Pour combattre les fausses nouvelles, il faut y mettre le prix

Les informations inventées très partagées sur les réseaux sociaux sont devenues le symptôme d’un problème de société.
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Publié 04/07/2017 par Pascal Lapointe

En peu de temps, le Torontois Craig Silverman s’est imposé dans le milieu journalistique comme «l’expert des fausses nouvelles». Et c’est sans enthousiasme qu’il observe l’alliance entre Facebook et quelques médias, annoncée en décembre pour combattre ce fléau: «il n’y a aucune chance que ça atteigne l’échelle à laquelle se répandent les fausses nouvelles».

Le point positif de cette alliance, poursuit toutefois ce journaliste, c’est que ça puisse servir de signal d’alarme comme quoi Facebook, après bien des hésitations, commence à prendre acte qu’elle a une grosse responsabilité sur les bras. «Mais à moins qu’ils ne dépensent des millions et des millions de dollars, il n’y a aucune chance que des vérificateurs de faits puissent atteindre ce niveau et lutter contre les fausses nouvelles en temps réel.»

Celui qui dirige depuis l’an dernier la division «médias» du magazine américain en ligne BuzzFeed et qui, à ce titre, a contribué l’automne dernier à une série de reportages sur le poids qu’ont eu les fausses nouvelles dans la campagne électorale américaine, était à Montréal en mai, invité par le 8e Congrès international sur le Web et les médias sociaux.

C’est en marge de ce congrès qu’il nous a accordé un entretien.

Craig Silverman
Craig Silverman

Symptôme d’un problème de société

Ces informations inventées et pourtant très partagées sur les réseaux sociaux sont devenues le symptôme d’un problème de société. Les reportages de Silverman et de ses collègues ont notamment appris aux journalistes — à leur grand désarroi — que les nouvelles inventées de la campagne électorale américaine avaient été plus populaires que les vraies nouvelles.

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Et ces reportages ont aussi appris… que ça peut être payant: des adolescents et de jeunes adultes de Macédoine, un petit pays voisin de la Grèce, ont reconnu avoir fait ça pour l’argent. Ils ont découvert, lisait-on dans Buzzfeed en novembre, «que la meilleure façon de générer de l’achalandage est d’amener leurs textes à être propagés par Facebook — et que la meilleure façon de générer des partages sur Facebook est de publier des contenus sensationnalistes et souvent faux».

Avec le recul, quel bilan ces reportages ont-ils eu? Une prise de conscience, dit Silverman, entre autres chez Facebook. Ainsi que, accessoirement, chez des politiciens…

Facebook tue la presse locale

À ses yeux, la lutte à cette nouvelle forme de désinformation passe par beaucoup plus qu’une poignée de médias vérificateurs de faits réagissant aux alertes que leur envoient les usagers de Facebook. S’il avait ces «millions de dollars», il les investirait dans trois choses:

– de meilleurs algorithmes pour «séparer le signal du bruit»;

– l’embauche de davantage de gens pour faire le tri dans l’information («avec 2 milliards de gens sur Facebook chaque mois, avoir seulement une centaine de personnes qui vérifient, c’est cinglé»);

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– et une aide toute spéciale à la presse locale, la grande victime de cet exode massif des revenus publicitaires vers Facebook. «La presse locale est ce qui me préoccupe le plus», parce qu’en plus de perdre des revenus comme tous les autres médias, elle est souvent réduite à un seul et unique journal ou une seule et unique salle de nouvelles télé pour toute une région.

D’où viendront ses revenus, si Facebook continue de gruger les deux tiers des revenus publicitaires? «Si vous êtes un restaurateur ou un commerçant local, la publicité sur Facebook et Google est extrêmement efficace.»

Éduquer jeunes et moins jeunes

Basé à Toronto, Craig Silverman a étudié le journalisme à l’Université Concordia. Après quelques années comme journaliste et chroniqueur (Toronto Star, Columbia Journalism Review, Globe and Mail), il a commencé à se faire remarquer par les traqueurs de désinformation et d’erreurs factuelles dès 2007, avec son livre Regret the Error puis, en 2011, avec un blogue portant le même titre, décrit par son hébergeur, l’Institut Poynter, comme «un blogue qui rapporte les erreurs et les corrections des médias».

Silverman a créé en 2014 le site Emergent, destiné à «freiner la propagation des nouvelles virales». Le projet a été mis sur la glace en 2015 lorsque Silverman a été embauché par BuzzFeed.

À défaut d’un budget illimité contre la désinformation, l’éducation aux médias devrait être intégrée dans le cursus scolaire, dit-il: apprendre aux jeunes comment se construit une information sérieuse va de pair avec les trucs et astuces sur «comment détecter une fausse nouvelle» dont il est un des nombreux promoteurs.

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Et pas seulement les jeunes. «Nous assumons que les gens dans la vingtaine, les natifs du numérique, ont une bonne compréhension du phénomène, mais je pense que c’est autant un défi pour eux que pour les plus vieux.»

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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