Slogans bilingues: une nécessité?

Jouons avec notre langue

rightfiers french-ment bon
Le slogan des Jeux de la francophonie canadienne 2017 et celui d'une activité de l'AFO.
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Publié 14/04/2018 par Lucas Pilleri

French ton vote, Right Fiers, French-ment bon… Les slogans bilingues se multiplient. Loin de faire l’unanimité, leur usage semble pourtant répondre à un besoin chez les francophones du Canada anglais: jeunes, politiques, apprenants… Beaucoup plaident pour la cohabitation des deux langues officielles.

Le slogan French ton vote a été utilisé en automne 2011 par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), dans le cadre des élections provinciales. Le but: mobiliser les francophones à exercer leur droit de vote.

«On a un pouvoir politique», souligne Carol Jolin, président de l’AFO, rappelant au passage que le vote francophone représente dans plusieurs régions ontariennes jusqu’à 30% de l’électorat. «Ça dit aux politiciens de s’assurer d’avoir des politiques pour les francophones», ajoute-t-il.

Plus récemment, c’est le slogan Right Fiers, utilisé lors des Jeux de la francophonie 2017 à Moncton-Dieppe, qui a défrayé la chronique. Pour Sue Duguay, vice-présidente du conseil de direction de la fédération organisatrice des jeux, la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), «il y a un manque de compréhension» à l’égard de cet usage.

Elle précise que «ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont choisi le slogan», dans le respect du mandat «par et pour les jeunes» de la Fédération.

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Sue Duguay

Le bilinguisme en avant

Que les jeunes choisissent d’utiliser un slogan maniant les deux langues officielles est assez logique pour Carol Jolin. «On est en situation minoritaire. Si on veut être capables de rejoindre nos publics cibles, il faut pouvoir s’exprimer dans les deux langues», soutient-il.

Pour le dirigeant de l’AFO, le bilinguisme est clairement un atout. «Avoir nos jeunes capables d’œuvrer dans deux langues, parfois trois ou quatre, c’est une richesse.»

Cet entremêlement du français avec l’anglais se retrouve aussi en politique. «Les politiciens doivent s’assurer qu’ils ont des liens avec les francophones, qu’ils comprennent leurs enjeux et leurs défis», observe Carol Jolin.

Au niveau professionnel, la «main-d’œuvre bilingue qualifiée» est de plus en plus recherchée. Enfin, dans l’éducation, le président de l’AFO rappelle que l’Ontario compte 100 000 étudiants en écoles francophones et 200 000 étudiants en immersion. Et de conclure: «À Toronto, si tu ne parles qu’une seule langue, tu es minoritaire!»

Carol Jolin

Clin d’oeil inclusif

Pour Ali Reguigui, linguiste au département d’études françaises à l’Université Laurentienne, il est naturel d’employer des slogans bilingues. «La langue, c’est comme un être humain, elle est vivante, elle interagit avec son milieu». Il perçoit, notamment en politique, leur usage comme «un clin d’œil inclusif».

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Mais si le bilinguisme est « une richesse », c’est sa forme additive qu’il faut défendre, selon le professeur. « Le bilinguisme additif est un type de bilinguisme dans lequel la langue maternelle est autant valorisée que la langue seconde. On est capables de maîtriser les deux langues et de se prévaloir de la richesse des deux langues. Alors qu’avec le bilinguisme soustractif, la langue maternelle n’est pas valorisée, ce qui aboutit à l’aliénation et à l’assimilation », explique-t-il.

Pour Sue Duguay, qui est aussi présidente de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, identités francophone et bilingue ne s’opposent pas fatalement. «Ce n’est pas parce qu’on s’identifie comme bilingue ou francophone qu’on ignore l’un ou l’autre. On s’en va tous dans la même direction», estime-t-elle.

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Ali Reguigui

Aspect ludique

L’utilisation de slogans bilingues est aussi une façon de lutter contre l’insécurité linguistique pour Carol Jolin. «J’ai été 30 ans dans le domaine de l’éducation, avec des jeunes issus de milieux exogames ou anglophones, et à force de les reprendre, ils finissent par ne plus parler français», prévient-il.

À la FJCF, on préfère parler de «sécurité linguistique», afin de donner un aspect positif à la question. «On permet aux jeunes de s’exprimer de la façon dont ils le souhaitent, en dépit des accents, et des différentes réalités régionales. Ils prennent conscience que Right Fiers est une façon possible de s’exprimer», relève Sue Duguay.

Le linguiste Ali Reguigui y trouve aussi un «aspect ludique» non négligeable.

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«Si on refuse aux jeunes de pouvoir jouer avec la langue, on va leur enlever le goût de la pratiquer, de la parler et d’en être fiers», avise-t-il. Ces usages traduiraient ainsi le profil des jeunes en 2018. «La jeunesse d’aujourd’hui est ouverte sur le monde, sur les autres langues, et à plus forte raison sur l’anglais», commente le spécialiste.

Le 20 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la francophonie, l’AFO a organisé un déjeuner sur la Colline du Parlement, conviant parlementaires anglophones dans un souci d’inclusion et de sensibilisation: une rencontre qui s’est voulue French-ment bonne.

Auteur

  • Lucas Pilleri

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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