Racisés racistes

Vive l’appropriation culturelle!

FIJM
L'affiche de SLAV (le mot «esclave» viendrait de l'est-européen «slav»).
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Publié 05/07/2018 par François Bergeron

On m’a dit sur Facebook que je n’ai pas le droit de citer Martin Luther King: «Ne me jugez pas par la couleur de ma peau, mais par le contenu de mon caractère.» Que seuls les noirs peuvent comprendre et sont autorisés à interpréter les paroles du grand homme.

Pas d’accord: son message est universel et transcende les races et les cultures, comme il le souhaitait sûrement. Il appartient désormais à l’humanité: tout le monde a le droit d’en discuter, voire de se «l’approprier».

Vous me voyez venir: je suis scandalisé de la décision du Festival international de Jazz de Montréal d’annuler le spectacle SLAV, «une odyssée théâtrale basée sur des chants d’esclaves» du célèbre metteur en scène québécois Robert Lepage et de la chanteuse Betty Bonifassi, une Française établie à Montréal connue surtout pour avoir prêté sa voix aux Triplettes de Belleville. La légende (Wikipédia) prétend aussi qu’elle a déjà chanté du Jimi Hendrix…

Lepage raciste: dans quel univers?

Une centaine de manifestants avec des pancartes en anglais («racists», «shame») ont accueilli le 26 juin les premiers spectateurs interloqués de SLAV, dont le concept était connu et soutenu depuis des mois par le Festival.

Cette controverse sur «l’appropriation culturelle» d’un pan de l’histoire des noirs (et de l’histoire d’autres peuples, apparemment) par les créateurs blancs de SLAV, aggravée par la rareté des comédiens et choristes noirs sur scène, a évidemment éclipsé toute appréciation rationnelle de l’oeuvre.

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Après avoir ajouté à son programme des représentations de SLAV soudainement très prisées, le Festival en a annulé deux à la suite d’une blessure à la cheville de Bonifassi, puis, le 4 juillet, a tout annulé et a présenté d’abjectes excuses aux protestataires, réels ou virtuels (nombreux, il est vrai, en cette époque où on a la victimisation à fleur de peau, incluant un artiste invité qui s’est décommandé).

Voir ou ne pas voir

Entre-temps, Lepage et Bonifassi avaient tenté de calmer le jeu en expliquant leur démarche artistique. Mais ils n’ont réussi qu’à faire crier les «antiracistes» encore plus fort quand ils ont mentionné ne plus «voir la couleur» des gens dans leur entourage: naïveté suprême de «privilégiés» selon les défenseurs des minorités «racisées» et autres pourfendeurs de racisme «systémique».

Or, c’est souvent vrai qu’on ne «voit» plus la couleur de nos amis et nos collègues… comme en rêvait Luther King. C’est une perversion de son idée que de prétendre qu’un racisme «inconscient» aurait aujourd’hui remplacé le bon vieux racisme trop conscient qu’il combattait.

On a parfois raison de croire que la négation d’un racisme encore réel est elle-même raciste… mais pas la négation d’un racisme inexistant chez des gens de bonne volonté. Et chez nous, dans notre Canada moderne, multiculturel, promoteur de presque toutes les différences et tolérant de presque tous les extrêmes, les gens de bonne volonté sont la majorité.

Hommage et métissage

Rappelons que l’équipe du Festival de Jazz de Montréal est très majoritairement blanche et francophone, même si le jazz vient des noirs américains.

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Comme le blues et le rap, le jazz est répandu dans le monde entier: des musiciens et mélomanes de toutes nationalités se sont «approprié» cette musique noire (comme d’autres musiques africaines, latinos, asiatiques). Des noirs se sont «approprié» des musiques européennes, classiques, traditionnelles, même de l’opéra italien.

SLAV avait au moins le mérite d’avoir sorti de vieux chants d’esclaves de l’oubli.

L’appropriation culturelle, c’est un hommage à un art ou une tradition ou une pratique que des descendants ou des voisins ou de purs étrangers jugent digne d’être appris, reproduit, diffusé, commercialisé… C’est comme ça que toutes les cultures évoluent, s’entrechoquent et se métissent. Il faut le célébrer, pas le censurer ou l’interdire!

FIJM
Robert Lepage et Betty Bonifassi

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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