Les présidentielles françaises débordent chez nous

8642 électeurs inscrits au consulat

Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
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Publié 18/04/2017 par Lila Mouch et Émeline Bertel

Les dimanches 23 avril et 7 mai, les Français sont appelés aux urnes pour élire leur future présidente ou leur futur président. C’est un moment démocratique majeur pour les citoyens de l’Hexagone, mais aussi pour les Français établis à l’étranger: en Amérique du Nord, ils voteront un jour avant, soit les samedis 22 avril et 6 mai.

Cette élection mettra fin au quinquennat de François Hollande qui, en renonçant à un second mandat, a laissé la porte ouverte aux espoirs de nombreux candidats.

Il y a un an, qui aurait cru que François Fillon aurait été le candidat des Républicains, que Benoit Hamon aurait représenté le Parti socialiste, qu’Emmanuel Macron avec son nouveau parti En Marche! soit donné vainqueur dans tous les sondages, ou encore que Jean-Luc Mélenchon devienne le joker qui vient brouiller les prédictions? Personne.

Exit les Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Manuel Valls: le jeu des primaires a été fatal pour les condors ancestraux de la politique. En allant voter aux primaires, les citoyens ont répondu à une question simple: qui affrontera Marine Le Pen et son Front national au second tour?

2% d’électeurs hors de France

On compte environ 1,5 million de Français (3,5%) vivant hors des frontières de la France, ce qui représente 2% du corps électoral. Pour les candidats à la présidentielle, chaque vote est important.

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Les électeurs français de Toronto, eux, ne le voient pas forcément ainsi. L’Express en a rencontré plusieurs au cours des dernières semaines.

Gwendoline Rio, jeune journaliste, n’a «pas l’impression que les Français ont plus de pouvoir en étant à l’étranger. D’ailleurs, à partir du moment où tu ne participes plus au labeur de ton pays, ta voix s’amenuise. Je vais voter, mais c’est seulement pour n’avoir rien à me reprocher, j’aurais au moins donné mon opinion.»

Désillusion chez les plus jeunes aussi, comme, pour Louise qui est étudiante d’anglais: «Je pense que le vote des Français à l’étranger est dérisoire et ne représente pas celui de la majorité des Français vivant sur le territoire.»

Le vote réside dans le sentiment de citoyenneté. Mais être citoyen, ce n’est pas simplement mettre un bulletin dans les urnes. Dans cette période anxiogène sur fond de terrorisme et de difficultés économiques, la citoyenneté en France ou à l’étranger a pourtant montré de récents sursauts.

Les inscrits sur les listes consulaires de l’Ontario représentent cette année plus de 8600 personnes, soit une augmentation de 13% depuis 2016. Une nette augmentation pour Toronto: 40%, et une légère baisse de 2% pour le bureau d’Ottawa. Les procurations s’élèvent à 458 personnes (148 pour voter à Toronto, 310 pour voter en France).

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Thomas Gallezot (Macron).
Thomas Gallezot (Macron).

Faible enthousiasme

Pour Thomas Gallezot, soutien inlassable d’Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux, «le nombre de Français votant en Amérique du Nord est faible». D’après lui «les Français hors du territoire ont la sensation d’être laissés pour compte, mais aussi, comme une partie des Français de l’Hexagone, ils ont l’impression que voter c’est faire un cadeau à un homme politique… Le vote n’est plus ce qu’il était.»

Le mois dernier, le journal Le Monde indiquait qu’En Marche! comptait environ 14 000 adhérents hors de France. Emmanuel Macron est d’ailleurs l’un des seuls à s’être déplacé à l’étranger pour organiser des rassemblements, et «il envoie régulièrement des délégués dans les différentes capitales».

Pour Marc Cormier, l’un des quatre conseillers consulaires (élus) pour l’Ontario et le Manitoba, «le vote des Torontois sera probablement anti-FN». Cette idée est rejointe par Thomas Gallezot: «il y a de nombreuses communautés racialisées sur Toronto, elles ne sont certainement pas en faveur de Marine Le Pen».

«Au Canada, nous mettons en avant la politique de l’immigration», explique M. Cormier, qui s’avère être encore indécis pour le premier tour (il avait appuyé Juppé lors des primaires de la droite et du centre), mais il votera contre le Front national au deuxième tour.

Bruno Pineau-Valencienne (Fillon).
Bruno Pineau-Valencienne (Fillon).

Comme le post-doctorant en neuro-réhabilitation Bastien Moineau, soutien de Mélenchon pour l’Amérique de Nord: «Notre candidat fera appel pour barrer Marine Le Pen, la culture antifasciste de Jean-Luc Mélenchon est très forte.»

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Bruno Pineau-Valencienne, soutien engagé de François Fillon, considère que son candidat «est le seul a avoir l’expertise, l’expérience et la carrure pour habiter dignement et efficacement la fonction présidentielle.»

Selon ce consultant torontois en gouvernance d’entreprises, les électeurs ne sont pas dupes: «l’exploitation politique sur les affaires mêlant le candidat républicain étaient montées afin de tuer politiquement sa candidature.» Dans cette dernière ligne droite, les Français «ont muri leur choix», ajoute-t-il.

L’Express  n’a pas trouvé à Toronto de comité de soutien officiel à Marine Le Pen.

Couverture médiatique inédite

Pour ces élections, les médias et les réseaux sociaux ont joué un rôle prédominant: du jamais vu pour la 5e République. Les affaires judiciaires ont secoué l’opinion publique et la surmédiatisation de certains candidats finit par fatiguer  les citoyens.

À quelques jours du premier tour, le résultat de cette élection semble toujours imprévisible et plus incertain que jamais, même la première place de Marine Le Pen.

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De plus, suite aux surprises du Brexit et des élections américaines, les Français ne font plus confiance aux sondages. «Ils se sont trompés lors des précédents scrutins majeurs. Pour moi, ils devraient être interdits un certain temps avant les élections, car ils ont une influence indirecte sur les électeurs. Chacun doit se faire sa propre opinion sur la campagne», pense Mathieu Cal, comptable à Toronto.

Capucine Edou (Hamon) (Photo: Florent Mazurelle)
Capucine Edou (Hamon) (Photo: Florent Mazurelle)

«La campagne a été broyée par les scandales, qui n’ont pas permis de prendre la pleine mesure des programmes des candidats», indique Capucine Edou, soutien de Benoit Hamon à Toronto.

Selon les conversations menées par L’Express, c’est un sentiment que partagent de nombreux Français expatriés dans la ville-reine, pour qui cette élection est «sidérante, inattendue et déplorable», s’insurge Benjamin Recouvreur, étudiant en sciences politiques à l’Université York. «Les débats de fond sont relativement absents et le populisme gangrène cette élection. Les affaires font de la sphère politique française la risée de l’Europe et du monde.»

«C’est la première fois que les affaires judiciaires prennent une telle part dans la campagne présidentielle française. Par rapport aux États-Unis, la campagne présidentielle française s’est déroulée plus ou moins dans les mêmes circonstances: énormément de show et très peu de programme», selon Hermine Sam, également étudiante en sciences politiques à l’Université York.

Pour certains, la «surmédiatisation» d’Emmanuel Macron a mené plusieurs électeurs à penser qu’il était soutenu par les médias: «Macron c’est le néant absolu; la presse française veut voir en lui un Obama ou un Trudeau, mais tant de vacuité à couvrir c’est impossible», déclare Yoann David, stagiaire au Centre francophone de Toronto.

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Pour Anouck Duchosal, stagiaire au CFT elle aussi, «les élections françaises sont pour moi une version réduite des élections étasuniennes. Médiatiquement, je pense que c’est équivalent, les médias jouent un rôle crucial dans les campagnes, aussi bien en France qu’aux États-Unis.»

Cependant, le media-bashing opéré par certains candidats, voire par la plupart des candidats, finit par mener des électeurs à se méfier des médias traditionnels ou même à leur vouer une haine profonde. Ce serait le cas des soutiens de François Fillon, qui estiment qu’ils se sont fait «voler» cette élection, et qui s’en sont pris récemment à plusieurs équipes de télévision. Pourtant, pas de mal à l’horizon, Bruno Pineau-Valencienne martèle que «la victoire de François Fillon se traduira par le sursaut de la France lucide, résolument tourné vers l’avenir et en dehors des querelles partisanes.»

Enfin, des fausses informations relayées par les réseaux sociaux ont aussi mis à mal la crédibilité des médias en cette période électorale où le journalisme devrait jouer son rôle de chien de garde de la démocratie.

Bastien Moineau (Mélenchon)
Bastien Moineau (Mélenchon)

Bataille contre le système

Jean-Luc Mélenchon, avec son parti France insoumise, est le candidat de «la gauche de la gauche» qui se bat contre l’exclusion économique et politique par le «système».

Marine Le Pen aussi fustige le «système» et positionne le Front national en victime de la classe politique: les médias et le centre du pouvoir.

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Pour François Fillon, le «système», c’est plutôt la bureaucratie judiciaire et celle d’un l’État pléthorique, contrôlé notamment par le président sortant, qui l’attaque aujourd’hui.

Emmanuel Macron, lui, se dit indépendant d’un système auquel il a déjà pris part. Il entretient le paradoxe d’avoir vu le système de l’intérieur (il a été haut fonctionnaire, financier chez Goldman Sachs et ministre de l’Économie), d’en comprendre les limites, et donc de pouvoir le changer.

Pour Thomas Gallezot, «Macron a créé un mouvement où il n’y a pas de hiérarchie; la communication est bonne; chez lui il n’y a pas de caporalisme». Il ajoute que la structure de ce mouvement se veut antiparti. Une attitude entrepreneuriale, comme il a souvent été dit. «Il crée des relations de confiance et est un très bon juge de caractère. Beaucoup l’attaquent, car c’est un financier, mais quoi de mieux qu’un as de la finance pour relever l’économie d’un pays.»

Mascarade

Pour de nombreux Français de Toronto, cette élection représente un tournant important dans le paysage politique de la France. Parmi une centaine de témoignages recueillis anonymement par L’Express, les avis divergent.

«Cette élection est synonyme de tombée des masques. Fillon est un voyou, Le Pen une arnaqueuse, Macron une bulle d’air, le Parti socialiste un parti de lâches.»

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Ou encore «une mascarade! On a le choix entre la peste et le choléra! J’espère que le vote blanc sera un jour pris en considération! Ras-le-bol de cette cour de maternelle!»

Un point crucial semble être soulevé dans cette élection: la majorité des Français rencontrés la considèrent comme «un tournant plus important que les précédentes élections, du fait que ce dernier quinquennat fut l’un des plus pauvres pour le pays».

Beaucoup voient cette élection comme «un défi», «un saut dans l’inconnu».

Mais d’autres ne l’entendent pas ainsi: l’élection 2017 n’offrirait pas grand-chose de nouveau et est même comparée à une vaste tromperie, «une élection sans nom».

Pour Gwendoline Rio, «au lieu d’avoir fait une campagne avec des idées qui ressortent, tout ce que l’on entend ce sont les problèmes de Fillon et Le Pen. L’élection est historique parce qu’elle ressemble de plus en plus aux élections américaines.»

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Cette campagne est entachée par les affaires dans lesquelles sont impliqués François Fillon et Marine Le Pen, mais ils ne sont pas les seuls à être accusés de quelques doutes conspirationnistes. Jean-Luc Mélenchon apparaît récemment comme «l’homme qui va détruire la France».

Pour Bastien Moineau,  c’est plutôt Marine Le Pen qui représente la violence: «Les gens opprimés seront plus violents si elle est élue et la police sera plus armée et plus agressive. Le risque est de se constituer en groupe d’autodéfense, il y aura beaucoup de morts. Chez nous, la révolution citoyenne que propose Jean-Luc Mélenchon est en faveur de la paix. Il propose une idéologie humaniste, progressiste et socialiste.»

Si les liens entre Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon ont souvent été soulignés par les médias, de nombreux Français interrogés regrettent qu’une alliance n’ait pas été possible. Cependant, Capucine Edou voit en Benoit Hamon «un candidat qui dépasse le Parti socialiste. Pour la première fois, on va choisir une personne et non un parti politique. Contrairement aux autres, il n’a pas une démarche d’homme providentiel. Il veut une 6e République beaucoup plus démocratique, où les citoyens pourront beaucoup plus s’investir afin de créer du lien social.»

Marc Cormier pense que le système actuel ne plaît plus: «les citoyens veulent se débarrasser des magouilles en tout genre». Il rajoute que «le système des partis est exclu de cette élection, il y a un rejet des méthodes et un rejet des partis».

Homme providentiel

Ce rejet, Thomas Gallezot en est convaincu, «c’est ce que représente Emmanuel Macron». Malgré tout, l’ancien ministre de l’Économie ne fait pas l’unanimité parmi les votants torontois.

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Certains, comme Hermine Sam, étudiante en sciences politiques en échange à York, trouvent que son profil atypique lui donne les cartes nécessaires pour donner un air de renouveau à la politique française.

Pour d’autres, Emmanuel Macron incarne beaucoup trop l’homme providentiel, mais aussi un discours vide de sens: «Emmanuel Macron est une illusion, du début à la fin», croit Benjamin Recouvreur. «Il est un pur produit du système et son seul mérite et d’essayer d’avoir une approche différente de la politique. Se disant à la fois de droite et de gauche, il m’apparaît comme n’ayant aucune conviction profonde. J’ai aussi beaucoup de mal avec sa dimension messianique.»

Pour autant, l’ex-ministre socialiste Jacques Attali disait déjà, en septembre 2015, que «le prochain président serait un inconnu.» Avait-il prédit la candidature d’Emmanuel Macron ou avait-il déjà réussi à cerner l’exaspération des Français face aux partis traditionnels?

Thomas Gallezot ajoute également que le succès d’Emmanuel Macron auprès des jeunes provient de son image atypique. «Dans une société qui glorifie la jeunesse, Emmanuel Macron est le mieux placé, il inverse les codes et, malgré ce que l’on entend, c’est un homme qui a construit son avenir et qui a travaillé pour en arriver là.»

Mélenchon-Le Pen au 2e tour?

La majorité des commentateurs professionnels, comme des témoignages torontois recueillis par L’Express, attendent un duel Macron-Le Pen au deuxième tour.

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Mathilde Hédé, ingénieure en robotique à Toronto, voit plutôt un second tour réunissant Macron et Fillon, alors que Ludovic Lubiato, architecte, souhaite un débat opposant Mélenchon et Hamon. Bastien Moineau voit clairement son candidat dans une dynamique qui le poussera à être le deuxième homme de cette élection, «Jean-Luc Mélenchon est très en avance sur les réseaux sociaux, il serait intéressant de le voir face à Marine Le Pen.»

«En politique, rien n’est joué d’avance» rappelle Capucine Edou. En effet, encore beaucoup de Français ne savent pas encore avec certitude (ou ne disent pas) pour qui ils vont voter. Marine Le Pen et François Fillon possèdent un socle électoral solide, ce qui n’est pas le cas pour Emmanuel Macron. La surprise à l’issue du premier tour peut donc être totale à cause de la division des partis, des interférences qu’ont créées les affaires médiatisées et de la colère des Français.

C’est ce qui expliquerait la remontée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages ces dernières semaines: «On va finir dans un sprint final à quatre, c’est magnifique et inespéré, après avoir cru de manière désabusée à un second tour Fillon-Le Pen pendant des mois», s’exclame Yoann David.

La peur de voir le Front national prendre le pouvoir est présente dans l’esprit de plusieurs expatriés, mais l’idée reste pour la plupart une illusion. Le système électoral français étant différent de celui des États-Unis, le Front national ne s’imposera pas au second tour, croient-ils.

Attachés à la France

«Les Français de l’étranger sont des communautés de plus en plus dynamiques. C’est une voix utile pour la France, un regard sur le monde, un trait d’union entre l’Hexagone et le pays d’accueil des expatriés, et tout cela contribue au débat public», déclare Capucine Edou.

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Même pour les Français qui sont établis depuis longtemps à Toronto, l’élection présidentielle française reste une préoccupation importante.

Nicole, qui s’est installée à Toronto avec mari et enfants il y a maintenant 18 ans, reste très attachée à la France. Elle pense à sa famille, à ses amis, qui vivront au quotidien les conséquences de ce vote. «C’est très important de voter, même si nous sommes présents sur Toronto depuis de longues dates. Avec mon mari, on tient nos enfants informés de ce qui se passe en France. Même s’ils sont géographiquement coupés de la France, on fait en sorte qu’ils se sentent concernés. Ils iront donc voter.»

Pour plus d’informations, connectez-vous sur le site du consulat de France de Toronto.

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