Les oubliés de la terreur nazie

Marqués du triangle rose

livre
Ken Setterington, Marqués du triangle rose, essai traduit de l’anglais par Daoud Najm, Québec, Éditions du Septentrion, 2018, 164 pages, 17,95 $.
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Publié 13/05/2018 par Paul-François Sylvestre

Le drapeau arc-en-ciel est connu mondialement comme symbole de la communauté LGBT, mais plus de 80 ans après les camps de concentration, le triangle rose demeure trop souvent méconnu. Avec son essai intitulé Marqués du triangle rose, le Torontois Ken Setterington, va certainement aider à faire connaître les oubliés de la terreur nazie, c’est-à-dire les prisonniers homosexuels.

Dans les camps de concentration, chaque personne portait, cousu à sa veste, un triangle dont la couleur indiquait le motif de sa détention: rouge (politique), vert (criminel), noir (antisocial), jaune (juifs), violet (témoin de Jéhovah), brun (romanichel), rose (homosexuel). À travers un mélange de recherches historiques, de témoignages et de récits individuels, Ken Setterington relate une page d’histoire qui est tout sauf rose.

Préoccupation nationale

Dès 1871, le paragraphe 175 du code pénal allemand rend criminels les actes sexuels entre hommes, mais il n’est presque pas appliqué avant 1928 lorsque Hitler déclare «quiconque pense à l’amour homosexuel est notre ennemi». Or, dix ans auparavant, «plus que n’importe où ailleurs dans le monde, Berlin était un milieu de vie excitant pour un homme gai».

Qu’est-ce qui change tout d’un coup? C’est la création d’une «race supérieure» composée d’Aryens forts, d’hommes et de femmes capables de se reproduire. Les homosexuels ne sont évidemment pas de cette race. En 1935, le paragraphe 175 est révisé pour inclure non seulement les actes mais également «une intention ou une pensée homosexuelle».

Sous Hitler, «la sexualité n’était pas chose privée, mais un sujet de grande préoccupation nationale». Durant les six années avant la Seconde Guerre mondiale, le nombre de condamnations pour homosexualité en Allemagne passe de 853 par année (1933) à 8 562 (1938). Dans les camps de concentration, un détenu homosexuel était souvent appelé le 175e, en référence au paragraphe 175 du Code pénal.

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Numéro 1896

L’auteur signale, en passant, que les mots «camps de concentration renvoient au nombre concentré de prisonniers qui s’y trouvaient». Il n’existe pas d’archives indiquant pourquoi la couleur rose a été choisie pour identifier les homosexuels. Les lesbiennes, elles, portaient le triangle noir parce que considérées comme antisociales.

«Il n’y a pas de statistiques qui puissent nous renseigner sur le nombre d’homosexuels morts dans les camps, mais on estime leur taux de mortalité à près de 60% – l’un des plus élevés parmi les prisonniers qui n’étaient pas juifs.»

Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule bande de tissu arborant un triangle rose et un chiffre, le 1896; elle se trouve au United States Holocaust Memorial Museum à Washington D.C. Ce triangle a été porté par l’Autrichien Josef Kohout.

Alliés peu empathiques

Durant la guerre, Hitler visait aussi les homosexuels en Autriche, en France et en Hollande. Or, en Pologne et dans l’Union soviétique, les nazis considéraient la population inférieure et ne prenaient pas la peine de cibler les homosexuels. «Ils les ont laissés tranquilles, croyant qu’ils permettraient de miner la société de l’intérieur.»

L’auteur nous apprend que les forces alliées avaient très peu d’empathie pour les prisonniers homosexuels lors de la libération, sans doute parce que ces alliés venaient de l’Angleterre, des États-Unis et du Canada où l’homosexualité était encore illégale. À leurs yeux, les triangles roses étaient donc des illégaux, des criminels.

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Comme au Canada, ce n’est qu’en 1969 que l’homosexualité a été décriminalisée en Allemagne. Les programmes de compensation aux victimes du régime nazi excluaient les homosexuels. Considérés comme des criminels, «ils ne pouvaient pas travailler dans la fonction publique, ils ont perdu leurs titres universitaires et professionnels et on leur a interdit le droit de voter».

Homomonument à Amsterdam

Il a fallu attendre jusqu’en 1984 pour qu’une première plaque commémorative honorant les prisonniers homosexuels soit installée (au camp de concentration de Mauthausen). L’année suivante, on fera de même aux camps de Dachau et de Neuengamme. En 1987, l’Homomonument est érigé à Amsterdam, tout près de la Maison Anne-Frank. Il s’agit du plus grand monument au monde honorant les prisonniers homosexuels et prisonnières lesbiennes.

Bibliothécaire pendant plus de trente ans à la Toronto Public Library, l’auteur remercie ses collègues qui ont été «extrêmement serviables lorsqu’il m’a fallu trouver certaines informations».

Amsterdam
L’Homomonument érigé à Amsterdam en 1987, tout près de la Maison Anne-Frank. (Photo: Wikipedia Commons)

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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