Parlons chanson avec… Richard Desjardins

Richard Desjardins (Photo: Michel Dompierre)
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Publié 21/03/2017 par Dominique Denis

Quand il est question de Richard Desjardins, il est difficile – pour ne pas dire impossible – de faire la part entre l’artiste, l’homme, le citoyen et l’empêcheur de tourner en rond… Les étudiants de Parlons chanson ont donc choisi d’aborder toutes ces facettes de front lorsqu’ils ont questionné Desjardins au sujet de Notre-Dame des Scories, une des chansons-phares de cet album incontournable qu’est Kanasuta.

En tant que documentariste et auteur-compositeur, vous abordez souvent les mêmes problématiques dans ces deux formes, comme c’est le cas des questions liées à l’exploitation minière. Comment le documentariste influence-t-il l’auteur-compositeur, et vice versa?

Je ne crois pas «aborder souvent les mêmes problématiques dans ces deux formes», comme vous dites. C’est plutôt rare, en fait. Cela dit, je suis né dans la cour d’une fonderie de cuivre où les humains constituaient les seules choses vivantes autour de moi, tellement c’était pollué. Ça a dû m’impressionner, faut croire.

Mais avant d’être documentariste ou artiste, je me considère comme un citoyen. Arrivé à l’âge adulte, je me suis rendu compte que je ne connaissais rien de cette énorme usine. Qui la détenait, où le cuivre s’en allait une fois coulé, etc. Cette ignorance était d’ailleurs répandue dans toute la population qui se contentait d’avoir une job. Je me suis mis à me questionner et aussi à questionner les autres.

Et si je suis documentariste, c’est peut-être aussi parce que j’ai toujours voulu passer du temps avec mon grand ami Robert Monderie, un formidable photographe que je connais depuis l’âge de douze ans. Il m’a entrainé vers le cinéma documentaire… et je me suis laissé faire. À mon grand plaisir.

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kanasuta

À l’époque des premières grèves des mineurs en Abitibi, le mouvement syndical répondait à un besoin urgent. Pensez-vous que les syndicats ont encore un rôle important à jouer dans le monde du travail d’aujourd’hui?

Sûrement. Les patrons d’entreprises se réunissent en associations, les commerces en «chambres», les actionnaires de compagnies se rencontrent annuellement. Ils ont tous un intérêt commun: faire plus d’argent. À l’autre bout de cette réalité, les travailleurs n’ont que leur «union» pour défendre leurs salaires et constamment rappeler aux gouvernements que leurs conditions de travail doivent être protégées par des lois.

Je vois bien que le syndicalisme est en perte de vitesse. Il s’est au départ développé autour des grands chantiers où plusieurs hommes travaillaient ensemble et parlaient entre eux. Il était plus facile de construire une solidarité. Aujourd’hui, le travail est plus morcelé, plus disséminé dans toutes sortes de domaines nouveaux. Plus précaire aussi. De plus en plus de gens travaillent à la maison. De sorte que de nouvelles formes de solidarité vont devoir s’inventer. Via les réseaux sociaux, peut-être…

Dans les villes minières du Nord, l’Église catholique soutenait-elle activement les travailleurs pendant leurs conflits avec les employeurs? Le clergé a-t-il eu une influence plutôt positive, plutôt négative, ou était-il impuissant?

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L’Église catholique a farouchement pris partie pour les employeurs qui, parfois, meublaient ses presbytères, gratos. Elle a toujours considéré les syndicats comme des bandes de méchants communistes étrangers et, qui plus est, athées. Je me souviens très bien du curé de ma paroisse qui, à la veille d’un vote de grève à la fonderie, intervenait directement dans son sermon dominical pour décourager les travailleurs à se former en syndicat.

Richard Desjardins (Photo: Victor Diaz Lamich)
Richard Desjardins (Photo: Victor Diaz Lamich)

Croyez-vous qu’il est possible d’exploiter les ressources naturelles du Nord tout en respectant l’environnement et les droits des autochtones?

Absolument. Mais il y a beaucoup, beaucoup de travail à faire. En ce pays, les ressources naturelles sont par définition «publiques». Nous en sommes propriétaires, chacun de nous. Un cas rare au monde. Ce sont nos gouvernements qui en sont les gérants, en notre nom. Mais ils ont de tous temps concédé l’exploitation de ces richesses à des entreprises privées en échange de minuscules redevances. À Val d’Or, une épinette noire leur est attribuée pour 25 cents.

Je travaille au sein d’Action boréale, une association indépendante qui milite pour l’établissement d’une foresterie intelligente et pour la protection de territoires naturels. Nous soumettons régulièrement au gouvernement des propositions en ce sens. La première chose qu’il fait, c’est de demander aux compagnies si elles ont des objections à nos propositions…

Si les lois environnementales étaient respectées avec une certaine intégrité, les dirigeants miniers seraient tous en prison. L’univers de nos ressources naturelles est régi par de bons principes, en général. Mais leurs applications sont constamment ralenties, enrayées, dénaturées par les forces économiques corporatives.

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Quant aux Autochtones – qui n’ont obtenu le droit de voter qu’en 1970 – ils vivent encore là où on les a tassés en 1874: dans des réserves. Une honte, reconnue par les Nations Unies. Malgré les lois récemment promulguées en leur faveur, ils n’ont pas encore – sauf une exception en Colombie-Britannique – obtenu le droit de cogérer les ressources naturelles de leurs propres territoires.

Ceux de mon coin, les Algonquins, n’ont jamais signé aucun traité avec quelconque gouvernement concernant l’abandon de leurs titres fonciers. De sorte que les terrains où se trouvent le Parlement fédéral et la Cour suprême du Canada sont toujours les leurs. S’ils en avaient les moyens, les Algonquins pourraient les exproprier!

Dans cette chanson Notre-Dame des Scories, l’image du vol imaginaire au-dessus de la ville est très forte. Y a-t-il eu quelqu’un dans votre enfance qui vous a encouragé à développer et ne pas perdre votre imagination?

C’est un rêve récurrent depuis que je suis petit: m’envoler dans une boîte à savon. Mais je n’y arrive que rarement, à cause des fils électriques qui me font peur… Mes frères et ma sœur sont tous des artistes à leur manière. Ma mère jouait prodigieusement du piano, mon père chantait. Tout ça a joué, c’est sûr.

J’ai suivi des leçons de piano à partir de neuf ans. Puis j’ai abordé la musique pop. Mon grand frère, qui chantait bien et aimait la chanson française, voulait que je l’accompagne au piano. Comme les partitions n’étaient pas disponibles, j’ai dû retranscrire la musique à l’oreille et surtout réduire toute la musique d’un orchestre pour un seul piano. J’ai beaucoup découvert par cette expérience.

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Mais je connais un tas d’artistes qui se sont construits tout seuls. Par courage, volonté et surtout… passion.


Notre-Dame des Scories

Plus rien ne nous protège

Notre-Dame s’est pendue

Le facteur dans l’blanc d’neige

Sous les bills passé dus

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La grève, la grève, la grève…

C’est mauvais comme de l’or

C’est tout coulé dans’haine

Tu veux voir des trésors

Des vrais trésors

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Sont là, su’à picket line

Courage, camarades!


Entrevue réalisée par les étudiants du cours de français langue seconde Parlons chanson avec Dominique Denis. Pour en savoir davantage sur ce cours, rendez-vous sur le site www.dominiquedenis.ca


À lire aussi dans L’Express: les autres articles de la série Parlons chanson avec…

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