Passion mur-à-mur

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Publié 13/11/2012 par Nathalie Prézeau

Des tags hideux sur la boîte aux lettres de mon quartier à la superbe explosion de couleurs du graffiteur Pascal Paquette exposée à la Galerie Glendon, il y a un monde. Le monde des graffiti.

Je parlais le mois dernier dans mon article Belle talle d’art public de la murale Suitman ornant un viaduc juste à l’ouest de l’avenue Lansdowne.

Cette oeuvre de Joel Richardson, d’abord commissionnée par la Ville de Toronto, a été effacée par l’administration Ford dans sa guerre contre les graffiti… pour ensuite être refaite, quand l’artiste a obtenu de la Ville la permission de l’exécuter à nouveau.

Manifestement, la confusion règne quant à l’interprétation de ce qui constitue l’art ou le vandalisme quand il est question de graffiti.

J’ai donc pensé qu’il serait approprié de demander à Pascal Paquette, rencontré par L’Express il y a deux semaines, de m’aider à comprendre les dessous de cet art qui couvre les murs de ma ville.

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Tag!

Il existe une sorte de code de conduite auquel la majorité des graffiteurs tentent d’adhérer. En principe, on ne peint ni sur les lieux religieux, ni sur les écoles ni sur les maisons privées.

Puis, on ne peint par dessus la création d’un collègue qu’avec une oeuvre demandant une maîtrise supérieure de l’art du graffiti.

Le tag, signature peinte en une couleur, est la forme la plus simple du graffiti, le b.a.-ba de l’art.

Par-dessus un tag, on peut dessiner un throw-up (les grosses lettres en bulles), plus demandant techniquement. Celui-ci pourra être supplanté par une pièce (une mini murale qu’on retrouve avec d’autres pièces sur un mur). Une production, que le grand public considère comme une vraie murale, a le droit de tout recouvrir. (Les productions sont habituellement l’oeuvre des Kings graffiteurs, reconnus comme des maîtres dans leur communauté.)

Le graffiteur qui enfreint ce code s’expose au beef potentiel des artistes qui n’ont pas été respectés, dans lequel cas ils chercheront ses oeuvres dans la ville pour les polluer de tags. (Ce qui veut dire qu’une excellente façon pour un commerçant de se débarrasser des tags et throw-up moins beaux est de permettre à un graffiteur de faire une production sur son mur.)

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Tout au long de son évolution, l’artiste conserve sa signature. Par exemple, même s’il est maintenant exposé dans les galeries, Pascal Paquette admet qu’il continue de laisser des tags dans la ville. Le branding étant vraiment à la mode dans la société d’aujourd’hui, on comprend la motivation derrière cette pratique.

Mais pour un graffiteur exposant légalement en galerie, les enjeux sont autres: il s’agit de signifier aux autres artistes, par ces actes illégaux, qu’il est encore dans la game.

C’est du sport

Pascal fait souvent référence au «sport» du graffiti. On ne parle pas ici que de la difficulté physique d’exécuter une oeuvre à la bombonne, à moitié suspendu à partir du toit pour couvrir le mur d’un troisième étage.

Pensez plutôt au rush d’adrénaline quand un artiste réalise qu’un hélicoptère de la Police de Toronto tourne au dessus de sa tête pendant qu’il peint sur les murets le long des voies ferrées.

Imaginez les plongeons sous des camions pour éviter les autorités; les sauts de 15 pieds et les courses folles pour s’enfuir là où les voitures ne peuvent suivre…

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Les graffiteurs dessinant sur les lieux publics sont passibles de quatre chefs d’accusation: empiétement sur la propriété privée, méfaits, vandalisme, résistance aux policiers. Dans ce sens, l’emplacement illégal du graffiti est une partie importante de l’art.

Le temps requis d’exécution ajoute également au risque. C’est pourquoi des graffiteurs chevronnés se sont mis à utiliser des pochoirs pour aller plus vite.

Banksy est probablement le graffiteur le plus connu (et le plus controversé dans les deux camps, chez le grand public autant que parmi la communauté des graffiteurs).

Les puristes disent que Banksy triche en courant moins de risque sur le terrain.

Peut-être, mais je suis bien contente qu’il ait trouvé une façon plus sûre de réaliser ses oeuvres sans interruption. La lecture du 80+ beautiful street crimes done by Banksy sur le site boredpanda.com m’a convaincue du génie de cet artiste pour insuffler de la vie dans les espaces publics.

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Sous ses mains habiles, les histoires jaillissent des fissures dans les murs et des craques sur le sol.

C’est d’ailleurs par le pochoir que Pascal Paquette s’est fait connaître dans la communauté des graffiteurs.

Ayant eu vent qu’un inspecteur, Heinz Kuck, montait des dossiers sur les graffiteurs de Toronto pour éventuellement irradier les graffiti, l’artiste s’est mis à peindre le nom de Heinz Kuck au pochoir dans toute la ville.

Comme si Kuck lui-même laissait des tags un peu partout. L’humour n’a pas été perdu auprès des autres graffiteurs.

Un «sellout»?

Pour les besoins de l’exposition, Pascal Paquette a dessiné (dans son studio) ses grandes pièces sur du canevas, qu’il a ensuite montées sur les murs de la Galerie Glendon avec une série de petites toiles peintes liant le tout en courtepointe.

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Quand un graffiti sort de la rue pour se retrouver dans un espace légal comme la Galerie Glendon, perd-il son sens?

«Certainement pas», affirmera Pascal Paquette (qui s’est amusé à imprimer des T-shirt arborant le mot Sellout qu’il a intégré dans son exposition).

Au-delà de la bravade, il y a la maîtrise d’un art: la technique du style, l’agencement des couleurs, la qualité du dessin (les pingouins au blanc dégoulinant sont réellement beaux) et l’intelligence du message.

Ce n’est pas par hasard qu’un koala se retrouve au milieu de graffiti urbains; l’habitat naturel des koalas en Australie se rétrécit et leur population baisse.

Les graffiti, quand ils s’éclatent, habillent les coins les plus laids de la grisaille urbaine et font réfléchir, souvent avec humour.

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Pas étonnant que le grand public a développé un goût pour un peu plus de ce bouillonnement coloré dans le quotidien. (J’étais récemment en meeting dans les beaux locaux de Corus Entertainment, dans une salle de réunion arborant une large pièce de graffiti et un plein mur noir sur lequel on pouvait s’éclater avec des craies.)

Prochaine étape?

Tandis que certains s’accrochent à une définition puriste de cet art et consacrent leur temps à pointer du doigt ceux qui ont «vendu leur âme» en faisant sortir les graffiti de la rue, d’autres sont occupés à le faire évoluer.

On voit maintenant des artistes faire du reverse graffiti, où le torchon remplace les bombonnes pour laisser un dessin dans la crasse des murs, et des graffiti au laser, permettant d’écrire sur un pan de mur complet sans grimper. (On ne peut plus accuser les graffiteurs de vandalisme…)

Et les accros de l’adrénaline n’ont pas dit leur dernier mot. Vous avez entendu parler du roof topping? Les photographes adeptes de cette dernière tendance se faufilent illégalement dans les gratte-ciels, vêtus d’habits de la construction ou d’agents de sécurité, pour aller prendre des photos uniques du toit des édifices.

Exposition du graffiteur Pascal Paquette

Où: Galerie Glendon, 2275 Bayview Avenue (au fond du campus) Quand: jusqu’au 30 novembre, du mardi au vendredi de midi à 15h et le samedi de 13h à 16h. www.pascalpaquette.com

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En visitant le blogue passions100facons.blogspot.ca, vous trouverez une foule d’autres petits bouts d’informations divertissantes: faits divers reliés au marketing, photos cocasses et liens qui ont capté l’attention de Nathalie Prézeau. Elle est aussi l’auteure de Toronto Fun Places… for families et de Toronto Urban Strolls… for girlfriends (en vente en librairies et sur ses deux sites) et du blogue torontofunplaces.blogspot.ca, offert en complément à ses deux guides.

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