Une féministe au pays des hommes

Première torontoise du documentaire The Red Pill

Cassie Jay (écran au centre) et (sur la scène) Vanessa Fisher blogueuse et auteure, Patrick Bisset, journaliste indépendant, Denise Fong, responsable de l’UofT Men’s Issues Awareness Society, Justin Trottier, directeur général de l’Association pour l’égalité.
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Publié 06/12/2016 par Charles-Antoine Rouyer

Une féministe américaine et réalisatrice de films lancée dans une recherche sur la culture et l’apologie du viol des femmes finit par tourner un documentaire sur le mouvement des droits des hommes. Au fil de plus de trois ans de recherches, elle va se retrouver confrontée à une profonde remise en question personnelle de ses propres convictions en matière d’égalité des hommes et des femmes.

Le film The Red Pill raconte le parcours intérieur difficile de Cassie Jay, une actrice devenue réalisatrice. Le documentaire de 1 h 57 était présenté à guichet fermé en première torontoise vendredi dernier à l’Université de Toronto, dans le cadre d’une tournée pancanadienne — alors que la projection prévue à Ottawa le 4 décembre a failli être annulée à cause de protestations locales.

Après la projection, la réalisatrice, présente via vidéoconférence, a répondu aux questions du public (400 personnes, dont une centaine de femmes), pour une soirée au final qui n’a pas tourné à la foire d’empoigne.

«C’est l’un des documentaires les plus artistiques et éthiques que j’ai eu la chance de voir. Vous avez tout présenté sans aucun filtre et je n’ai perçu aucun parti pris», a dit une spectatrice à l’issue de la projection du film, qui effectivement donne aussi bien la parole aux militants pour les droits des hommes qu’à leurs détracteurs féministes.

«Merci Cassie. C’est un film très intéressant», a dit une autre spectatrice qui s’est empressée de souligner: «Je suis une féministe et je suis aussi ici pour apprendre. Pour entendre un autre point de vue. Il y a des choses dans le film avec lesquelles je suis d’accord. Et d’autres avec lesquelles je ne suis pas d’accord.»

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Interrogée sur la possibilité de créer des ponts entre le mouvement pour les droits des femmes et celui pour les droits des hommes, Cassie Jay a répondu: «L’un de mes gros objectifs avec ce film est d’essayer d’éduquer les gens et de les mettre à jour sur la nature des enjeux qui touchent les hommes. La discussion est la clé. Et l’éducation est primordiale. J’espère que ce film pourra être vu par des féministes et par des gens qui n’ont jamais pensé aux enjeux qui touchent les hommes.»

Sans étiquette

«Ce film a changé ma vie», a résumé Cassie Jay, qui a reconnu avoir été particulièrement surprise au fil de sa démarche, car elle pensait au départ rencontrer «des groupes de misogynes qui veulent revenir en arrière contre les femmes».

Finalement, au bout de deux ans et demi d’entrevues avec des hommes victimes de violences domestiques, de pères attentionnés éloignés de leurs enfants par les tribunaux, d’une vidéo sur la circoncision d’un bébé sans anesthésie, la jeune actrice, autrefois confrontée au machisme de Hollywood, «a abandonné l’étiquette de féministe».

«J’essaie d’être sans étiquette pour le moment», a-t-elle précisé. «Je ne suis pas une militante. Je suis une réalisatrice de films. Une journaliste. Mais j’étais une féministe et j’ai laissé tomber cette étiquette en tournant ce film. Je continue de soutenir les droits de la femme, l’émancipation des filles. […] Mais je n’ai pas d’étiquette.»

Par contre, la réalisatrice de 30 ans ne mâche pas ses mots lorsqu’elle est interrogée par une spectatrice sur la manière de parler aux éléments les plus radicalisés du mouvement des droits des femmes. «Je pense que ce qui a fissuré mon épaisse carapace féministe, c’est lorsque j’ai commencé à analyser mes propres vues sexistes envers les enjeux qui touchent les hommes, et que j’ai commencé à me demander: ‘Pourquoi est-ce que j’ai ce mur qui se dresse lorsque je pense aux hommes victimes de violence domestique?’. J’ai commencé à voir mon parti pris contre les enjeux des hommes.»

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«Je pense qu’en quelque sorte, il faudra arriver à amener les féministes radicales à remettre en question leur point de vue sexiste envers les hommes», conclut Cassie Jay.

La cave de verre

Le titre du documentaire de Cassie Jay, The Red Pill, vient d’un article d’un militant pour les droits des hommes inspiré lui-même par le film The Matrix, où le personnage principal peut choisir d’avaler une pilule bleue et rester dans un monde d’illusion, ou choisir une pilule rouge pour voir la vérité qui se cache derrière la «matrice».

The Red Pill s’efforce ainsi de lever le voile sur les difficultés que connaissent nombre d’hommes, de pères et de garçons, entrecoupé d’extraits du journal intime vidéo de la réalisatrice: des confidences à la caméra au fil des années du tournage, où Cassie Jay s’auto-analyse, parfois au bord des larmes.

Une première partie évoque l’homme jetable. Autrement dit, la vie des hommes pèse moins lourd que celle des femmes. L’espérance de vie des hommes est inférieure de 5 ans au moins. Près de 93% des décès par accident du travail aux États-Unis touchent les hommes. La quasi-totalité des morts à la guerre est des hommes. Quatre suicides sur cinq toucheraient les hommes. Les hommes sont condamnés à des peines 63% plus longues que les femmes pour un même crime (une différence encore plus marquée qu’entre les Afro-Américains et les Caucasiens.)

Il existe certes un «plafond de verre» (le travail des hommes valorisé davantage que celui des femmes), mais aussi une «cave de verre» (la vie des femmes valorisée davantage que celles des hommes).

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La seconde partie évoque la douleur des pères séparés de leurs enfants par les tribunaux en cas de divorce ou de séparation. Mais aussi les cas d’usurpation de la paternité (soit un enfant né d’un adultère caché au père de famille), voire lorsque des pères ont été trompés par leur conjointe qui tombe enceinte à leur insu (et qui n’ont aucun recours légal).

La troisième partie aborde la question de la violence domestique et du harcèlement sexuel des hommes par les femmes, et s’interroge: si aux États-Unis, 43% des victimes des violences domestiques sont des hommes, pourquoi n’existe-t-il qu’un seul refuge pour hommes et plus de 2000 établissements pour accueillir des femmes?

La dernière partie cherche à comprendre pourquoi le mouvement pour les droits des hommes est si décrié et combattu par certaines franges féministes, au lieu de collaborer tous ensemble.

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