17 profs franco-ontariens de retour d’Haïti

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Publié 21/08/2012 par Annik Chalifour

17 enseignants formateurs bénévoles franco-ontariens du Groupe de travail en appui à Haïti (GTAH) créé en 2010 suite au séisme, viennent de rentrer d’un séjour de deux semaines à Port-au-Prince où ils ont donné un séminaire pédagogique auprès de leurs pairs haïtiens. J’ai accompagné le groupe du 6 au 11 août.

«Nous maîtrisons parfaitement les concepts et les théories, mais on a besoin d’exemples d’apprentissages pratiques pour transmettre les connaissances à nos élèves», a déclaré un jeune enseignant haïtien, lors de la remise des certificats, vendredi 10 août.

La formation s’est déroulée à l’Institut Mère Délia des Sœurs Missionnaires de l’Immaculée Conception, avec l’aide de sœur Rosenelle Lagredelle. Une dame inspirante et courageuse, toujours sur la route, chargée d’appuyer huit écoles publiques à travers le pays.

L’Institut situé dans le quartier Delmas de Port-au-Prince, fut complètement détruit lors du tremblement de terre. Il a été récemment rebâti grâce au soutien de Développement et Paix et du Centre d’Études et de Coopération Internationale, deux ONG québécoises.

Les locaux neufs ont accueilli quotidiennement plus de 100 enseignants haïtiens venus participer au séminaire offert par leurs collègues canadiens du 30 juillet au 10 août derniers.

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Prières et chants

Les formateurs, placés en équipe de deux par classe, arrivaient à l’Institut vers 7h30 chaque matin afin de préparer leurs sessions respectives durant 30 minutes. À 8h suivait une rencontre en grand groupe, incluant des prières et des animations.

On prie, chante et danse tous les jours à Haïti, pour célébrer la vie avant tout et se redonner la pensée positive. Ces chants me sont apparus comme un grand réseau de soutien mutuel, une chaîne de solidarité à l’infini.

Les sessions de formation duraient de 8h30 à 13h avec une courte pause vers 11h. Suite au repas du midi, sous une chaleur torride (+34c tous les jours), les enseignants canadiens et haïtiens reprenaient leurs tâches dans les classes neuves, mais non climatisées, jusqu’à 15h.

Dépasser le magistral

Du français aux mathématiques en passant par les sciences aux paliers préscolaire, élémentaire et secondaire, le projet visait à inciter les profs haïtiens à dépasser l’enseignement magistral, en les exposant à l’utilisation de nouvelles approches pédagogiques.

Le défi consistait à mettre les enseignants haïtiens en situation pratique, pour qu’ils puissent s’exercer à développer leur pensée au-delà de la théorie et développer leurs habiletés à transmettre cet apprentissage à leurs élèves.

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«La pensée est orientée vers l’avenir. En apprenant aux enseignants haïtiens à développer leur pensée, on les oriente vers le futur: on les aide à orienter leurs élèves vers le développement du pays», selon Marie Carmel Jean-Jacques, chargée de la coordination pédagogique du projet avec Jhonel Morvan. Mme Jean-Jacques et M. Morvan sont agents d’éducation au ministère de l’Éducation de l’Ontario.

Rappelons que tous les membres du GTAH ont agi bénévolement; le groupe n’a obtenu aucune subvention du gouvernement pour réaliser ce projet dont la préparation a exigé deux années d’efforts. 


Des marionnettes…

«En raison du fait que le préscolaire est peu valorisé au sein du système d’éducation haïtien, nous devons redoubler d’efforts auprès de nos apprenantes dont les compétences semblent moins développées en comparaison avec celles de leurs pairs des autres paliers scolaires», témoignait sur le terrain Lucie Huot Robert, artiste et éducatrice spécialisée du Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud.

Au cours du projet, Lucie avec Nathalie Phaneuf du Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien, ont animé un atelier de fabrication de marionnettes en papier mâché.

Leurs marionnettes terminées, les enseignantes haïtiennes étaient invitées à faire parler leurs créations sous la forme de petites saynètes.

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Une approche pédagogique visant d’une part à encourager les apprenantes à s’exprimer oralement et d’autre part à les familiariser avec une nouvelle méthode d’enseignement axée sur l’intégration des arts visuels adaptée à la clientèle du préscolaire.

Citons que le papier mâché fait partie du matériel de base utilisé localement par les artisans haïtiens.

… aux expériences scientifiques

Lyne Couture et Sandra Berry du Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien, profs de sciences au secondaire, ont exécuté toute une gamme d’expériences scientifiques devant leurs pairs haïtiens, dont «l’effet geyser» provenant du mélange Mentos-boisson gazeuse.

L’exercice réalisé en plein air consistait à mettre plusieurs pastilles de Mentos dans une bouteille de Coca-Cola. Résultat: la création d’un geyser due au dégazage brutal du dioxyde de carbone dissous dans la boisson gazeuse lors de l’immersion du bonbon.

L’activité visait à démontrer aux enseignants haïtiens l’importance d’assurer la compréhension de la théorie associée au phénomène de la réaction chimique, en donnant l’opportunité à leurs élèves d’en faire l’expérience.

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«Les exercices pratiques nous rappellent que tout apprentissage comprend plusieurs facettes; il faut miser sur la pensée critique pour apprendre davantage», a souligné Berthony, enseignant haïtien.

Le séminaire a culminé avec les présentations de l’ensemble des pairs haïtiens, portant sur les nouvelles méthodes d’enseignement transmises par leurs collègues canadiens au cours des deux semaines de formation.

Une petite victoire chaque jour

C’était tout un défi culturel à relever, tant sur les plans de la communication que de la mise en œuvre des apprentissages en classe.

Même si on parle tous français, on ne pense pas tous de la même façon; la signification de certains mots change d’un contexte culturel francophone à un autre. Les formateurs devaient sans relâche vérifier si leurs audiences les avaient bien compris. Beaucoup de patience requise des deux côtés.

«Chaque jour une nouvelle petite victoire nous donne la motivation de continuer», déclarait sur place Marie Ève Larivière du Conseil scolaire Viamonde, formatrice avec Marc Goulet du Conseil scolaire catholique de district des Grandes Rivières, auprès des enseignants haïtiens de mathématiques.

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Durant mon bref séjour, j’ai fait la tournée de toutes les classes au quotidien. J’ai été frappée par l’engagement, le courage, l’enthousiasme, la constance de tous les formateurs et les apprenants.

J’ai vu les enseignants canadiens et haïtiens poursuivre le séminaire avec professionnalisme et un profond respect mutuel sans défaillir.

Obtenir un statut

Les enseignants haïtiens venaient de partout à leurs frais; certains devaient effectuer plusieurs «courses en tap-tap», soit deux heures de transport en commun aller-retour chaque jour.

«Le séminaire m’a beaucoup apporté, autant sur les plans professionnel que personnel», m’a confié Marie-Claude, enseignante et mère célibataire de cinq enfants d’âge adulte sans emplois qui vivent avec elle.

«Je gagne 10 000 Gourdes (250$) par mois. Ce n’est pas facile quand on est seule à soutenir une famille. Plusieurs autres femmes partagent mon sort. Cela m’a fait du bien d’échanger avec elles.»

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Ecclésiaste Télémaque, représentant de la Direction de la formation et du perfectionnement des enseignants d’Haïti, présent à la cérémonie de clôture du séminaire, a annoncé que la Direction se pencherait sur le statut des enseignants. Une question liée à l’avenir du pays.

On pouvait suivre le projet sur ontariohaiti2012.wordpress.com

CE QU’ILS EN ONT DIT

Les commentaires suivants proviennent de quelques-uns des membres du Groupe de travail en appui à Haïti (GTAH) récemment de retour de Port-au-Prince, suite à la réalisation du séminaire pédagogique auprès de plus de 100 enseignants haïtiens.

Chanceuse

Je me compte extrêmement chanceuse d’avoir eu l’opportunité d’aller à Haïti faire de l’andragogie, considérant que je viens tout juste de terminer mes études à l’Université d’Ottawa.

Mon expérience aux Gonaïves et à Port-au-Prince a été des plus enrichissantes sur les plans pédagogique, émotionnel et psychologique. La foi, la volonté, l’entraide et la soif d’apprendre du peuple haïtien est d’une beauté incroyable. Nous avons reçu d’eux autant de connaissances que ce que nous leur avons transmis; j’en ressors gagnante.

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C’est certain que cette expérience influencera la façon dont je vais enseigner ici au Canada, et restera à jamais gravée dans mon cœur.

Gabrielle Crête, enseignante, école de l’Enfant Jésus, Conseil scolaire de district catholique des Aurores boréales

Heureux et fier

L’enthousiasme et l’ouverture d’esprit des enseignantes et des enseignants haïtiens participant à notre formation devraient être contagieux. Ils ont fait montre de professionnalisme et de respect tout au long des deux semaines du séminaire pédagogique. Je suis très fier de mes collègues canadiens et haïtiens et très heureux d’avoir contribué à renforcer les capacités des enseignants d’Haïti, ce pays qui m’a tant donné.

Jhonel A. Morvan, agent d’éducation, Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française, ministère de l’Éducation de l’Ontario (MÉO), coordonnateur pédagogique du projet

Nouveaux amis

Nous sommes arrivés à Port-au-Prince en tant que formatrices et formateurs, nous en sommes partis amis et collègues outre-frontières, liés par cette profession qui cherche à faire évoluer la société par l’éducation.

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Pierre Gregory, agent d’éducation, Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française, MÉO

Expérience mémorable

Ce fut une expérience formidable et mémorable tant du point de vue personnel que professionnel. Revoir un pays qu’on a quitté après 40 ans, c’est toute une aventure et c’était émotionnellement éprouvant au départ.

Pouvoir participer à cet effort collectif d’amélioration des compétences d’un groupe d’enseignants haïtiens c’est hors de prix, en plus du travail et de l’esprit d’équipe qui ont régné au sein de l’équipe et rendu l’expérience d’autant plus enrichissante.

Les besoins de formation en Haïti sont immenses et la volonté de changer le système d’éducation ainsi que la profession d’enseignante et d’enseignant de la part des responsables de l’éducation sont là. Les moyens pour y parvenir ne sont pas évidents cependant, et la tâche va prendre du temps et des ressources.

C’est rafraîchissant de voir l’ouverture d’esprit et la soif d’apprendre des enseignantes et enseignants que nous avons pu toucher.

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Gabriel Osson, Conseiller principal, MÉO, coordonnateur logistique du projet

Soif d’apprendre

L’accueil des Haïtiens et Haïtiennes, leur ouverture aux nouveautés pédagogiques, leur soif d’apprendre et leur reconnaissance sont des sources d’inspiration pour tout accompagnateur et accompagnatrice franco-ontarien.

Comme individus, comme couple, nous avons tous à apprendre de leurs valeurs de base et leur espoir intarissable face à la vie. Ce fut une expérience enrichissante personnellement et professionnellement.

Julie Goulet, enseignante, Conseil scolaire catholique de district des Grandes Rivières
Marc Goulet, conseiller pédagogique, Conseil scolaire catholique de district des Grandes Rivières

Fierté et ténacité

Je suis continuellement éblouie par la fierté et la ténacité de ce peuple (d’ailleurs comme nous les Franco-Ontariens) et encore plus de leur désir de vouloir se parfaire afin de capitaliser sur les diverses pratiques pédagogiques dans le but d’augmenter la réussite de leurs élèves. 

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D’autant plus pour moi, ce quatrième voyage terminé me prouve que l’avenir de ce peuple avance petit pas à petit pas vers un avenir meilleur. 

Je suis fière d’appeler ce pays mon deuxième chez moi et j’y retrouverai à nouveau l’an prochain pour continuer cette aventure de passion et d’amour d’enseignement et d’apprentissage avec mes collègues haïtiens. 

Nou tou fé yonn…. (nous faisons tous un)

Nathalie Ladouceur, enseignante, Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien

Énergie positive

Le peuple haïtien est créateur et distributeur d’énergie positive. À travers le partage de chants, danses et prières quotidiennes, il a su nous submerger dans une oasis de paix.

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Lucie Huot Robert, éducatrice spécialisée, Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud
Denis Robert, Centre franco-ontarien des ressources pédagogiques

Dévouement

Combien de temps continueriez–vous à travailler si vous n’étiez pas certain de toucher une paye à chaque deux semaines ou même à chaque mois? Pourtant des milliers d’enseignant(e)s haïtiens se dévouent ainsi à chaque jour.

Et de plus, malgré l’insécurité financière ils sont prêt à venir assister à un séminaire de deux semaines qui leur apportera, certes, de nouvelles connaissances, mais rien de plus dans leurs poches ou leurs assiettes. Mon admiration pour leur dévouement envers leur pays et les enfants en leur charge grandit à chaque année.

Bernadette Marchand, enseignante, école Sainte-Croix, Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud

Reconnecter avec Haïti

Participer à la reconstruction d’Haïti après le tremblement de terre de janvier 2010 fut un impératif. Je suis persuadée que le développement d’Haïti passe par l’éducation de ses jeunes et c’est pour cette raison que le GTAH a voulu réalisé ce projet.

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Je suis très heureuse d’y avoir participé et surtout de pouvoir redonner un peu de mon expertise, à la communauté des Soeurs de l’Immaculée Conception qui ont façonné ma jeunesse.

C’est aussi pour moi une bonne façon de reconnecter avec mon pays natal. Je crois, qu’Haïti a besoin du soutien de ses enfants qui sont à l’extérieur et de ses amis pour relever tous ses défis.

Marie Carmel Jean-Jacques, agente d’éducation au MÉO, coordonnatrice pédagogique du projet

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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