Des regrets mais pas d’excuses

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 26/09/2006 par François Bergeron

Comme le Pape Benoît XVI, le quotidien The Globe and Mail regrette que des susceptibilités aient pu être froissées récemment par quelques malheureux paragraphes, mais il n’a pas présenté d’excuses formelles. Par contre, le Globe ne prétend pas être infaillible…

Dans un discours à l’université de Ratisbonne, en Allemagne, le Pape a choqué les Musulmans en citant, sans nécessairement les endosser, les commentaires d’un empereur byzantin qui considérait que l’Islam ne se répandait que par la violence.

Dans un reportage sur les lendemains de la tuerie au Collège Dawson le 13 septembre – que le Globe and Mail ne peut endosser intégralement, ses chroniqueurs jouissant d’une certaine latitude et exprimant une bonne diversité de points de vue – la journaliste Jan Wong a choqué les Québécois et de nombreux autres Canadiens en écrivant la semaine dernière que le tueur Kimveer Gill (Dawson), et avant lui Valéry Fabrikant (Concordia) et Marc Lépine (Polytechnique), aient pu avoir été aliénés par une société valorisant les Québécois «pure 
laine».

La famille de Gill est sikh, même si le jeune homme lui-même paraîssait totalement (trop?) nord-américanisé. Fabrikant, qui se querellait avec ses collègues universitaires anglophones, venait de Russie. Le père de Lépine, meurtrier de 14 futures ingénieures, était d’origine algérienne. Rien n’indique que ces trois désaxés se sentaient marginalisés par le caractère francophone de la société québécoise. En fait, le commentaire de Jan Wong (née à Montréal) en dit plus long sur ses propres frustrations que sur celles de ses sujets:

«What many outsiders don’t realize is how alienating the decades-long linguistic struggle has been in the once-cosmopolitan city. It hasn’t just taken a toll on long-time anglophones, it’s affected immigrants, too. To be sure, the shootings in all three cases were carried out by mentally disturbed individuals. But what is also true is that in all three cases, the perpetrator was not pure laine, the argot for a «pure» francophone. Elsewhere, to talk of racial «purity» is repugnant. Not in Quebec.»

Publicité

Ce passage mérite d’être décortiqué. Montréal «anciennement cosmopolite»? La métropole québécoise l’est plus que jamais, sauf qu’elle l’est en français, ce qui est encore difficile à concevoir dans certains milieux. Demandez aux 18 proto-terroristes musulmans arrêtés en juin à Toronto s’ils se sentaient mieux intégrés à la société anglophone! Et est-ce que ce ne serait pas plutôt quand les meurtriers sont des Canadiens de souche, comme Paul Bernardo ou Robert Pickton, qu’on devrait s’interroger sur nos valeurs? Finalement, ça fait bien plus longtemps que chez les orangistes au Canada anglais qu’on ne parle plus de «pureté raciale» au Canada français.

Le Globe and Mail a publié une lettre éloquente du Premier ministre Jean Charest et un commentaire éclairant d’André Pratte, éditorialiste en chef du quotidien La Presse, puis une lettre du Premier ministre Stephen Harper le jour où la Chambre des communes a adopté à l’unanimité une résolution condamnant cet article. Le journal s’en est distancié dans un éditorial non signé, puis dans le billet du rédacteur en chef Edward Greenspon samedi. Ce dernier estime que l’affaire est une tempête dans un verre d’eau mais concède que les paragraphes en question auraient dû être interceptés.

L’argumentation de Jan Wong, en effet, est absurde. La réaction «disproportionnée» (selon Greenspon) des politiciens et des commentateurs québécois a fait néanmoins oeuvre utile. Mais le Globe and Mail doit-il s’excuser? Promettre de censurer ses chroniqueurs à l’avenir? Non. Les médias en général, et la presse écrite en particulier, doivent rester des forums où toutes les idées, y compris les plus choquantes, puissent être exprimées et débattues.

Bien sûr, si le Globe and Mail publiait chaque jour de telles insinuations, il perdrait sa réputation de journal sérieux, pour ne rien dire de son statut auto-proclamé de journal «national». Mais ce n’est pas le cas. Ce dérapage est une exception, même si elle n’est pas la première ni sans doute la dernière. (Par exemple, le Globe and Mail donne régulièrement une tribune à William Johnson, l’un des rares intellectuels canadiens-anglais à continuer de nier le droit des Québécois à l’autodétermination.) La règle, c’est que la plupart des journalistes et des chroniqueurs de ce quotidien, y compris ceux et celles qui adorent susciter la controverse, sont intelligents, compétents et intéressants.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur