Le «Quebec bashing» de Maclean’s: plus grave qu’un pet de cerveau

Andrew Potter perd sa chaire mais reste prof à McGill

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Publié 24/03/2017 par François Bergeron

Andrew Potter, l’auteur d’un article dans le magazine Maclean’s dénigrant la moralité des Québécois, qui a provoqué un tollé de protestations sur la place publique, jusqu’au bureau du premier ministre Philippe Couillard, s’est rapidement excusé sur Facebook, puis a démissionné cette semaine de sa chaire d’études canadiennes de l’Université McGill… maintenant accusée dans certains milieux de brimer la liberté d’expression. Il conserve toutefois son poste de professeur.

Nouvelle manifestation de «Québec bashing» au Canada anglais ou «pet de cerveau» de la part d’un prof (de philosophie) et journaliste respecté (ex-rédacteur en chef du Ottawa Citizen), son analyse du récent cafouillage sur l’autoroute 13, où des centaines d’automobilistes ont été pris pendant une douzaine d’heures dans une tempête de neige, a sidéré de nombreux lecteurs.

Andrew Potter
Andrew Potter

Ce natif du Manitoba, résident de Montréal depuis un an (où il avait étudié à McGill avant de faire son doctorat à l’Université de Toronto, d’enseigner à Peterborough et de faire carrière à Ottawa) a notamment affirmé que l’incident sur l’A13 illustre un profond «malaise social». Selon lui, la société québécoise – qu’on savait déjà «politiquement dysfonctionnelle», selon le magazine – souffrirait d’une sorte de déficit de solidarité.

«Compared to the rest of the country, Quebec is an almost pathologically alienated and low-trust society, deficient in many of the most basic forms of social capital that other Canadians take for granted», lit-on sous la signature d’Andrew Potter dans Maclean’s le 21 mars.

Ce magazine, qui appartient au câblodistributeur Rogers, a déjà titré que le Québec était la province la plus «corrompue» au Canada. On s’y plaignait récemment de l’obligation (morale) d’être bilingues pour les candidats à la direction des grands partis politiques canadiens.

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Ce nouveau dérapage rappelle celui qui avait mis fin à la carrière de la chroniqueuse Jan Wong, dans le Globe and Mail, où elle avait attribué au nationalisme québécois la colère de Marc Lépine, le tueur de 14 étudiantes à Polytechnique en 1989.

En éditorial ce vendredi 24 mars, le Globe and Mail estime qu’un mauvais article dans un magazine est une affaire mineure comparée à la punition de son auteur par son université. À la page suivante, un chroniqueur invité estime qu’Andrew Potter n’aurait pas dû s’excuser et n’aurait pas dû démissionner!

Des commentateurs ont relevé diverses faussetés dans l’article d’Andrew Potter pour Maclean’s, comme son affirmation que les restaurants offrent régulièrement à leurs clients de payer comptant pour payer moins d’impôt. D’autres ont aussi remarqué son omission du travail des secouristes et de gens qui sont venus spontanément en aide aux automobilistes dans cette nuit du 14 au 15 mars.

Norman Cornett
Norman Cornett

«C’est plus grave qu’un ‘pet de cerveau’, et sa démission est pleinement justifiée», estime en entrevue à L’Express l’ex-professeur de McGill Norman Cornett qui, ironiquement, a lui aussi été congédié de cette institution en 2007 – injustement selon lui, sans explications, probablement parce qu’on n’appréciait pas sa méthode «dialogique» d’enseignement. Son affaire, qui avait ému la communauté universitaire, a même fait l’objet d’un documentaire d’Alanis Obomsawin.

«La liberté académique et la liberté d’expression sont importantes, mais personne n’a carte blanche pour dire n’importe quoi», explique le prof Cornett (aujourd’hui régulièrement invité dans plusieurs universités canadiennes, américaines et européennes). Il faut, selon lui, évaluer chaque affaire de liberté d’expression au cas par cas.

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Ici, poursuit-il, «Andrew Potter a écrit des énormités qui ont discrédité sa chaire d’études canadiennes à McGill, surtout qu’il n’est ni sociologue ni psychologue».

«Est-ce que le fait d’être directeur de l’Institut d’études canadiennes, professeur, détenteur d’un Ph.D., lui donne le droit de faire passer des caricatures et des stéréotypes de la société québécoise pour l’érudition? Ou encore d’emprunter une approche pseudo-psychanalytique à l’étude du Québec? Où se trouvent les faits, les données, les statistiques, les recherches sociologiques récentes qui lui permettent de faire de telles généralisations sur la société québécoise? De plus, en tant que philosophe de formation académique, quels sont les premiers principes, les présuppositions, voire les préconceptions qui informe sa vision du Québec, de sorte qu’il en tire des conclusions globales sur la société québécoise basées sur un événement météorologique?»

Le magazine Maclean’s et sa rédactrice en chef Alison Uncles – qui continue de défendre son blogueur et dénonce maintenant l’intransigeance de l’université – sont aussi coupables et ne cherchent qu’à vendre de la copie, selon Norman Cornett. «La pensée rationnelle a fait défaut ici: les arguments d’Andrew Potter ne tiennent pas debout et auraient dû être interceptés à la rédaction du magazine.»

«Cette tempête sur l’autoroute 13, c’est devenu la Tempête de Shakespeare!»

«On en revient à la case de départ: les ‘deux solitudes’ de Hugh MacLennan», déplore le prof montréalo-texan. «Les universités, surtout une chaire d’études canadiennes comme celle de McGill, université anglophone dans une métropole francophone, devraient bâtir des ponts entre les communautés, pas creuser des gouffres», assène Norman Cornett.

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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