Une réalité oubliée: l’insécurité alimentaire

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Distribution de pain gratuit à la Cité francophone d’Edmonton par les bénévoles de CANAVUA.
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Publié 27/02/2019 par Lucas Pilleri

Fragilisés par les aléas de l’économie, une aide gouvernementale inadéquate ou des revenus insuffisants: trois millions de Canadiens ne mangent pas à leur faim. Enjeu de santé publique, y compris chez les francophones, l’insécurité alimentaire fait l’objet d’une étude récente qui vise à sensibiliser les pouvoirs publics en milieu minoritaire.

Visages de l’insécurité alimentaire des francophones des Maritimes, une nouvelle recherche de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML) se penche au plus près des francophones affectés par l’insécurité alimentaire, c’est-à-dire une alimentation inadéquate ou incertaine à cause d’un manque d’argent.

Grâce à une série de 34 entretiens, l’étude qualitative publiée fin 2018 permet de mieux cerner la réalité des populations. «C’est très rare d’avoir des recherches comme celle-là, surtout auprès des francophones», confie Dominique Pépin-Filion, l’un des chercheurs de l’étude. Les personnes interrogées sont des francophones du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard.

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La banque alimentaire La Boussole à Vancouver.

Un sujet peu abordé

«Le premier objectif était de combler un certain vide», traduit le scientifique. Mais aussi de contrebalancer un portrait parfois trop favorable, «un peu en réaction avec le discours que les francophones sont pour la plupart bilingues et ont donc de la réussite sur le marché du travail».

Les moyennes statistiques cacheraient ainsi de nombreuses situations de précarité.

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«C’est une question de solidarité pour la minorité. Les questions d’inégalités socioéconomiques sont très actuelles», souligne le spécialiste. La recherche est d’ailleurs financée par le Consortium national de formation en santé (CNFS) qui veille à améliorer la santé des Franco-Canadiens.

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Distribution de denrées invendues dans les épiceries de Vancouver, dont des fruits et légumes.

Les visages de l’insécurité

Premier constat: insécurité alimentaire et pauvreté vont de pair. La moitié des personnes interrogées dans l’étude percevait moins de 10 000 $ par an. Certains disposaient même de moins de 5000 $.

Des chiffres à rapprocher des salaires minimums de 11 $ de l’heure en Atlantique, les plus bas au pays, alors que le cout des aliments, lui, progressera encore de 1,5 à 3,5 % en 2019 selon le Rapport canadien sur les prix alimentaires à la consommation.

Parmi les ménages à faibles revenus, on retrouve les mères monoparentales, les personnes seules ou les femmes s’occupant de membres de leur famille, les prestataires d’aide sociale et les travailleurs pauvres au revenu minimum.

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Lily Crist, directrice générale de la banque alimentaire La Boussole à Vancouver.

Un cercle vicieux

Selon Lily Crist, directrice générale de La Boussole, centre communautaire et social basé à Vancouver, une population grandissante fait appel aux banques alimentaires au Canada.

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«C’est de plus en plus généralisé: on a des travailleurs, des étudiants qui ne survivent pas, des personnes vieillissantes à revenu fixe, ou des personnes qui manquent de réseau», atteste-t-elle.

Pire, Lily Crist note que les enfants sont surreprésentés. Dans plusieurs écoles francophones de Vancouver, des programmes d’aide apportent des repas aux jeunes en situation de pauvreté. «Ça commence à l’école et ça se poursuit dans la vie de tous les jours», précise-t-elle. Selon le Bilan-Faim 2018 du Réseau des banques alimentaires du Canada, 35% des 850 000 bénéficiaires sont des enfants.

«Seulement une personne sur cinq dans le besoin va vers [les banques alimentaires ou les soupes populaires], par honte ou non-accessibilité géographique.»

 

La précarité est accrue dans les centres urbains qui s’embourgeoisent. «Dans le Grand Vancouver, la problématique est similaire à Toronto avec des loyers très dispendieux et des revenus pas si faramineux que ça», analyse la responsable. Souvent, les loyers atteignent de telles sommes qu’un salaire horaire de 20$ ne permet pas de s’en sortir.

Et l’alimentation, «c’est là où on coupe en premier», lâche Dominique Pépin-Filion.

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Résultent alors des problèmes de santé qui bousculent un équilibre déjà précaire. «Les gens témoignent d’un véritable cercle vicieux. La santé se détériore au point que la personne perd sa capacité de mouvement et de préparation de sa propre nourriture», relate le chercheur.

Rationnements, privations, aliments peu nutritifs, voire mauvais pour la santé, sans oublier stress chronique, dépression et angoisse: le quotidien mêle alors problèmes de santé physique et mentale.

Revenus des ménages pauvreté

Le dernier recours

Face à la crise, les personnes mettent en place des stratégies d’autosuffisance, comme le troc ou l’autocueillette. Mais lorsque cela ne suffit plus, ils recourent à de l’aide extérieure, d’abord de la famille et des proches, puis de structures sociales comme les banques alimentaires ou la soupe populaire.

«Seulement une personne sur cinq dans le besoin va vers ces services, par honte ou non-accessibilité géographique», observe le chercheur à l’ICRML.

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Distribution de denrées invendues par des boulangeries, pâtisseries et autres entreprises locales à Vancouver par La Boussole.

L’isolement peut aggraver les choses

Si l’étude montre que la langue de service n’est pas un enjeu pour les répondants, certains croient malgré tout que le français est un plus.

«C’est mieux qu’ils soient servis par des francophones. Ils se font mieux entendre et comprendre, et se sentent beaucoup plus à l’aise pour demander plus de services. On découvre d’autres besoins connexes», avance Dicky Dikamba, directeur général et fondateur de Canadian Volunteers United in Action (CANAVUA) à Edmonton, qui, chaque mercredi depuis 2012, offre des denrées en français à une vingtaine de familles, ce qui représente environ 120 personnes.

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Dicky Dikamba, fondateur et directeur général de Canadian Volunteers United in Action (CANAVUA) à Edmonton.

L’isolement en milieu minoritaire peut aussi aggraver les choses. «Le fait de ne pas avoir de communauté soudée fait qu’on souffre doublement de cette insécurité alimentaire», relève Lily Crist. La Boussole intervient ainsi en redistribuant une fois par semaine les invendus de restaurateurs et commerçants locaux, disposant même de fruits et légumes biologiques. «On a souvent une file de 40 personnes», regrette-t-elle.

3,2 millions de Canadiens

D’après un rapport du groupe de recherche PROOF de l’Université de Toronto, 3,2 millions de Canadiens souffrent d’insécurité alimentaire.

Si aucun chiffre n’existe pour les francophones, Dominique Pépin-Filion espère que les politiques publiques suivront les recommandations des experts: réformer les taux d’aide sociale, augmenter le revenu minimum, et améliorer la qualité et la quantité des aides alimentaires.

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Les taux d'insécurité alimentaire pauvretépauvreté enfant

Auteur

  • Lucas Pilleri

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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