Musique pour les yeux ou… tableaux pour les oreilles

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Publié 17/10/2006 par Dominique Denis

À son meilleur, le trio piano-contrebasse-batterie représente la quintessence de l’art du jazz, parfait alliage d’intimité et d’interaction qui est à la note bleue ce que le quatuor à cordes est à la musique de chambre.

À cet égard, le Trio Jean Félix Mailloux, composé du pianiste Arden Arapyan, du batteur Jonathan Racine-Ménard et de Mailloux à la contrebasse, s’inscrit dans la lignée des célèbres formations de Bill Evans, de Paul Bley et d’Oscar Peterson, et pourrait servir d’entrée en matière à quiconque cherche à saisir cette ineffable alchimie qui se distille à trois.

Pétries d’influences diverses – du tango à la musique arabe en passant par le bop ludique d’un Herbie Nichols – Aurores boréales donne lieu à une série de tableaux empreints d’un onirisme qui n’est jamais flasque, d’une sensualité jamais télégraphiée.

Et s’il nous fallait une raison additionnelle de céder au plaisir de la découverte, elle se trouve dans les solos de Mailloux, un des rares contrebassistes de jazz dont l’instrument chante à tous les registres. Voilà une entrée en matière des plus prometteuses pour la nouvelle étiquette montréalaise Malasartes Musique.

Un CD nommé désir

Depuis 1959 et le légendaire Kind of Blue de Miles Davis, les étiquettes de jazz cherchent à reproduire la formule magique de cette séance qui a su marier l’atmosphère (nocturne) et l’improvisation (contrôlée) pour aller chercher cette clientèle qui, pour parler crûment, voit dans le jazz une manière de Viagra sonore.

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Cela dit, les meilleurs solistes à s’être prêtés à l’exercice – on pense à Getz, Baker, Mulligan ou Webster – ont su préserver leur intégrité en dépit de ce motif ultérieur, pour ne pas dire postérieur.

Les huit musiciens et compositeurs que l’étiquette Effendi a rassemblés pour Désir – Effendi Ballades (parmi lesquels on retrouve l’excellent altiste Rémi Bolduc et le contrebassiste Alain Bédard, co-fondateur de la boîte) relèvent d’une auguste lignée.

Ils lui font honneur en nous livrant un album qui révèle ses charmes au gré d’écoutes attentives (dans la mesure où les circonstances le permettent!), non pas que la musique en soit hermétique, mais bien parce que cette convergence de regards sur la passion ne cède jamais à la facilité d’un vulgaire numéro de séduction, comme c’est le cas de ce pablum qui porte le nom de smooth jazz.

Hommage pur laine

Le carrefour du jazz et de la chanson française attire depuis longtemps les musiciens des deux camps.

En engageant Django et ses potes dès les années 30, Trénet avait donné le ton, mais en ce qui me concerne, la collaboration a atteint des sommets inégalables lorsque Brassens et Moustache convièrent, à la fin des années 60, une généreuse poignée de jazzmen français et américains à jammer sur une vingtaine de thèmes du Sétois, lesquels, il est vrai, étaient taillés sur mesure pour ce genre d’exercice.

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Dans le même ordre d’idées, l’ensemble Fleur de Lys s’est mis dans la tête, avec Retour aux sources (Disques XXI/Distribution SRI) de faire jazzer le répertoire québécois.

Un défi d’autant moins évident que l’octuor fondé par le guitariste Sylvain Picard n’a pas puisé chez Lelièvre, Léveillé ou d’autres auteurs-compositeurs jazzophiles dans l’âme, mais plutôt chez Richard Desjardins, Vigneault, et même Jean Leloup.

Parfois l’expérience s’avère d’un intérêt inattendu (Intouchable et immortelle, de Daniel Bélanger), parfois on tombe dans un jazz latin très quelconque (Le Picbois, de Beau Dommage).

Mais la seule réussite incontestable de cet album – Le train du Nord, de Félix – correspond à un chanson qui semble avoir été écrite avec un big band en tête, ce qui suggère que des choix de répertoire et d’approche plus «évidents» auraient peut-être assuré davantage de swing – et de cohérence – à cet hommage fleurdelysé.

Citoyens du jazz

Que ce soit au chapitre du blues, du hard bop ou du free jazz, Chicago a toujours été une des quelques villes (avec New York, la Nouvelle-Orléans et, naguère, Kansas City) où s’est forgée l’identité des musiques de souche afro-américaine.

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Et depuis une quarantaine d’années, l’étiquette chicagolaise Delmark s’emploie à documenter ce fertile milieu, tantôt par le biais de rééditions (comme le récent Junior Wells Live at Theresa’s 1975, de Junior Wells), tantôt en facilitant l’accouchement de nouveaux projets, comme ce Ready Everyday de Keef Jackson’s Fast Citizens.

Très loin de la virtuosité sans failles des musiciens qui sortent des programmes de jazz universitaires, ce sextuor aussi jeune qu’atypique (ténor, alto, cornet, violoncelle, contrebasse et batterie) pratique une vaste synthèse d’influences – Mingus et Sun Ra en tête – caractérisée par une quête de spiritualité souvent extatique et une cohérence structurelle d’autant plus impressionnante qu’elle semble forgée par un interaction quasi-télépathique.

Quoique 100 % acoustique, le jazz de nos véloces citoyens n’a rien de foncièrement traditionnel, canalisant l’esprit plutôt que la forme de ces musiques qui, à Chicago comme ailleurs, ont toujours été synonymes de liberté.

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