ai pris connaissance des études du docteur Daniel Cramer», confie la réalisatrice. Ses recherches en 1982 ont établi un lien entre le talc et les cancers des ovaires.

Deane Berg, la première à s’être attaqué au géant de la poudre pour bébés, Johnson & Johnson, a découvert son cancer à l’âge de 49 ans. Lorsqu’elle regarde d’un peu plus près les causes de la maladie, elle apprend avec stupeur que l’application de talc peut être un facteur.

«Je n’avais jamais rien lu de tel sur l’étiquette du produit. C’est très frustrant de savoir que l’on se l’est infligé à soi-même».

Comme Deane Berg, elles sont des milliers de femmes à avoir utilisé ce produit dès leur plus jeune âge, «toute leur vie», sans imaginer une seule seconde que cela puisse être nocif.

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Et pourtant, la firme Johnson & Johnson avait reçu des recherches pharmaceutiques interpellant sur les dangers du talc dès les années 1950. «Le talc doit être retiré de l’environnement des enfants», pouvions-nous lire dans ce rapport.

«Un niveau de conspiration jamais vu»  

 

Afin d’étouffer tout scandale et d’empêcher des régulations externes de leurs produits, Johnson & Johnson a multiplié les réunions avec les officiels de la FDA, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux.

De même, afin d’éviter le risque d’exposition médiatique lors d’un procès contre Deane Berg, l’entreprise a tenté de lui offrir un million de dollars pour mettre fin aux poursuites. Mais l’entreprise refusant d’apposer une étiquette d’avertissement sur leurs produits, la plaignante a décidé d’aller jusqu’au procès.

«C’était David contre Goliath», témoigne l’avocat de Deane Berg, aujourd’hui considérée comme une véritable lanceuse d’alerte. Si la plaignante n’a reçu aucun dommage et intérêt de Johnson & Johnson, la firme a été reconnue coupable en 2013.

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Depuis, l’entreprise a été la cible de 11 000 poursuites judiciaires et a versé près de 4,6 milliards $ en dommages et intérêts, mais elle continue de nier toute responsabilité concernant les pathologies développées.

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