Les conservateurs ont le droit d’avoir un parti

débat télévisé
Doug Ford, Kathleen Wynne et Andrea Horwath ont répondu à des questions de citoyens et ont débattu de leurs programmes dans le studio de CityTV le 7 mai.
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Publié 08/05/2018 par François Bergeron

Quelque chose ne tournait pas rond dans le parti de Patrick Brown, que l’élection de Doug Ford a permis de réparer.

Non, ça n’a rien à voir avec des «inconduites» envers des femmes, très exagérées dans l’affaire Brown, encore introuvables chez Ford.

Ce qu’on apprécie maintenant, c’est que les conservateurs ontariens ont réaffirmé leur droit d’avoir un parti… conservateur. Pas un parti juste un peu moins libéral ou moins socialiste que les deux autres (interchangeables franchement), mais bien une véritable alternative à l’incontinence fiscale et aux lubies de Kathleen Wynne et Andrea Horwath.

Le parti de Doug Ford se nomme encore «progressiste-conservateur». C’est un accident historique: le NPD n’est plus «nouveau» non plus, et le Parti libéral de l’Ontario n’est plus «libéral» au sens français classique du terme («liberal» au sens américain moderne, oui). Au moins, le Parti PC (deux lettres qui réfèrent plus souvent, malheureusement,  à «politiquement correct») peut revendiquer que plusieurs de ses politiques participent au «progrès» de la société, contrairement à bien d’autres idées de ses adversaires n’ayant de «progressistes» que le slogan.

Déficit

Le programme PC sous Patrick Brown ne promettait même pas un budget équilibré, au moment où les Libéraux se vantaient (mentaient, selon la vérificatrice générale) d’avoir finalement atteint le déficit zéro après 15 ans au pouvoir.

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Comme avec les Libéraux fédéraux, ce ne fut qu’une petite pause pour mieux replonger dans le rouge: de 6 milliards $ selon le gouvernement, le double selon la vérificatrice, le triple selon d’autres analystes.

Ce n’est pas si dramatique dans un budget de 158 milliards $, direz-vous. Mais justement, cela signifie qu’équilibrer les finances de la province ne requiert pas un effort surhumain. On peut encore accomplir beaucoup de choses en Ontario avec 150 milliards $ (et au fédéral avec 300 milliards $).

Au cours du débat télévisé de lundi soir, ses deux adversaires alléguant qu’il prépare des «coupures massives» dans tous les services publics, Doug Ford a plutôt promis de les protéger ou de continuer de les développer en éliminant le «gaspillage» et la «corruption».

Dans une de ses hyperboles invérifiables dont il a le secret, il a même assuré qu’aucun policier, enseignant, infirmière ou fonctionnaire n’aurait à être mis à pied suite à ses réformes.

Climat

Brown disait aussi accepter le narratif alarmiste pseudo-scientifique à la mode sur les changements climatiques, en proposant de remplacer par une «simple» taxe carbone le système alambiqué Ontario-Québec-Californie de plafonnement et d’échange de gaz à effet de serre.

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Quatre milliards $ de réduction de tarifs d’électricité et de nouveaux programmes sociaux (pour la santé mentale notamment) reposaient sur cette taxe: quatre trente-sous pour une piastre, puisque c’est aussi ce que le système des Libéraux rapporterait à court terme.

Au congrès d’orientation de 2016 où Brown avait annoncé ce compromis qui sentait la compromission, l’inconfort des délégués était palpable et audible. Cependant, sauf pour quelques dissidents sur Facebook, la majorité ont ravalé leurs principes en prévision d’une victoire le 7 juin 2018.

Ford a balayé tout ça en promettant non seulement que l’Ontario sortira du système de plafonnement et d’échange, mais qu’il n’y aura pas de taxe carbone et qu’il combattra toute ingérence du fédéral là-dedans (peut-être avec l’appui d’un Québec dirigé par François Legault à partir du 1er octobre). Au cours de la campagne au leadership, même ses adversaires Christine Elliott et Caroline Mulroney n’ont pas osé le contredire là-dessus.

S’ajoutant à l’affrontement Alberta vs Colombie-Britannique sur le pipeline Trans Mountain, Justin Trudeau risque d’avoir une «tempête parfaite» sur le dos.

Comme Stephen Harper en 2015, et comme Donald Trump qui a répudié l’Accord de Paris l’an dernier, Doug Ford s’en tient aux arguments économiques (protection des emplois, réduction des coûts de l’énergie), plutôt que de s’empêtrer dans le débat scientifique (facteurs naturels vs causes industrielles, incidence du CO2, réchauffement prévu, adaptation vs mitigation). C’est un manque de leadership… mais probablement la bonne décision politique, en attendant le jour où il sera possible de discuter de ces questions plus sereinement.

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Le sujet n’a cependant pas été abordé lors du débat de CityTV, où on a privilégié les enjeux locaux comme le «carding» raciste et la formation des policiers à la désescalade des conflits.

Néo-nazi

Ford est issu du milieu des affaires et d’une vieille famille politique, ce qui ne l’empêche pas de s’en prendre aux «élites» déconnectées des préoccupations de la majorité des gens. Il est plus impulsif que cérébral, plus à l’aise devant une foule que dans un studio de télévision, comme on a pu le constater lundi soir face à une Kathleen Wynne maîtrisant ses dossiers et une Andrea Horwath dynamique.

Donc c’est un «populiste» du même acabit que le président américain que tout le monde déteste? Oui et non…

Premièrement, «tout le monde» ne déteste pas Trump. Ses ennemis sont toujours étonnés de lui trouver des appuis chez les ouvriers, les minorités, les jeunes, les femmes… une démographie qui ressemble curieusement à celle d’Etobicoke Nord. L’épithète «populiste», ici, traduit surtout la frustration d’adversaires qui aimeraient bien obtenir un tel appui «populaire».

Malheureusement, les Libéraux sont passés cette semaine de «populiste» à «nazi» en tentant d’associer Doug Ford à d’obscures personnalités anti-immigration ou homophobes ayant exprimé une préférence pour l’élection des Conservateurs le 7 juin. Ce coup bas est d’autant plus répréhensible qu’il survient après que le chef ait congédié sa candidate Tanya Granic Allen, la porte-étendard des conservateurs «sociaux», à cause de propos homophobes tenus il y a quelques années mais qui ont refait surface.

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On a le droit de vouloir une meilleure gestion de l’immigration ou de ne pas adhérer au culte de la victimisation des minorités. Mais les vrais extrémistes infréquentables restent très minoritaires dans la société en général comme dans les partis conservateurs canadiens, quoi qu’en disent les milléniaux qui pensent avoir inventé la diversité.

Ford a aussi tout de suite battu en retraite, la semaine dernière, après le tollé de protestations qu’a suscité son commentaire paraissant remettre en question la protection de la «ceinture verte» au nord de Toronto. Ce n’est pas le comportement d’un dictateur en puissance.

Par contre, étrangler le peuple de contrôles et de taxes, et inventer des crises et des ennemis, ça sort tout droit de 1984.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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