Les sœurs Dionne: toute une vie pour obtenir justice

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Les jumelles Dionne ont appris très tôt à être sous les projecteurs. Ici en 1938. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
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Publié 25/05/2024 par Marc Poirier

Elles étaient cinq. 90 ans plus tard, elles ne sont plus que deux. Les soeurs Dionne ont passé leur vie entre la célébrité, l’exploitation, l’exclusion et l’injustice. Un parcours imposé dont plusieurs ont – ou auraient dû avoir – honte. Voici l’histoire très cahoteuse et très chaotique de ces enfants miracles.

En ce 28 mai 1934, la naissance des quintuplées est en effet miraculeuse. Et leur survivance, inespérée. Prématurées de deux mois, les bébés Dionne pesaient, ensemble, 13,4 livres (6 kilos) à leur naissance. La plus petite ne faisait que 1,8 livre (moins de 1 kilo).

Les jumelles identiques viennent au monde dans la ferme de leurs parents: Oliva Dionne et Elzire Legros, près de Corbeil, petit village franco-ontarien non loin de North Bay.

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Les «bébés miracles» et leur mère, Elzire Legros. Photo: Wikimedia Commons, Bibliothèque et Archives Canada/3191500, domaine public

Improvisation et ingéniosité

Les deux premières filles sont venues au monde avec l’aide de deux sagefemmes. Pour la troisième, la mère est assistée par le Dr Allan Roy Dafoe, arrivé sur les lieux entre-temps. Le médecin veillera aussi à l’accouchement des deux derniers bébés.

Le personnel médical a dû faire preuve de beaucoup d’improvisation et d’ingéniosité pour maintenir les poupons en vie. Avant l’arrivée des incubateurs, les quintuplées ont été placées près d’un four avec des bouillottes et des briques chauffées pour les garder au chaud.

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Elles ont d’abord été nourries avec du lait de vache mélangé à de l’eau bouillie additionnée d’un soupçon de sirop de maïs et d’une ou deux gouttes de rhum pour les stimuler. Puis, des femmes de la région qui allaitaient leur enfant ont fourni du lait maternel.

La probabilité d’une naissance naturelle de quintuplés (provenant d’un même ovule, sans aide artificielle à la fécondation) est de 1 sur environ 55 millions. Ce sont les premiers enfants quintuplés connus à survivre l’âge de la petite enfance.

Survivre est une chose. Avoir une enfance en est une autre.

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Le premier ministre ontarien Mitchell Hepburn avec les quintuplées Dionne. Photo: Wikimedia Commons, Bibliothèque et Archives Canada/3191913, domaine public

Exposées publiquement dès la naissance

La nouvelle de cette naissance hors du commun fait rapidement le tour du monde.

Quelques jours seulement après l’accouchement, des représentants de l’Exposition universelle de 1933-1934 à Chicago approchent Oliva pour lui demander d’«exposer» ses poupons. Sous les conseils du Dr Dafoe et du prêtre du village, le père accepte l’offre.

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Prenant conscience de l’engagement qu’il venait de prendre, Oliva annule le contrat quelques jours plus tard. Mais le mal est fait.

Le gouvernement ontarien décide de retirer la garde des enfants aux parents, qui en avaient déjà cinq avant l’arrivée des quintuplées. Le gouvernement ontarien disait vouloir notamment les protéger de l’exploitation privée.

Ce qui n’empêchera pas l’exploitation «publique»…

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De 1935 à 1943, les quintuplées ont été retirées à leurs parents et mises sous la garde du gouvernement provincial. On les voit ici en 1939 avec leurs tuteurs, leurs parents et deux infirmières. Photo: Bibliothèque et Archives Canada/Collection Helen C. Warswick/a122616

Le cirque commence

Les sœurs Dionne sont confiées à trois tuteurs, le principal étant nul autre que le Dr Allan Roy Dafoe. Les enfants sont placées dans un hôpital bâti spécialement pour elles, tout près de la maison familiale.

Les responsables autorisent les curieux à venir jeter un coup d’œil sur les enfants à travers une fenêtre de l’hôpital, où elles étaient «exposées» quatre fois par jour.

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Par la suite, le gouvernement provincial aménage une véritable galerie d’observation pour accommoder les visiteurs, de plus en plus nombreux, qui peuvent ainsi observer deux fois par jour les quintuplées à travers un grillage, presque comme dans un zoo.

Le père des jumelles tenait un petit stand où il vendait des souvenirs, comme des photos, des cuillères, des poupées et des cartes postales. Le tout formait un véritable petit site d’attractions qu’on a surnommé «Quintland».

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Terrain de stationnement pour les visiteurs venant observer les sœurs Dionne en «exposition». Photo: Bibliothèque et Archives Canada/Collection Sharon Cochrane/e010950696
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Un très grand nombre de compagnies ont utilisé les quintuplées Dionne comme outil de marketing, dont la compagnie Quaker Oats. Vers 1936-1938. Photo: Bibliothèque et Archives Canada/Collection Morris Norman/e010757030

Plus populaire que les chutes Niagara

La popularité des quintuplées explose: jusqu’à 3 000 personnes par jour défilent devant l’hôpital des sœurs Dionne. Par moments, le nombre de visiteurs dépasse celui des chutes Niagara.

On estime qu’entre 1936 et 1943, près de 3 millions de personnes sont venues voir les quintuplées, ce qui a rapporté plus d’un demi-milliard de dollars aux coffres du gouvernement de l’Ontario, l’aidant à se sortir de la crise économique de la Grande Dépression.

De son côté, le Dr Dafoe s’est aussi enrichi grâce à la renommée des jumelles Dionne. Lors de son décès, en 1943, on découvre qu’il avait amassé en honoraires pour des conférences, entrevues médiatiques, participation à des émissions radio et autres plus de 180 000 $, soit l’équivalent de plus de 3 millions $ d’aujourd’hui.

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Quintland attire aussi de grands acteurs américains, dont Clark Gable, James Stewart, Bette Davis, Mae West et James Cagney, de même que l’aviatrice Amelia Earhart, venue six mois avant son vol fatidique.

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Les jumelles Dionne en 1952. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Leur image est vendue à qui veut bien l’acheter

Il semble que l’exposition publique de l’hôpital ne suffisait pas. Les fillettes figureront dans des publicités d’une multitude de compagnies: Lysol, Palmolive, Colgate, Quaker Oats, lait Carnation et bien, bien d’autres.

Elles ont participé à trois films d’Hollywood (deux en 1936 et un en 1938). En gros, elles ont été filmées à l’hôpital en train de jouer ensemble. Un documentaire intitulé Five Times a également été réalisé en 1940 et a obtenu une nomination aux Oscars l’année suivante.

Pendant tout ce temps, les parents tentaient de ravoir la garde de leurs enfants, ce qu’ils ont finalement réussi à obtenir en 1943, alors que les fillettes avaient 9 ans.

La famille déménage alors dans une grande maison de 20 pièces à proximité. Le tout est payé grâce à un fonds de fiducie mis sur pied par l’Ontario pour financer les dépenses liées aux jumelles Dionne. Le fonds reçoit des montants payés pour des droits de publication ou encore une partie des profits de la vente de produits dérivés.

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Mais les sommes reçues disparaissent en bonne partie parce que la province pige dans le fonds pour payer par exemple les dépenses des photographes, la nourriture des quintuplées et autres. Au bout du compte, la famille ne touche que 746 $ par mois.

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Photo: Yvonne, Cécile et Annette Dionne en 1999. Wikimedia Commons, Bibliothèque et Archives Canada/3608305, domaine public

Justice finalement obtenue à l’âge de la retraite

Les quintuplées Dionne ont passé leur vie à tenter d’obtenir compensation pour leur traitement et leur exploitation.

En 1998, le premier ministre ontarien Mike Harris a offert 2 000 $ par mois à vie à chacune des trois survivantes (Émilie étant décédée en 1954 et Marie en 1970). Elles ont considéré cette offre comme une insulte. Elles réclamaient plutôt 10 millions $.

Finalement, une semaine plus tard, une entente est conclue: les trois sœurs obtiennent 4 millions $, ainsi que des excuses publiques du gouvernement. Elles ont alors 63 ans.

Une troisième sœur, Yvonne, décède en 2001. Les deux survivantes, Annette et Cécile, qui vivent aujourd’hui à Montréal, s’apprêtent à célébrer leur 90e anniversaire. Elles seront honorées par la municipalité de North Bay.

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