Et si la crise était plus grave?

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Publié 10/02/2009 par Nirou Eftekhari

Le dépôt du plan budgétaire du gouvernement conservateur le 27 janvier laisse entrevoir un déficit de 64 milliards $ au cours des deux prochaines années fiscales. Si l’énormité de cette somme a permis à Stephen Harper de préserver son job en écartant la menace d’une nouvelle élection brandie par les parties d’opposition en novembre dernier, une question ne manque pourtant pas d’être posée: l’ensemble des dépenses projetées pour contrer la récession qui se précise est-il vraiment à la mesure de la gravité réelle de la situation économique?

La plupart des économistes sont tombés d’accord pour conclure que l’économie canadienne est officiellement entrée en récession, définie comme baisse du PIB pendant deux trimestres consécutifs, au dernier trimestre de 2008. Il y a par contre un grand désaccord quant à sa durée et à son véritable impact.

Depuis un an, les prévisions ont été tour à tour démenties par les nouvelles découvertes. En 2008, les économistes anticipaient que le Canada connaîtrait une croissance de 2,4 % un an plus tard, pour réviser leur prévision à la baisse en automne dernier et conclure à un taux de croissance médiocre de 0,3 % pour cette année. Lors du dépôt de son programme budgétaire, le gouvernement fédéral a plutôt prévu une baisse de 0,8 % du PIB en 2009, tandis que deux jours plus tard, le Fonds monétaire international (FMI) évaluait cette baisse à 1,2 %. D’un optimisme relatif, les prévisions sont ainsi passées à un pessimisme inquiétant.

Si, à la suite des analystes, un nombre croissant de responsables politiques et économiques sont d’avis que la crise que nous traversons actuellement est comparable historiquement avec la Grande Dépression des années 30, ils refusent cependant de reconnaître l’ampleur des problèmes qu’il va falloir affronter en vertu de cette comparaison: perte massive d’emplois, développement de la pauvreté, repli des nations sur elles-mêmes, renforcement des tendances protectionnistes, illustré récemment par le slogan «Buy American» aux États-Unis, rendant plus difficile la recherche d’une solution à l’échelle internationale, etc. On oublie également que la Grande Dépression a ouvert la voie à la montée du fascisme dans plusieurs pays et aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale.

Pour lutter efficacement contre les effets de la crise en cours, il faut d’abord prendre connaissance de ses causes profondes.

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L’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis, qui a entraîné l’effondrement du système financier américain et mondial, est né d’un gonflement démesuré et incontrôlé des prêts hypothécaires qui ont fait monter les prix des logements au-delà du pouvoir d’achat réel des ménages. Comme lors de la Grande Dépression de 1929, la spéculation, c’est-à-dire la soif des profits faciles, et le développement des inégalités étaient donc à l’origine de la grave crise financière qui a secoué le monde dans la seconde moitié de 2008.

Un des enseignements majeurs de John Maynard Keynes, l’économiste britannique (1883-1946) qui s’est inscrit en rupture totale avec la politique de laisser-faire prêchée par ses prédécesseurs, est qu’en temps de crise aiguë, l’État doit intervenir massivement dans l’économie pour atténuer les inégalités sociales en redistribuant la richesse en faveur des couches sociales appauvries. Comme la propension à consommer de ces couches est très élevée, les programmes sociaux financés par le déficit budgétaire permettent de relancer la demande solvable dont dépendent la croissance et les emplois.

Le déficit prévu par le gouvernement conservateur pour sortir le Canada de la récession n’est pas aussi impressionnant qu’on le croit. Celle-ci s’est en effet avérée bien plus importante qu’on ne l’avait pensé. Selon les experts, même sans les dépenses budgétaires projetées, le Canada connaîtrait un déficit de 10 à 15 milliards $ en raison du ralentissement économique.

En vérité, le déficit prévu à titre de l’intervention active de l’État et des mesures de relance sous forme d’allègement fiscal ne serait que de l’ordre 1 à 1,5 % du PIB pour l’année fiscale qui débute en avril, bien au-dessous du niveau recommandé par le FMI (2 %). Aux États-Unis, les dépenses massives du gouvernement et l’ensemble des programmes pour stimuler l’économie, 819 milliards $, provoqueraient un déficit de plus de 2,5 % du PIB.

Par ailleurs, Les dépenses budgétisées ne s’attaquent pas vraiment aux lacunes et insuffisances des programmes sociaux tels que l’assurance-emploi, les garderies d’enfants, l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ou les investissements dans les infrastructures accueillis avec un certain scepticisme par les partis d’opposition. De plus, le gouvernement conservateur ne semble avoir aucun plan au-delà de l’horizon de deux années à venir, très probablement parce qu’il pense que la crise va disparaître d’elle-même d’ici là et qu’il n’y aura plus besoin de renflouer l’économie à l’aide de déficit.

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Au total, aussi bien le Parti conservateur que l’opposition officielle, le Parti libéral, qui a cautionné le plan budgétaire du gouvernement tout en émettant quelques réserves mineures, ne semblent avoir une idée objective de la gravité de la situation qui se profile à l’horizon. Leur aversion pour le déficit et leur penchant naturel pour la non-intervention de l’État dans l’économie les empêchent de favoriser des politiques économiques qui, en temps de crise, devraient permettre d’éviter des souffrances à la grande majorité.

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