Notre police de la pensée

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Publié 16/06/2009 par François Bergeron

Le gouvernement canadien a qualifié d’inacceptable et d’absurde 
l’expulsion du député libéral Bob Rae du Sri Lanka, la semaine dernière, quelques heures après son atterrissage à l’aéroport de Colombo, malgré le visa qui lui avait été délivré par l’ambassade de ce pays à Ottawa.

Celui qui pourrait bien devenir ministre des Affaires extérieures dans un futur gouvernement de Michael Ignatieff voulait notamment visiter des zones sinistrées suite à la longue guerre civile qui semble avoir pris fin récemment par la défaite de la milice tamoule face à l’armée sri-lankaise. Le gouvernement de l’île y a vu un appui manifeste à la cause séparatiste et une menace à sa sécurité nationale.

La préoccupation des Libéraux pour le sort des 3 millions de Tamouls du Sri-Lanka (ils sont 30 millions dans la province indienne voisine d’où ils proviennent) vient bien sûr du fait qu’ils seraient plus d’une centaine de milliers à Toronto, comme on l’a tous découvert le mois dernier quand ils ont brièvement perturbé la circulation sur l’avenue University et l’autoroute Gardiner. 

Les conflits au Congo ont fait cent fois plus de victimes ces deux dernière décennies, mais comme il n’y a pas (encore) autant de réfugiés congolais chez nous, ce pays d’Afrique ne figure pas souvent sur le circuit de nos politiciens.

Certes, à travers Bob Rae, c’est tout le Canada qu’a insulté le gouvernement sri-lankais. C’est certainement un geste anti-démocratique de la part d’une dictature paranoïaque… Sauf que le gouvernement fédéral a agi exactement de la même façon au mois de mars en refoulant à la frontière le député britannique George Galloway, qui venait prononcer une conférence à Toronto, sous prétexte qu’il risquait d’y réitérer son appui au mouvement politico-militaire 
palestinien Hamas.

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Et ce n’était pas la première fois que des «agitateurs» européens, américains ou arabes, considérés par Ottawa comme de dangereux «radicaux» prônant notamment le «terrorisme», se voyaient refuser l’entrée en Canada. Les organisateurs de débats universitaires ou communautaires subventionnés en partie par le gouvernement fédéral subissent parfois aussi des pressions qui les amènent à décommander eux-mêmes certains de leurs invités.

Dans le cas du député indépendant George Galloway, son interdiction de séjour a généré un intérêt médiatique très supérieur à celui que lui aurait valu la visite prévue. C’est presque toujours le cas. Qui s’intéressait à la prochaine conférence des universités York et Queen’s sur Israël et la Palestine avant que le ministre des Sciences menace de lui couper les vivres la semaine dernière en raison des inquiétudes soulevées par le lobby juif B’nai Brith?

Par une coïncidence qui serait amusante si la menace contre nos libertés les plus fondamentales n’était pas si immédiate, la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, Jennifer Lynch, déposait la semaine dernière un rapport de ses consultations sur la propagation de la «haine» sur Internet, présentement illégale en vertu de la section 13 de la loi qui a institué ce tribunal orwellien.

Première intéressée à conserver son poste de chef de la «police de la pensée» au pays, Mme Lynch conclut que son travail de censure de l’Internet et de d’autres médias constitue une limite raisonnable aux libertés d’opinion et d’expression des Canadiens censées être garanties par la Charte des droits et libertés.

Mme Lynch déboute ainsi son propre expert, le professeur de droit Richard Moon, à qui elle avait demandé l’an dernier d’étudier la question, et qui avait recommandé de retirer à la Commission des droits de la personne tout contrôle sur les idées, même les plus controversées, qui circulent sur Internet et dans les médias en général.

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Mme Lynch affirme notamment que tous les droits sont égaux, celui de s’exprimer librement comme celui de ne pas en être offensé, la Commission des droits de la personne servant d’arbitre et équilibrant les droits des uns par rapport aux libertés des autres. En réalité, certaines libertés sont plus importantes que les autres (la vie et la sécurité de la personne, par exemple), et la Charte canadienne des droits et libertés est inscrite dans la Constitution comme la «première loi» du pays, donc supérieure à la Loi sur les droits de la personne qui motive la Commission.

Ce dernier pamphlet de la Commission, de même que l’obstruction du gouvernement, bafouent toute la tradition intellectuelle occidentale et son catalyseur, la liberté d’expression. On se croirait au Sri Lanka!

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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