Port du voile: pour vivre sans se cacher

Le parcours d'une musulmane de la France au Canada

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Loubna Dabet est la directrice de la garderie Les Boutons d’Or inc. à Île-des-Chênes. (Photos: La Liberté, Manella Vila Nova)
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Publié 13/10/2018 par Manella Vila Nova

Depuis qu’elle a choisi de porter le voile à l’âge de 13 ans, Loubna Dabet a senti que son pays, la France, lui imposait une façon de vivre qui ne lui convenait pas. À son arrivée au Canada en 2015, elle s’est enfin sentie libre d’être elle-même.

Fille d’immigrés marocains, Loubna Dabet ne s’est jamais vraiment sentie chez elle en France. «Quand on est enfants d’immigrés, on continue à être vus comme des immigrés de génération en génération. La vie est ghettoïsée et nos chances de trouver un travail sont plus faibles. Une situation qui se maintient, parce que le gouvernement ne décourage pas cette attitude.»

Cheminement religieux à 13 ans

Après avoir fait un cheminement religieux à 13 ans, Loubna Dabet a commencé à porter le voile. «Ma mère ne le porte pas. Pour moi, c’est un signe de pudeur qui représente une croyance, ma foi et mon identité.»

Pendant toute sa jeunesse, Loubna Dabet a fait des choix sous la contrainte.

«En 2004, pendant ma dernière année de secondaire, la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques a été adoptée en France. Je devais enlever mon voile au portail du lycée. Je voulais faire un cursus scolaire différent, mais les établissements qui m’intéressaient n’autorisaient pas le voile. Je suis allée à l’université, mais je savais que je n’allais pas trouver de travail à la sortie avec mon voile, alors j’ai arrêté.»

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Loubna Dabet

Discrimination

Son entrée sur le marché du travail a été difficile. «Je travaillais jusqu’à ce qu’il y ait des plaintes. Je modifiais ma façon de mettre mon foulard, mais je refusais de l’enlever.»

Par défaut, elle s’est tournée vers la petite enfance. «Je suis devenue assistante maternelle par obligation, parce que c’était le seul emploi que je pouvais faire de chez moi.»

Cependant, la discrimination a continué. «La directrice des assistantes maternelles m’a dit : Les parents, ça va être dur avec le voile. Et j’avais de moins en moins de travail.»

Plaintes sur son apparence

Expérience similaire lorsque Loubna Dabet a postulé dans un centre de loisirs. «À la fin de mon premier jour, les parents venaient chercher les enfants et me regardaient. La chef nous a appelés pour une réunion de personnel. Elle m’a arrêtée à la porte et m’a dit: Je ne vais pas pouvoir te garder, parce qu’on a reçu des plaintes sur ton apparence

Après cinq ans à Salon-en-Provence, dans le sud de la France, Loubna Dabet et son mari en ont eu assez. «On avait tout le temps des regards, il y avait du racisme dans notre environnement de travail et ça devenait pesant. Je ne pouvais rien faire. Je voulais que mes enfants puissent vivre sans se cacher de leur origine, de leur couleur de peau ou de leur religion.»

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Une femme voilée qui travaille

La famille Dabet est donc arrivée au Manitoba en juin 2015.

«Mon fils a vu une dame voilée qui travaillait. Il s’est arrêté et a dit : Oh, elle te ressemble et elle a un travail. Sa réaction m’a montré qu’il n’avait pas l’habitude de voir ça. En France, on voit les femmes voilées sur le marché, ou en train de faire les magasins. Mais pas dans le monde du travail.»

Loubna Dabet a commencé à la garderie de Saint-Pierre-Jolys, où elle avait postulé à distance. «J’y suis restée trois mois, mais c’était trop loin. Je suis arrivée à Île-des-Chênes comme aide des services à l’enfance. J’avais étudié la jeune enfance en France, mais je voulais me mettre à jour au Canada.»

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Loubna Dabet

À l’université avec quatre enfants

Elle a donc repris ses études à l’Université de Saint-Boniface. «J’avais quatre enfants, plus de recul et une plus grande maturité. Je comprenais pourquoi je le faisais. Dans ma vie, j’avais essayé très peu de choses. Je ne savais même pas ce qui me plaisait vraiment. J’avais une soif d’apprendre, que j’ai toujours eue au fond de moi, mais que je ne pouvais pas révéler sous la contrainte. Ici, j’ai redécouvert mon métier librement.»

Après un an d’études, elle est devenue directrice de la garderie Les Boutons d’Or inc., poste qu’elle a occupé tout en finissant son cursus universitaire.

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«J’encourage la différence»

«J’ai très vite évolué. Ils ne se sont pas arrêtés à mon apparence. Ils ont vu mes capacités, et les responsabilités ne me faisaient pas peur. J’ai travaillé dur pour avoir le poste que j’occupe. J’avais cette rage de pouvoir m’épanouir et voir ce que je pouvais faire. Je suis contente de pouvoir offrir mes aptitudes au pays qui m’a permis d’être moi-même.»

Pour gérer la garderie, la directrice s’appuie sur son vécu. «Je veux du travail qualitatif. Je ne donne pas de passe-droit, et je pense que je suis juste. J’essaye d’être sensible à tout le monde. J’encourage la diversité, la différence. C’est important que chacun puisse se sentir à sa place, et que la direction connaisse la culture de ses employés.»

Des défis au Canada aussi

Cependant, bien que sa situation soit meilleure, Loubna Dabet sait bien qu’il y a encore du travail à faire au Canada aussi.

«Travailler en ruralité plutôt qu’à Winnipeg présente des défis. On doit faire découvrir les différentes cultures aux familles et aux enfants. On prépare la génération de demain à accepter tout le monde. Et pour ne pas avoir peur des différences, il faut apprendre à les connaître.»

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