Quand un homme de théâtre se réapproprie Camus

Jean-Paul Schintu met en scène Le Premier Homme à l’Alliance française

Jean-Paul Schintu
Le roman inachevé Le pemier homme, d'Albert Camus, est interprété et mis en scène par le comédien Jean-Paul Schintu. (Photo: www.jean-paul-schintu.com)
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Publié 28/01/2019 par Alicia Blancher

Jean-Paul Schintu est à ce jour l’unique metteur en scène à avoir adapté au théâtre Le Premier Homme d’Albert Camus, ce fameux roman inachevé qui retrace l’enfance et l’adolescence de l’écrivain dans l’Algérie du début du XXe siècle. Tout comme le célèbre auteur de La Peste, le comédien est d’ailleurs né dans cette ancienne colonie française.

C’est ainsi que Jean-Paul Schintu se produisait devant une salle comble au Théâtre Spadina de l’Alliance française de Toronto, ce vendredi 25 janvier, pour interpréter cette œuvre autobiographique posthume d’Albert Camus.

Albert Camus
Jean-Paul Schintu

Quelques jours auparavant, toujours à l’AFT, il livrait une conférence, plus précisément une lecture commentée des textes écrits et édités en Algérie, tels que Noces à Tipasa ou Le Premier Homme.

Si l’expérience commune de «pied noir» n’a pas joué de manière décisive dans son intérêt pour Camus, Schintu n’en nie point l’impact. «Je l’ai découvert, comme beaucoup, au cours mon enfance et au lycée, de manière superficielle. Puis, je l’ai un peu abandonné lorsque j’ai commencé mes études de théâtre. Je me suis vraiment réapproprié ses textes lorsque j’ai eu envie de retourner en Algérie. Et j’y suis retourné», explique-t-il à L’Express.

C’est alors que Le Premier Homme entre en scène…

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« À un moment donné, j’ai juste lâché le texte et commencé à le mettre en scène »

 

Le Premier Homme a été publié en 1994 par la fille de l’écrivain, décédé en 1960 dans un accident de voiture. Dès sa sortie, Jean-Paul Schintu lit le roman, une fois, deux fois, puis trois fois… «Ce que je préfère, c’est lire Camus», témoigne le comédien, appréciant tout particulièrement l’authenticité et la chaleur humaine qui se dégagent de sa plume.

Quelques années plus tard, il se met à réaliser des lectures du Premier Homme dans les médiathèques, en France, mais aussi à l’étranger.

Lorsqu’il découvre peu à peu la portée du texte sur l’auditoire, il affine alors l’adaptation. «J’ai commencé à utiliser l’espace. À un moment donné, j’ai juste lâché le texte et commencé à le mettre en scène», confie Jean-Paul Schintu. Ce n’est qu’en 2008 que ce travail de longue haleine aboutit.

Une adaptation théâtrale unique

S’il existe de nombreuses adaptations sur les planches de La Peste ou L’Étranger, l’invité de l’Alliance française est «le premier homme» à avoir mis en scène ce roman. «Je suis encore le seul à le faire. Tant mieux, je n’ai pas de concurrents», souligne-t-il avec humour.

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Mais pourquoi? Jean-Paul Schintu lui-même a du mal à l’expliquer. «C’est très curieux, car tout le monde aime Le Premier Homme», précise-t-il, avant d’ajouter: «Peut-être parce qu’il s’agit d’un premier jet.» Camus n’a malheureusement (ou pas) eu le temps de polir et terminer le texte.

«C’est une vraie forêt vierge, il faut terriblement élaguer!», révèle le metteur en scène. Bien que la pièce reste une fidèle adaptation de cette œuvre, M. Schintu a beaucoup travaillé le texte et ajouté quelques variantes, notamment la restitution des noms des véritables protagonistes (Albert Camus avait choisi comme alter ego Jacques Cormery). «Je suis allé au bout de la logique de l’autobiographie, et les Camusiens pur jus m’en veulent beaucoup pour cela», ironise-t-il.

Albert Camus
Jean-Paul Schintu (Photo: www.jean-paul-schintu.com)

Camus, toujours d’actualité

Très vite, la pièce a connu un important succès auprès des instituts et lycées français à l’étranger, notamment dans les pays arabes. «C’est le spectacle que j’aurais le plus joué dans ma vie», reconnaît Jean-Paul Schintu, qui «n’en compte plus les représentations», au moins 180!

Si le metteur en scène a adapté plusieurs grands auteurs tels que Molière ou Maupassant, «la fascination extraordinaire pour Camus» explique en partie, selon lui, l’attrait pour cette pièce. Engagé sur divers fronts (célèbre pour son combat politique contre le nazisme), lucide, tolérant… Camus est «une belle âme», résume le comédien.

De surcroît, l’écrivain reste d’actualité et sa pensée est toujours présente dans les débats publics, sur les inégalités sociales notamment.

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Les Torontois sous le charme

Le succès de la pièce n’a pas fait exception à Toronto.

En une heure et quinze minutes, M. Schintu nous avait plongés dans l’Algérie du début du XXe siècle. La musique aux sonorités orientales, réalisée par Philippe Hersant, a bien évidemment participé à cette immersion.

Le Premier Homme met en scène Jacques Cormery (alter ego de l’écrivain), homme de 40 ans qui retourne dans son Algérie natale et y retrouve ses souvenirs et sa mère, avec qui il aimerait discuter de son père, disparu jeune.

Dans cette adaptation, le comédien interprète tous les rôles du roman: Albert Camus, sa mère, son enseignant Monsieur Germain, etc. Du sourire rêveur de la mère au regard tendre du professeur… des pleurs du petit garçon grondé aux interrogations du fils devenu homme… la performance de Jean-Paul Schintu, remarquable, emplit tout au long du spectacle la salle d’émotions.

Les lumières se rallument. Mais la chaleur humaine du texte camusien, que le metteur en scène a diffusé avec humour et sensibilité, subsiste quelques instants dans les yeux émus du public, n’ayant qu’un mot à la bouche: «bravo!»

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