L’aigle et l’autruche

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Publié 05/10/2008 par François Bergeron

Malgré la crise du crédit qui menace toute l’économie américaine, le candidat présidentiel Barack Obama continue de promettre de réduire les impôts de 95% des Américains et d’affranchir son pays de sa dépendance envers le pétrole du Moyen-Orient d’ici 10 ans. Tout au plus, reconnaît-il du bout des lèvres, «certains» investissements promis par les Démocrates en éducation, santé, environnement, infrastructures, etc., vont «peut-être» devoir être retardés ou diminués en raison des finances chancelantes du gouvernement.

Chez nous, le Premier ministre Stephen Harper maintient que l’économie canadienne va traverser cette période difficile sans trop de dommages, grâce à sa gestion prudente et à ses réductions de taxes. Ses adversaires dénoncent cet optimisme incantatoire mais ils n’ont pas jugé bon de réviser à la baisse leurs promesses de nouveaux programmes. Tous jurent de continuer de fonctionner dans le cadre d’un budget équilibré.

Stéphane Dion promet de restaurer et même de bonifier une foule de programmes coupés par les Conservateurs, de l’aide à la contestation judiciaire à la promotion des arts, en passant par l’accord de Kelowna avec les Autochtones. Tout en croyant pouvoir réduire davantage les impôts des particuliers grâce à un nouveau système de taxation sur le carbone et la pollution, il veut aussi multiplier les initiatives et les crédits d’impôt pour encourager un virage vert dans l’agriculture, la construction, le secteur manufacturier et même l’exploitation des sables bitumineux.

Rien n’échappe à la sollicitude des Libéraux, qui remportent le prix de la promesse la plus extravagante pour leur nouveau programme de 75 millions $ devant servir à «protéger les groupes ethnoculturels et religieux en danger au Canada», c’est-à-dire aider les écoles confessionnelles, les centres communautaires et les lieux de culte à financer des mesures de sécurité. Qui se doutait que la haine raciale ou religieuse était aussi répandue dans la société canadienne?

Le communiqué libéral nous apprend que les Conservateurs avaient consacré «seulement» 3 millions $ à un projet-pilote semblable, probablement dans le cadre de leur offensive tous-azimuts contre la criminalité (criminalité en chute libre depuis des années, quand elle n’est pas, dans ce cas précis, quasi-inexistante).

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Stéphane Dion a sans doute raison de réclamer une meilleure concertation – qui n’est cependant pas encore un «plan» – de nos gouvernements, nos institutions financières et nos économistes face à la crise. Mais ni lui ni les autres chefs n’ont intérêt à rappeler aux électeurs qu’une récession invaliderait la plupart de leurs belles promesses.

Voici, en vrac, quelques commentaires sur divers aspects de la campagne en vue du scrutin du 14 octobre:

LES PUBS – Les sites Internet des partis politiques permettent de visionner leurs publicités télévisées. C’est un raccourci pratique. En anglais, les Conservateurs travaillent à deux niveaux: des annonces mettant en vedette le Premier ministre Stephen Harper discutant d’enjeux importants, tandis que d’autres pubs «négatives» juvéniles tentent de ridiculiser Stéphane Dion. En français, leurs pubs vantent leurs réalisations québécoises, contrastées avec l’inutilité du Bloc québécois. Aucune vision pan-canadienne en français ici.

Le Bloc réplique, bien sûr, que ces réalisations sont «vides», comme la reconnaissance de la «nation» québécoise, et joue à fond la carte du vote «stratégique» pour empêcher l’élection d’un gouvernement majoritaire. Leur site web est régulièrement alimenté de nouveaux vidéos de Gilles Duceppe ou des candidats bloquistes.

Les pubs libérales font appel à la raison. En français, des citoyens «ordinaires» nous disent, dans un langage de tous les jours, pourquoi ils voteront libéral. En anglais, une voix hors-champ dénonce l’action du gouvernement conservateur et/ou explique un élément du programme libéral pendant qu’on nous montre des images de guerre, de pollution ou d’accolades Harper-Bush.

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Les pubs du NPD mettent en vedette Jack Layton, «candidat au poste de Premier ministre», après des images rétros de dépression économique et de guerre censées représenter le bilan conservateur. Il n’y manque que des capitalistes à cigares fouettant leurs ouvriers mal nourris…

Les Verts n’ont pas de campagne publicitaire digne de ce nom (ni de candidats vedettes). Leur site Internet permet de visionner des commentaires de leur chef Elizabeth May, une ancienne «progressiste-conservatrice» à la Joe Clark, fort sympathique, pour qui les débats télévisés auront constitué la plus belle visibilité.

LES DÉBATS – Comme plusieurs journalistes, j’ai trouvé que les deux débats autour d’une table ovale humanisaient Stephen Harper, qui répondait patiemment aux attaques fusant (poliment) de toutes parts, mais des sondages ont dit le contraire, que c’est le Premier ministre qui passait le plus mal. On verra. Les commentateurs politiques professionnels sont souvent trop collés sur leur sujet pour évaluer correctement ce qui se passe.

On s’attendait à ce que Gilles Duceppe triomphe en français et que Stéphane Dion se plante en anglais. J’ai trouvé Duceppe faible et Dion meilleur communicateur qu’à l’accoutumée.

On s’attendait à ce que ces deux soirées marquent un temps fort dans la bataille électorale. Ce fut plutôt des interludes, presque des cessez-le-feu. Probablement, encore une fois, à cause du format plus convivial de la discussion autour de la table

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LA GUERRE – La découverte récente qu’un discours de Stephen Harper sur l’invasion de l’Irak, en 2003, était plagié sur celui du Premier ministre australien, également favorable à l’aventure américaine, a ramené les guerres d’Irak et d’Afghanistan dans la campagne électorale. On n’en parlait plus depuis que Harper a reconfirmé, en début de campagne, le retrait des troupes canadiennes d’Afghanistan en 2011, et parce que les Libéraux, qui avaient pris sous Paul Martin la décision d’envoyer nos troupes à Kandahar, ont voté cette année pour l’extension de la mission militaire de 2009 à 2011.

Lors du débat des chefs en anglais, Harper a reconnu, si besoin était, que l’invasion de l’Irak était une «erreur». Ma théorie sur le discours plagié: les arguments pour l’invasion de l’Irak avaient été envoyés par la Maison-Blanche aux partis conservateurs alliés qui, à Ottawa comme à Camberra, ont fait du copier-coller.

L’ENVIRONNEMENT – On ne le croirait pas à entendre les chefs de l’opposition, mais les Conservateurs ont un plan de réduction de la pollution (par amour de notre beau et grand territoire) et des gaz à effet de serre (concession à la mode du temps). Ils en parlent peu, pas pour ne pas inquiéter les milieux industriels qui savent ce qui les attendent, mais parce que ce n’est pas un sujet – à l’instar du bilinguisme officiel ou du fédéralisme asymétrique – qui mobilise leurs partisans les plus enthousiastes.

Leur plan est fondé sur des calculs qui commencent en 2006, pas en 1990 comme le mythique Protocole de Kyoto encore invoqué par les autres partis, mais les Conservateurs savent qu’il serait politiquement périlleux d’ignorer une détérioration de l’environnement ou de la santé publique. Quel que soit le parti au pouvoir, il n’y aura jamais de recul sur ce front. Aux électeurs de choisir la vitesse et les modalités du progrès.

LE BILINGUISME – Le bilinguisme officiel – qui est pour nous la caractéristique fondamentale du Canada – est respecté mais pas spécialement valorisé chez les Conservateurs. Leur campagne, québécoise en français, nationale en anglais, trahit une vision d’un pays où il faut s’accommoder des «deux solitudes» linguistiques plutôt que de chercher à les réconcilier. On est à mille lieux de la vision trudeauesque d’un Canada bilingue d’un océan à l’autre, détestée autant par les «rednecks» de l’Ouest que par les séparatistes au Québec.

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Afin d’éviter une tempête politique, on vient de nommer un juge bilingue à la Cour suprême pour combler le poste laissé vacant par l’Acadien Michel Bastarache. Mais Stephen Harper n’a jamais promis que tous les prochains juges du plus haut tribunal du pays seront bilingues, comme l’acceptent désormais les autres partis. À l’heure actuelle, 8 des 9 juges peuvent être qualifiés de bilingues si on ne regarde pas de trop près à la qualité. Or, les présentations en français devant la Cour suprême nécessitent souvent une très bonne maîtrise de la langue, à la fois pour les avocats qui les font que pour les juges qui les écoutent.

MAJORITÉ? – Le magazine Maclean’s suggère en éditorial qu’un gouvernement majoritaire (donc conservateur) est souhaitable pour faire face à la récession économique appréhendée. L’opposition dénonce le «laissez-faire» des Conservateurs mais, en réalité, n’importe quel gouvernement, majoritaire ou non, ne peut pas tout faire.

Dion accuse Harper de ne pas croire au rôle du gouvernement dans l’économie. Ce serait plus exact de dire que, normalement, les conservateurs (avec un petit «c») considèrent que le rôle premier du gouvernement est de ne pas nuire, c’est-à-dire de créer le climat le plus favorable à l’entreprenariat et aux investissements privés, moteurs de la prospérité générale.

Cela reste souvent la meilleure prescription, car on sait que les gouvernements ont de multiples moyens et occasions de saboter l’économie, l’environnement, la paix sociale, les relations extérieures, etc. On le voit aux États-Unis, où la réglementation inadéquate des marchés financiers est loin d’être la seule cause des problèmes actuels: le gouvernement fédéral amérícain n’a pas accumulé 9 trillions $ de dettes à ne rien faire.

Il incombe aux partis «qui croient au rôle du gouvernement» de démontrer le bien-fondé des interventions qu’ils proposent.

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Il se publiait à Toronto, au début des années 1980, un magazine inconoclaste baptisé The Idler (du mot «Idle», qui veut dire immobile ou inactif) parce qu’on y préférait un relatif effacement des pouvoirs publics. Ses bureaux étaient situés, rue Davenport, au-dessus d’un resto qui portait le même nom et où on servait les meilleures frites en ville. Que lirait-on, dans ce magazine, sur la crise financière actuelle?

VOTEZ! – Il sera intéressant, le 14 octobre, de surveiller le taux de participation. L’incertitude économique va-t-elle mobiliser les électeurs ou, au contraire, les décourager? L’arrivée du Parti Vert va-t-elle amener plus de jeunes aux urnes?

Il est généralement bien vu, pour un parti politique, d’avoir l’appui des jeunes, des minorités ethnoculturelles et des femmes. J’ajouterais qu’il est valable aussi d’avoir des appuis dans toutes les régions du pays; cela traduit une certaine vision «nationale».

Je comprends que les femmes représentent la moitié de la population, sont plus pacifistes que les hommes et souvent plus au fait des réalités quotidiennes et des vrais problèmes comme la santé et l’éducation. Mais j’imagine que les hommes ont d’autres qualités, et je ne suis pas sexiste: je ne suis pas plus inquiet qu’un parti trouve plus d’appuis chez les femmes que le contraire…

Les jeunes et les immigrants représentent «l’avenir» et la «diversité», mais malheureusement aussi l’inexpérience de notre système démocratique et de notre société en général. Qu’un parti se vante de monopoliser le vote des jeunes ou des néo-Canadiens ne m’inspire aucune confiance.

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Que les aînés et les Canadiens de souche votent en plus grand nombre que les jeunes et les récents citoyens est non seulement attendu mais souhaitable: ils sont mieux informés. D’ailleurs, après quelques années, leur vote se réparti plus librement à travers l’éventail politique canadien. Votez informé!

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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