Victimes de viol : la musique pour réparer l’âme

Le docteur congolais et le musicien canadien

victimes viol
Darcy Ataman au Congo, en compagnie de Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018.
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Publié 07/11/2018 par Marie Berckvens

Le docteur Denis Mukwege a reçu le prix Nobel de la paix le 5 octobre dernier. «L’homme qui répare les femmes» a croisé en 2011 le chemin d’un Winnipégois, le producteur musical Darcy Ataman, tout aussi dévoué à la cause des femmes violées.

Depuis plus de 20 ans, le gynécologue Denis Mukwege soigne les victimes de sévices sexuels et de mutilations génitales en République démocratique du Congo. Ses patientes, qui exigent plusieurs interventions chirurgicales, sont détruites physiquement et moralement.

Après avoir réparé le corps, que reste-t-il de l’âme?

Les femmes composent et chantent

Dans la province du Sud-Kivu, dans un hôpital de Bukavu, Darcy Ataman a développé un programme musical appelé Healing in Harmony, en français, Guérir en harmonie. Les femmes survivantes d’un viol écrivent leurs propres compositions, puis les chantent. Ensuite, leurs créations sont enregistrées dans un studio aménagé par Darcy Ataman.

«Les femmes qui ont vécu un viol ont des difficultés à parler de ce qui leur est arrivé. Là-bas, en Afrique, la culture musicale est omniprésente. Dans la zone de conflit, ces femmes sont très affectées. Mais au moins, leur capacité de chanter les emporte loin de toute cette agitation. Et en plus, ça ne leur coûte rien.»

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Darcy Ataman avait rencontré le docteur Denis Mukwege dans un hôpital de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu. «Beaucoup de personnes viennent dans la zone de conflit, prennent des photos et ne reviennent jamais. Ça m’a pris longtemps pour prouver au docteur que je venais pour de bonnes raisons.» Cette année-là, ils décident de travailler ensemble.

Réduire le traumatisme

Un projet qui prend du temps, mais donne déjà des résultats concrets. «Ça prend deux ans pour que les femmes survivantes puissent avoir leur chirurgie pour se sentir à nouveau entières. C’est à cette étape de leur vie que nous intervenons, après le soin.»

«À travers le modèle musical qu’on a créé, on réduit le traumatisme. On travaille sur le syndrome post-traumatique, les effets des dépressions. On aide ces femmes à se réintégrer dans la communauté, en parlant des atrocités qu’elles ont vécues.»

Déjà, 2500 femmes ont participé au programme. Avec émotion, Darcy Ataman se souvient de l’une d’elles: «Cette dame avait donné naissance à deux bébés nés de deux viols différents. Le premier a été envoyé à sa grand-mère dans le village. Lorsqu’elle a mis au monde le deuxième, elle avait dit qu’elle n’arriverait jamais à aimer ce bébé. La communauté l’a poussée et aidée.»

«Avant de monter sur scène, elle a pris le bébé. On est tous restés bouche bée. Elle a donné un magnifique concert et interprété des chansons qu’elle avait écrites. La communauté célébrait son histoire en chantant et dansant. En prenant le bébé avec elle, elle a donné sa chance à cet enfant.»

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Bouleversé par les inégalités

Bouleversé par les inégalités entre les pays africains et les pays industrialisés dès son premier voyage, le producteur musical sentait qu’il n’avait qu’un choix: agir.

«J’ai réalisé que nous sommes complices, d’une certaine façon. Ces femmes travaillent dans les mines. La plupart des viols se déroulent dans ces mines. Et les minéraux qu’elles récoltent sont un élément de nos téléphones portables. Il y a des connexions entre elles et notre quotidien.»

Darcy Ataman n’entend pas s’arrêter là. Avec le docteur Mukwege, ils vont ouvrir d’autres studios de musique, en Guinée, en Afrique du Sud et en République centrafricaine. Il aimerait également servir l’humanité d’ici, en ouvrant un centre en Amérique du Nord.

«Je suis un homme, je ne peux pas parler au nom des femmes. Mais je suis sûr qu’ici aussi, il y a beaucoup de traumatismes qui ont besoin d’être pris en compte, d’être évacués.»

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