Les trois juges en chef de l’Alberta ont été induits en erreur

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Publié 22/10/2013 par Gérard Lévesque

Le Règlement 158/2013 sur les langues devant les tribunaux de l’Alberta incorpore les pratiques actuelles qui ont été développées au cours des années pour permettre aux Albertains d’expression française d’exercer leur droit d’employer le français selon le paragraphe 4(1) de la Loi linguistique.

C’est du moins ce que prétend Justice Alberta dans une lettre envoyée le 10 septembre dernier aux trois juges en chef de la province. Mais si cette affirmation est véridique, pourquoi le règlement est-il limité aux causes d’infractions provinciales? Est-ce que cela confirme qu’aucune pratique n’aurait été développée pour favoriser l’exercice du droit d’employer le français dans toutes les autres instances, notamment dans les causes familiales et dans les causes civiles?

Il aurait été conforme à la réalité de signaler aux trois juges en chef que, depuis mars 2011, une décision de la juge Anne Brown, dans l’affaire dans l’affaire R. c. Pooran, 2011 ABPC 77, avait clarifié le statut des deux langues devant les tribunaux de la province et avait, contrairement à la plaidoirie de la Couronne, confirmé que le droit d’employer le français signifiait quelque chose de très important, c’est-à-dire le droit d’être compris en français; non pas le droit d’être traduit en anglais comme c’est le cas pour l’emploi des langues non prévues dans le texte de la Loi linguistique.

Le français, langue étrangère

Il aurait été plus honnête d’informer les trois juges en chef que l’objectif du Règlement était plutôt de vouloir dégrader le français à l’état injuste où il se trouvait avant la décision de la juge Brown.

En effet, l’article 2 du Règlement enlève le droit à un juge apte à entendre sans interprète le justiciable d’expression française: si un justiciable donne un avis qu’il désire employer le français, la Couronne va fournir un interprète… comme elle le fait pour une langue étrangère!

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L’article 3 du Règlement laisse entendre qu’un justiciable peut demander une instance en français, mais cette requête est assujettie au consentement de la Couronne.

De plus, l’alinéa 3(2) b) du Règlement vise à dissuader le justiciable de demander un procès en français en obligeant celui-ci à payer des frais de traduction que n’a pas à payer le justiciable qui choisit un procès en anglais. Celui qui ose demander une instance en français perd injustement le droit d’utiliser l’autre langue des tribunaux: il doit faire traduire à ses frais tout élément de preuve qu’il a en anglais.

En Ontario

À titre d’information, en Ontario, lorsqu’un justiciable utilise le français, il ne perd pas le droit d’utiliser également l’autre langue officielle des tribunaux.

En effet, la règle de procédure civile 4.02.1 stipule qu’«un acte de procédure ou un autre document rédigé en français qui peut être déposé en vertu de l’article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires peut aussi comprendre une version de tout ou partie du texte rédigée en anglais».

C’est cette règle qui nous permet, par exemple, de déposer en format bilingue, pour le bénéfice de deux personnes de langue officielle différente, une requête conjointe en divorce ou une requête de nomination de fiduciaires d’une succession.

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Des obstacles

L’article 4 du Règlement albertain laisse entendre qu’un justiciable peut demander une instance bilingue, mais, là aussi, cette requête est assujettie au consentement de la Couronne.

Contrairement à l’Ontario qui, par l’entremise du Règlement 53/01, fournit différents moyens d’avoir accès à la justice en français, le règlement albertain fournit plutôt des obstacles à l’accès à la justice en français.

Le 5e et dernier article du Règlement albertain présente une autre illustration de la fausseté de l’allégation que ce règlement codifie des pratiques existantes.

En stipulant que les propos prononcés en français et en anglais dans les causes d’infractions provinciales doivent être rapportés dans les transcriptions, cet article va directement à l’encontre des présentes directives du Gouvernement de l’Alberta pour la préparation des transcriptions judiciaires.

Pas plus de demandes?

Je reconnais que le ministère de la Justice de l’Alberta a été franc en révélant aux trois juges en chef de cette province: «The Ministry does not anticipate an increased demand for French or bilingual proceedings as a result of this regulation».

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Toutefois, cet aveu confirme que le Règlement ne donne pas effet au droit qui est prescrit dans la loi albertaine et va à l’encontre de la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada: l’interprétation des droits linguistiques doit être conforme au maintien et à l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

Comme le site Internet de Justice Alberta ne diffuse aucune information en français, j’ai pris l’initiative d’écrire un texte de commentaires sur le Règlement 158/2013.

Et j’ai invité les juristes et les justiciables d’expression française de l’Alberta à me tenir informé des expériences, bonnes et mauvaises, qu’ils auront eu égard à ce règlement…

Renseignements

Règlement annoté de l’Alberta 158/2013
Règlement de l’Ontario 53/01sur les instances bilingues

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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