Peu d’espoir pour la Syrie

Au nom du père, du fils et du djihad

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Publié 10/05/2016 par François Bergeron

«Non»… C’est la réponse insatisfaisante qu’offrent le journaliste-cinéaste français Stéphane Malterre et le prof Miloud Chennoufi à la question qui taraude ceux qui se désolent de la guerre en Syrie et du terrorisme qu’elle peut exporter chez nous: «Y a-t-il un espoir, si mince soit-il, que prenne bientôt fin cette boucherie?»

À l’heure actuelle, en effet, aucune des factions en présence – le régime alaouite (chiite) de Bashar al-Assad soutenu par la Russie et l’Iran, les oppositions armées nationalistes/islamistes (des sunnites parfois aidés par l’Arabie saoudite ou les États-Unis), Daesh (des sunnites fondamentalistes syriens, irakiens et étrangers) – n’est prête à dialoguer et à céder un pouce de terrain à ses adversaires.

Suite à l’émergence en 2014 du «Califat» contre qui s’est dressée la coalition internationale à laquelle participe le Canada, la Syrie semble s’enfoncer inexorablement dans la guerre qui a éclaté quand le gouvernement a entrepris de réprimer en 2011 le soulèvement inspiré par le Printemps arabe.

Les rares «démocrates» qui auraient participé à ces manifestations ont rapidement fait place à des miliciens qui nous paraissent aujourd’hui tous plus «radicaux» les uns que les autres. Tous ces combattants – et nous aussi – sont convaincus qu’ils seraient massacrés si leurs adversaires venaient à l’emporter.

«Au mieux pouvons-nous souhaiter en Syrie une solution à la libanaise, par laquelle les parties et les minorités (y compris les Kurdes) accepteraient de participer à un gouvernement d’union», avance M. Chennoufi, sans avoir l’air d’y croire.

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Il partageait, jeudi soir, la scène du théâtre de l’Alliance française de Toronto avec le réalisateur du documentaire Au nom du père, du fils et du djihad.

L’AFT avait organisé ce débat à l’occasion de la projection de ce film, en fin de semaine, dans le cadre du festival Hot Docs. C’était la troisième fois que l’AFT invitait Miloud Chennoufi, professeur en relations internationales au Collège des Forces canadiennes à Toronto, à analyser des problématiques comme l’islamisme et la radicalisation.

«Un film comme celui de Stéphane Malterre», commente-t-il, «c’est du pain béni pour tous ceux qui enseignent et traitent de ces questions.»

Destin tragique

Au nom du père, du fils et du djihad raconte le destin tragique d’une famille franco-syrienne: père immigré dans les années 1970, fondateur d’une mosquée dans le sud de la France, mère française convertie à l’islam, fils que rien ne semblait prédestiner à la guerre sainte, mais qui est mort au combat en Syrie l’an dernier…

Pendant trois ans, le réalisateur a filmé leur histoire et les controverses qu’elle a suscitées. Car, considérée au début comme un modèle d’intégration, cette famille s’est radicalisée – notamment suite à une visite du père à La Mecque et au déménagement du fils à Molenbeek, le quartier de Bruxelles d’où proviennent plusieurs terroristes.

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C’est Stéphane Malterre qui a appris à Bassam Ayachi la mort de son fils Abdelrahman (alias Abou Hajar). Le père a accueilli cette nouvelle avec fierté, affirmant souhaiter lui aussi mourir en Syrie pour ses idéaux et sa religion.

Dans le film, Abdelrahman Ayachi se défend bien d’être un «terroriste», affirmant que le groupe armé dans lequel il s’est engagé «ne pose pas de bombes dans les marchés pour tuer des innocents». Il veut renverser la dictature d’Assad et favoriser l’avènement d’un «gouvernement islamique voulu par le peuple»…

«On ne parle certainement pas ici d’une démocratie avec des élections au sens où on l’entend en Occident», opine Miloud Chennoufi, pour qui tenter d’identifier les modérés et les radicaux dans le conflit syrien est une entreprise hasardeuse.

Le film documente, mais n’explique pas complètement, le phénomène de la radicalisation. C’est plutôt le domaine d’expertise de M. Chennoufi: «La radicalisation a besoin d’une idéologie (ici un islam rétrograde opposé au modernisme occidental) et d’un contexte propice (des griefs légitimes comme le mauvais traitement des Palestiniens, des interventions militaires américaines en Irak ou russes en Tchétchénie, ou des injustices contre les musulmans comme la persécution du voile en France).»

Pour contrer la radicalisation de certains de nos jeunes (et même celle de vieux comme Bassam Ayachi), «on doit agir sur l’idéologie et sur le contexte», affirme M. Chennoufi.

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Non-violence

Celui-ci égratigne au passage les médias qui soufflent sur les braises de l’islamophobie en invitant sur les plateaux de télé des commentateurs mal informés ou incendiaires. «On a besoin sur ces questions d’un débat sérieux et serein», plaide-t-il.

Pour le monde arabo-musulman en général, où la dictature semble la norme et la démocratie l’exception, Miloud Chennoufi propose comme «choix stratégique» la non-violence du type de celle que les Hongrois, les Tchèques et les Polonais ont opposée à l’occupation soviétique, ou encore celle de Mandela contre l’apartheid en Afrique du Sud.

C’est le seul moyen, selon lui, d’amener les régimes à s’adoucir ou à tomber sans effusion de sang. «Le choix n’est pas toujours entre dictature et démocratie, mais peut-être plus souvent entre brutalité et non-violence.»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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