Sizwe Banzi est mort: une fable puissante et tristement actuelle

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Publié 24/04/2007 par Julie Burelle

Ce n’est pas tous les jours que Toronto reçoit la visite d’un grand du théâtre comme Peter Brook. Le célèbre metteur en scène était de passage la semaine dernière afin de présenter Sizwe Banzi est mort sa plus récente création.

La pièce tenait l’affiche du 18 au 22 avril dernier dans le cadre du New World Stage au Harbourfront Centre.

Peter Brook en a également profité pour donner une conférence informelle devant une centaine d’étudiants et d’artisans de la scène. L’homme de 82 ans a alors parlé avec simplicité de son travail de recherche théâtrale et de ses collaborations avec des artistes de toutes les provenances, du Japon jusqu’au continent africain. Avec Sizwe Banzi est mort, Brook renoue avec l’Afrique, région du monde pour laquelle il a une affection particulière.

La pièce Sizwe Banzi est mort a été écrite en 1972 par les auteurs sud-africains Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona et fait partie de ce qu’on appelle le Théâtre des Townships. Né dans ces ghettos à l’époque de l’Apartheid alors que le théâtre était interdit à la population noire, le théâtre des Townships était, par le simple fait d’exister, hautement politisé.

On y parlait, souvent avec humour, de la dure réalité de la vie sous un régime inhumain. C’était un théâtre du moment présent, branché sur la vie et sur l’expérience d’une communauté.

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Lorsque Sizwe Banzi a été monté pour la première fois à Londres en 1974, c’est la révélation pour Peter Brook. «Dans les années 70, alors que l’on travaillait en Europe et à New York à changer le théâtre, à impliquer non seulement l’intellect de l’acteur mais également tout son corps, voilà que ces acteurs sud-africains, en utilisant les matériaux de base du théâtre – le corps, l’imagination, les mots – arrivaient à une forme théâtrale à laquelle nous aspirions.

C’était une forme d’une grande vitalité née dans les rues de la nécessité de communiquer avec l’autre», se rappelle Peter Brook. Trois décennies plus tard, Brook a eu envie de faire revivre, en français cette fois, ce texte qui n’a rien perdu de sa puissance.

Sizwe Banzi est mort débute par un monologue au cours duquel Styles, interprété de façon exceptionnelle par le sublime acteur malien Habib Dembélé, parle de sa dure vie de travailleur à la chaîne à l’usine Ford et de son désir de devenir «un homme indépendant» en ouvrant son propre studio de photographie.

Jouant tour à tour le patron de l’usine Ford, les clients du studio de photographie, le père de Styles et Buntu, Habib Dembélé donne vie à la township entière de New Brighton. Armé de quelques objets – un cintre devient un téléphone, un portant à vêtements sur roulettes devient une porte, une canne tournée à l’horizontale devient un clavier de piano – Dembélé campe avec brio une kyrielle de personnages parfois drôles et toujours touchants.

C’est dans le studio de photographie de Styles qu’arrive Sizwe Banzi, grand gaillard dont les papiers, seule arme des petites gens dans un système déshumanisant, ne sont pas en règle. Pas de papier, pas de travail sous le régime de l’Apartheid. Sizwe Banzi raconte alors comment il a été forcé d’usurper l’identité d’un mort dont les papiers étaient en règle afin de pouvoir survivre.

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Mais en renonçant à son nom, Sizwe Banzi doit également renoncer à son identité, à son histoire et cette perte est une grande déchirure. Pitcho Womba Konga interprète avec justesse Sizwe Banzi cet homme qu’un système répressif pousse à un acte désespéré. Konga qui fait également carrière en Belgique dans la musique hip-hop, infuse le personnage de Banzi d’une naïveté et d’une soif de justice désarmante.

Peter Brook signe ici une mise en scène dépouillée où chaque geste a son sens, sa portée symbolique. Il touche, avec un soucis de vérité et une grande humanité, aux questions du racisme qu’il qualifie «d’une des plus monstrueuses distorsions du monde moderne», de la répression, de l’identité et de la survie.

Il fait de l’histoire de Sizwe Banzi une fable universelle qui, et c’est cela qui est si désolant, trouve toujours des échos aujourd’hui. En effet, si l’Apartheid est officiellement chose du passé, la situation des sans-papiers, elle, est toujours d’actualité. Un peu partout dans le monde, des milliers de Sizwe Banzi en quête d’une vie meilleure traversent les frontières et sont forcés à vivre des vies clandestines.

C’est donc un grand moment de théâtre et de réflexion sur l’humanité que nous ont proposé Peter Brook, Habib Dembélé et Pitcho Womba Konga. La pièce poursuit son périple vers l’Europe et sera en tournée jusqu’en juin. Si, au hasard de vos voyages estivaux, vous vous trouvez dans la même ville que Sizwe Banzi, c’est un rendez-vous à ne pas rater.

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