Nationalisme ≠ suprémacisme

Populisme: révolte légitime ou bonne vieille démagogie?

11 novembre 2018
Commémoration de l'Armistice sous l'Arc de Triomphe à Paris: le président Emmanuel Macron en compagnie de nombreux dirigeants du monde.
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Publié 13/11/2018 par François Bergeron

Donald Trump s’est proclamé «nationaliste», le mois dernier, au cours d’un de ses fameux ralliements partisans, ainsi que sur Twitter.

«Il existe un mot qui n’est plus à la mode», a paru réfléchir tout haut le président américain. «Ça s’appelle un nationaliste… Vraiment, on n’est plus censé utiliser ce mot? Eh bien, vous savez ce que je suis? Je suis un nationaliste.»

Jusqu’à maintenant, les politiciens américains se disaient plutôt «patriotes». Évidemment, parce que Trump l’adopte, «nationaliste» devient automatiquement synonyme de «raciste» ou de «suprémaciste» pour ses détracteurs.

Pas péjoratif

«Nationaliste» n’est pas péjoratif dans la francophonie canadienne: c’est même très positif. Au Québec, c’est plus modéré que «souverainiste». Comme dans: «Le nouveau gouvernement de la CAQ est nationaliste, mais pas souverainiste/indépendantiste/séparatiste»…

On veut dire par là que le premier ministre François Legault promet de défendre la préséance de la langue et de la culture majoritaires dans l’espace public. On ajoute à cela une volonté que les immigrants s’intègrent à la société francophone. Par extension, ça va jusqu’à promouvoir des valeurs qui font consensus.

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Les «nationalistes» canadiens-français (québécois et hors Québec) considèrent même qu’il existe, parallèlement au nôtre, des nationalismes canadien-anglais et autochtones parfaitement respectables, comme dans tous les pays normaux, membres des Nations Unies. (Le droit à la «nationalité» fait d’ailleurs partie de ceux qui sont énumérés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.)

11 novembre 2018
Le président français Emmanuel Macron devant les dirigeants réunis sous l’Arc de Triomphe à Paris le 11 novembre.

Nazi

Mais en France et en Europe, à cause de l’histoire du 20e siècle et de la Deuxième Guerre mondiale instiguée par un certain parti «National-Socialiste», le «National» en question est discrédité. Pas le «Socialiste», curieusement, même si sa version «internationale», soviétique, a fait autant de morts et de destruction.

Le nationalisme – sous d’autres appellations – effectue toutefois un retour en force dans plusieurs pays de l’Union européenne, fédération qui n’aurait pas su protéger les vieilles «nations» contre une immigration massive incontrôlée du Moyen-Orient et de l’Afrique. Dans plusieurs pays de l’Est, on vote pour des Vladimir Poutine pour ne pas connaître le même sort.

Emmanuel Macron s’est attaqué de front à ce «nationalisme» (et à Trump), au cours des commémorations du 100e anniversaire de l’Armistice ce 11 novembre, en affirmant qu’il est l’antithèse du «patriotisme».

Devant des dirigeants du monde entier, dont Justin Trudeau qui tient souvent le même discours, le président français a lancé: «Le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme». Pire, le nationalisme serait une «trahison» du patriotisme.

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Macron définit le nationalisme comme une «fascination pour le repli, la violence et la domination» menant au totalitarisme; fascination nourrie par «l’humiliation, l’esprit de revanche, la crise économique»…

Entourloupette

On est loin de la fierté pour son pays ou sa culture telle qu’on la conçoit chez nous. À moins que, comme monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, nous soyons davantage des patriotes (fréquentables) que des nationalistes (détestables).

Mais non. On a bien affaire à une de ces entourloupettes intellectuelles dont les Français semblent avoir le secret, où la fierté pour sa culture, ici, serait inversement proportionnelle à l’amour de son pays.

En réalité, le nationalisme et le patriotisme, c’est du pareil au même, et ce n’est pas comparable au racisme et au suprémacisme.

On fait beaucoup de ces distinctions oiseuses: entre la souveraineté et l’indépendance, entre la légalisation et la décriminalisation du cannabis, entre le nazisme et le communisme, entre le populisme et la démagogie, etc.

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Bannon

Je reviens sur le débat Munk du 2 novembre à Toronto, sur le populisme, opposant le nationaliste Steve Bannon, ex-stratège de Donald Trump, à l’intellectuel conservateur David Frum, qui a été conseiller de George W. Bush.

Pas pour maximiser la visibilité de Bannon ou promouvoir le trumpisme, comme on pourrait le croire chez les ennemis de la liberté d’expression (ennemis de plusieurs autres libertés) qui ont demandé l’annulation du débat et même tenté physiquement d’empêcher les intéressés d’entrer au Roy Thomson Hall ce soir-là.

Mais bien parce que Bannon et Frum ont jeté un éclairage instructif sur LE phénomène politique de la décennie aux États-Unis, dans nos démocraties occidentales et au-delà (Russie, Philippines, Brésil…), qui commence à chauffer nos Trudeau et nos Macron.

Bannon fait remonter la révolte nationaliste anti-élites à la crise financière de 2008, où Wall Street et Washington ont conspiré pour sauver leur peau en spoliant les Américains moyens.

Initialement, cette révolte avait pris la forme du Tea Party, un mouvement prônant un État minimaliste et isolationniste fidèle aux principes des révolutionnaires de 1776, parfois teinté d’un conservatisme religieux plus récent, mais dont la démographie est restée limitée aux têtes blanches et qui s’est essoufflé.

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Steve Bannon et David Frum à Toronto le 2 novembre.

Bulldozer politique

Avec Trump et Make America Great Again, Bannon aurait inventé ou réinventé un bulldozer politique s’attaquant à une foule de présumés coupables du marasme économique – libre-échangistes à tout crin qui exportent les emplois, bureaucrates invisibles qui paralysent l’administration, immigrants illégaux qui surchargent l’aide sociale, journalistes biaisés qui trompent les citoyens, professeurs déconnectés de la réalité qui désorientent les jeunes — moins les principes des révolutionnaires de 1776.

En effet, Bannon affirme sans ambages que les grands idéaux des pères fondateurs de la République américaine ne tiennent plus, ou ne sont plus opérants sur la scène politique.

C’est d’ailleurs ce qui lui permet de qualifier aussi de populiste le «socialisme» de Bernie Sanders et de l’aile gauche du Parti démocrate, au même titre que le nationalisme conservateur des Républicains sous Trump. Ce socialisme, ancien en Europe mais nouveau aux États-Unis, est effectivement aux antipodes de la Constitution de Jefferson.

Ce populisme est-il l’expression, au 21e siècle, d’une révolte légitime, comme voudraient nous le faire croire Bannon et Trump? Ou est-il simplement une nouvelle itération de la bonne vieille démagogie qui a toujours fait recette en politique? Comme Frum, je penche pour la seconde explication.

Liberal ou libéral?

Comme Frum, je crois aussi à la décence fondamentale des citoyens qui, prédit-il, se lasseront des divisions et des crises artificielles entretenues par les populistes, et prendront acte de leur incompétence à solutionner les problèmes économiques et sociaux.

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Frum, enfin, a annoncé qu’il ambitionnait maintenant de redorer le blason du mot «libéral» dans le monde anglophone, pour lui restaurer son sens français classique. Ce que je prône depuis longtemps.

«Liberal», en anglais, est en effet plus proche de «socialiste» (classé à «gauche»: pour une expansion des pouvoirs publics), alors que «libéral», en français, est censé exprimer le contraire: la limitation des pouvoirs publics pour une maximisation des libertés individuelles (un concept de «droite»).

C’est moins clair au Canada et en Europe, où on a tout de même cru bon d’inventer le terme «néo-libéral» pour dire «libéral classique». Mais aux États-Unis, on a carrément inversé les définitions de «conservateur» et de «libéral».

En attendant, Frum se dit toujours «conservateur», parfois «conservateur traditionnel» pour se démarquer des nouveaux «conservateurs populistes». Bannon, lui, se dit surtout «nationaliste» ou «populiste». «Car, on ne veut pas ‘conserver’ grand-chose de l’ordre établi, on veut le bousculer», a-t-il confirmé à Toronto. «Nous ne sommes donc pas vraiment des ‘conservateurs’.»

11 novembre 2018
Quelques-uns des dirigeants réunis sous l’Arc de Triomphe à Paris le 11 novembre.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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