Un tableau mystérieux

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Publié 01/09/2009 par Gabriel Racle

C’est un petit tableau représentant une vierge et deux enfants, qui a fait sensation cet été au Japon, exposé au dernier étage de la tour Fuji à Tokyo, dans une petite cage en verre sécurisée et climatisée, que des milliers de Japonais curieux sont venus regarder. Une émission de télévision d’une chaîne japonaise le concernant avait eu une audience exceptionnelle et suscité l’intérêt du grand public.

Une curieuse histoire

L’histoire récente de ce petit tableau explique ce succès, avec un coup de pouce du cinéaste François Truffaut, qui a mis en relation les producteurs japonais et les trois héros d’une étrange aventure artistique.

Ces trois héros sont des amis, amateurs d’art qui, en octobre 1998, achètent un petit tableau sans prétention chez un brocanteur du village médiéval français de Laroque, bâti sur un piton rocheux, dans la région du Languedoc-Roussillon, aux portes sud des Cévennes.

Le tableau vaut alors 1500 francs (environ 350 $), mais «la lumière particulière de cette Vierge aux deux enfants avait attiré l’œil de trois amateurs d’art».

Après avoir acheté le tableau, à force de l’observer, ils ont conclu que manifestement cette œuvre était très ancienne. Commence alors leur enquête passionnée pour tenter d’en retrouver l’auteur, une enquête qui n’est pas terminée et soulève des controverses parmi les experts, car la grande question posée est d’une portée considérable: ce tableau est-il de Léonard de Vinci? C’est l’enjeu de la recherche.

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Le tableau

Appelé provisoirement La Madone de Laroque, le tableau qui a subi les dommages du temps, et n’a pas fait l’objet de beaucoup de précautions dans ses pérégrinations, est un panneau de peuplier d’une seule planche de 0,48 x 0,59 cm, coupé, usé, repeint et ovalisé. Pour apposer sa peinture à tempera, l’artiste a choisi de recouvrir le bois d’une fine toile de lin. C’est un indice qui oriente vers Léonard et son école.

Le tableau représente la Vierge assise, tête penchée, qui allaite son enfant, couché sur ses genoux, jambes croisées, tandis que Jean-Baptiste se tient debout à leurs côtés. La main droite de Marie soutient l’enfant, la gauche est posée sur les épaules de Jean.

L’enfant est nu, la Vierge est habillée d’un corsage «transparent», d’une robe rouge peut être, et d’un manteau bleu à la doublure jaune. Jean est revêtu d’une tunique gris-bleu. L’œuvre évoque, notent les spécialistes, des compositions léonardiennes (de Léonard) ou léonardesques (élèves, imitateurs)), comme La Vierge aux rochers, les Vierges au fuseau et la Madone Litta, (attribué à Giovanni Antonio Boltraffio, d’après un dessin préparatoire de Léonard de Vinci).

Les recherches

Ce sont les acheteurs qui les font faire à leurs frais. «Nous avons payé de notre poche toutes les expertises. Y a-t-il un seul tableau
sur le marché qui subisse autant d’enquêtes historiques et d’analyses scientifiques ?», déclare l’un des trois propriétaires.

Le petit tableau n’a jamais été exposé en France, une seule fois dans l’église du village de Vinci, où le grand maître Léonard a été baptisé en 1452. Curieusement ou dédaigneusement, les experts du musée du Louvre, à Paris, ont toujours refusé d’examiner le tableau.

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Les experts

Les experts italiens s’opposent. Pour le directeur du Museo Ideale de Vinci, situé à Vinci même, Alessandro Vezzosi: «C’est absurde de dire que Léonard a peint ce tableau. On peut peut-être dire que c’est de l’école de Léonard mais on ne peut pas parler de Léonard de Vinci lui-même.»

Par contre, le plus grand spécialiste mondial de Léonard, Carlo Pedretti, confirme l’attribution au maître: «Cela me fait penser à un Giampietrino (le meilleur élève de Léonard)..»

Il y a bien au musée de São Paulo un tableau attribué à Giampietrino, représentant la même scène, mais le trait est beaucoup plus maladroit que celui de La Madone de Laroque.

Et ce même spécialiste a identifié un tableau ayant une histoire plus ou moins semblable, pour ce qui est de son identification: Marie-Madeleine, une huile sur bois de peuplier datant de 1515, attribuée d’abord à un élève de Léonard: «J’accompagne Léonard depuis tant d’années que je sais quand il intervient. Ici, je suis sûr que la facture va bien au-delà de ce que pouvait faire son meilleur élève», avait-il déclaré à propos de ce tableau. (L’Express, 17 juin 2008)

À l’automne dernier, une historienne d’art, Maïke Vogt-Lûerssen, a catégoriquement établi que ce tableau était bien de la main de Léonard, en se basant sur des études de symboles. Selon elle, la signature symbolique de Léonard de Vinci se trouverait dans le diadème de la vierge.

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Qui a raison? L’enjeu est de taille. Si La Madone de Laroque était du maître, le tableau vaudrait plusieurs dizaines de millions de dollars. Affaire à suivre donc.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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