Pilule et cancer: des peurs exagérées

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Publié 09/10/2017 par Nathalie Kinnard

Plusieurs millions de femmes à travers le monde prennent la pilule contraceptive pour éviter de tomber enceinte. Pourtant, on l’accuse de plusieurs maux, dont celui de causer le cancer. Faisons le point là-dessus.

D’où vient cette croyance?

Comme plusieurs cancers «se nourrissent» des hormones, les contraceptifs oraux — constitués eux-mêmes d’hormones — se sont retrouvés sur la sellette dès leur apparition sur le marché, dans les années 1960.

Les médias rapportent régulièrement des résultats scientifiques laissant croire que leur utilisation accroîtrait le risque de certains cancers. Des livres, comme le récent ouvrage de la journaliste française Sabrina Debusquat, J’arrête la pilule, relancent souvent le débat.

D’importantes organisations en matière de santé alimentent également la réflexion. Par exemple, la Société canadienne du cancer classe les contraceptifs oraux dans les facteurs de risque connus pour le cancer du sein puisque les hormones féminines, l’œstrogène et la progestérone, retrouvées dans la majorité des pilules, sont associées au développement de cette maladie.

L’organisation mentionne également une légère augmentation du risque de cancers du col de l’utérus et du foie.

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Le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) signale par ailleurs que les déséquilibres hormonaux engendrés par certains contraceptifs peuvent augmenter le risque de quelques cancers, tandis que les femmes utilisant des contraceptifs oraux ou un traitement hormonal substitutif courent un risque plus élevé de cancer du sein par rapport aux femmes qui ne les utilisent pas.

Un risque, mais encore?

Tout médicament comporte des risques d’effets secondaires et la pilule ne fait pas exception. Ces risques varient cependant selon le dossier médical de la femme et selon la génération d’anovulants étudiés.

«Les doses d’hormones contenues dans les pilules d’aujourd’hui sont beaucoup moins élevées que celles des années 1960-1970», indique Ema Ferreira, pharmacienne et vice-doyenne à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Et souvent, le risque est si faible qu’il n’est pas alarmant en soi.

Ainsi, la Société canadienne du cancer tempère le risque du cancer du sein en précisant qu’il y aurait environ deux cas additionnels pour chaque 10 000 femmes prenant la pilule, si celle-ci est prise avant la première grossesse menée à terme.

Selon l’organisation, l’hérédité et le mode de vie ont beaucoup plus d’influence sur le risque de cancer du sein que la pilule. Même son de cloche de la part de l’OMS qui conclut que la majorité des études montrent des risques très faibles pour la plupart des femmes. Notamment, une étude publiée dans Breast Cancer and Research en 2016 rapporte que la pilule progestative (sans œstrogène) n’est pas associée à un risque accru de cancer du sein.

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Des chercheurs européens ont publié dans Oxford Academy en 2010 que les femmes utilisant la pilule combinée (oestrogène et progestatif) ne sont pas plus à risque de développer un cancer.

Selon Mme Ferreira, la meilleure référence reste le Consensus canadien sur la contraception — la bible des gynécologues et des obstétriciens — qui révise la littérature scientifique la plus à jour sur le sujet afin d’établir des lignes directrices pour les professionnels de la santé.

La dernière version publiée en mai 2017 dans le Journal d’obstétrique et gynécologie du Canada est formelle: «Selon les plus récentes études épidémiologiques, le risque de cancer du sein et de mortalité due au cancer du sein n’est pas plus élevé chez les utilisatrices de contraceptifs oraux combinés (COC) que chez les non-utilisatrices.»

«L’utilisation d’anovulants par les porteuses du gène du cancer du sein BRCA1 ou BRCA2 est controversée, mais elle semblerait être associée à une diminution du risque de cancer de l’ovaire et ne pas augmenter le risque de cancer du sein.»

Risques VS bénéfices

En effet, on oublie souvent que la pilule fait plus que d’empêcher l’ovulation: elle prévient aussi certains cancers.

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Une équipe de chercheurs d’Angleterre a analysé les données de 46 022 femmes qui ont été recrutées en 1968 et 1969 par le Royal College of General Practitioners (Collège royal des médecins généralistes) dans le but d’examiner les effets à long terme (44 ans!) des contraceptifs oraux sur la santé.

Leurs conclusions, publiées cette année dans l’American Journal of Obstetrics  Gynecology : la plupart des femmes qui prennent la pilule ne s’exposent pas davantage au cancer. Le faible risque accru de développer un cancer du sein ou du col de l’utérus est contrebalancé par une certaine protection des cancers de l’endomètre, des ovaires et du côlon.

Dans une étude publiée par The Lancet en 2015, un groupe international de chercheurs a passé en revue 36 études épidémiologiques pour confirmer que l’utilisation de la pilule confère une protection à long terme contre le cancer de l’endomètre. Selon leurs données, environ 400 000 cas de cancer de l’endomètre avant l’âge de 75 ans ont été évités depuis 50 ans grâce à la pilule, dont 200 000 cas entre 2005 et 2014.

Des chercheurs italiens et espagnols attribuent également à la pilule contraceptive la diminution des cas de cancers de l’ovaire depuis 20 ans, un peu partout dans le monde. Leur étude parue en 2016 dans Annals of Oncology montre qu’en Europe, la proportion de décès par cancer de l’ovaire a chuté de 10 % entre 2002 et 2012. Aux États-Unis, la baisse est de 16%. Selon leurs prédictions, cette diminution se poursuivra jusqu’en 2020.

Le Consensus canadien sur la contraception souligne aussi que «les contraceptifs oraux combinés sont associés à une diminution du risque de cancer de l’ovaire, de cancer de l’endomètre et de cancer colorectal. Une association potentielle a été observée entre l’utilisation de la pilule et le risque de cancer du col de l’utérus, mais aucun lien de causalité n’a été établi».

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Le site de la Société canadienne du cancer mentionne également que l’utilisation des anovulants permet de réduire les risques de cancers de l’endomètre et de l’ovaire. L’organisation conseille aux femmes qui envisagent de prendre — ou qui prennent — des contraceptifs oraux de soupeser les avantages et les inconvénients avec leur médecin, selon leurs antécédents personnels et familiaux et leurs préoccupations de santé.

50% de plus!

Chaque fois que le lecteur se retrouve devant des chiffres faisant état d’un risque, il doit se rappeler de la différence entre le risque relatif et le risque absolu.

Le risque relatif est exprimé en pourcentage, et c’est généralement lui qui frappe le plus l’imagination (par exemple, «le risque d’avoir tel cancer augmente de 50%»). «Toutefois, il est préférable de regarder le risque absolu pour saisir l’importance d’un phénomène , explique Ema Ferreira.

Ainsi, hypothétiquement, si une femme qui ne prend pas la pilule a 2% de risques de développer un cancer du sein et que ce risque double en prenant la pilule, son risque absolu n’est quand même que de 4%. Mais les manchettes clameront que les anovulants doublent le risque de développer un cancer du sein, sans mentionner les pourcentages absolus ou réels de la «menace».

Dans le cas de la pilule, il faut aussi regarder le risque global, c’est-à-dire le total auquel on aboutit lorsqu’on additionne les avantages et qu’on soustrait les inconvénients. Enfin, on ne doit pas oublier qu’on parle de risque et non pas d’une certitude.

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Bref…

À la lumière des nombreuses études scientifiques, des analyses de littérature et des données de santé publique, la pilule anticonceptionnelle n’augmente pas le «risque global» de cancer — cela signifie que si les risques de certains cancers augmentent légèrement, les risques d’autres types de cancers diminuent.

Une majorité d’experts et de scientifiques s’entendent pour dire que, pour la majorité des femmes, les bénéfices des anovulants l’emportent sur les risques minimes de cancer observés par certains chercheurs.

Auteur

  • Nathalie Kinnard

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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