Le passé revisité : quand les héros tombent de leur piédestal

Faut-il avoir honte de John A. Macdonald?

Le premier Premier ministre du Canada, John A. Macdonald, a longtemps orné nos billets de 10 $. Il a été remplacé cette année par la militante des droits des noirs Viola Desmond, mais la rumeur veut qu'on le retrouve bientôt sur des billets d'une plus forte dénomination.
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Publié 01/07/2018 par Lucas Pilleri

Le Canada compte 3600 désignations patrimoniales fédérales, dont 691 personnages historiques. Parmi ces figures illustres, certaines sont aujourd’hui décriées, faisant l’objet d’une lecture nouvelle à la lumière de considérations modernes.

Pour les historiens, c’est une preuve que la société cherche son identité au gré des controverses.

John A. Macdonald était-il un grand homme? Si la question ne se posait pas il y a encore quelques années, plusieurs voix s’élèvent depuis peu pour contester la place de héros accordée au premier premier ministre du Canada.

Un daguerréotype de John A. Macdonald, pris entre 1845 et 1850, alors qu’il était dans la jeune trentaine. C’était l’époque de la mise en quarantaine des immigrants irlandais fuyant la famine, de l’établissement d’un premier hôpital à Ottawa et de l’effondrement d’une des deux arches du célèbre Rocher percé. (Source : Bibliothèque et Archives Canada, no. d’acc. 1968-086 / PA-12157 via Wikimédia)

Noms d’écoles et de prix

Inscrit au patrimoine en 1939, celui qui est considéré comme l’un des Pères fondateurs de la Confédération est la cible depuis 2017 de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, qui veut retirer son nom des écoles et lieux publics.

La Société historique du Canada (SHC) a, elle, renommé en mai dernier le Prix Sir-John-A.-Macdonald, une distinction prestigieuse attribuée au meilleur ouvrage historique depuis 1977.

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«Nommer un prix après un politicien n’est pas évident», estime Michel Duquet, directeur général de la SHC. Malgré tout, il l’assure, «il ne s’agit pas de réviser l’histoire, mais simplement d’éviter les controverses». La récompense s’appellera dorénavant le Prix du meilleur livre savant en histoire canadienne.

Patrice Groulx, professeur d’histoire à l’Université Laval, était en lice pour ce prix il y a une vingtaine d’années. «J’ai toujours trouvé ça bizarre que la SHC ait attribué ce nom-là», confie-t-il. Il faut dire que l’historien ne porte pas l’homme politique dans son cœur: «On en a fait le fondateur du Canada alors qu’on sait très bien que le Canada n’a pas été fondé par Macdonald, c’est un personnage qui ne mérite pas tous ces égards», assène-t-il.

Patrice Groulx, chargé de cours au Département des sciences historiques, Faculté des lettres et des sciences humaines, Université Laval (Québec), également consultant en histoire.

Autochtones affamés et Chinois taxés

Le personnage a en effet de quoi faire grincer des dents, 150 ans après l’avènement de la fédération: entre suspension des vivres pour contraindre les Autochtones à rejoindre les réserves et instauration d’une taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, Macdonald est accusé d’avoir joué un rôle actif dans le génocide culturel des peuples autochtones et l’affirmation des stéréotypes raciaux.

D’après Patrick Noël, historien et professeur adjoint au département des sciences humaines et sociales de l’Université de Saint-Boniface, la distinction entre histoire et mémoire est essentielle pour bien comprendre.

La première est «une représentation complexe, analytique, détachée de toute émotion», alors que la seconde a des fonctions «beaucoup plus utilitaristes, un rapport plus émotionnel qui renvoie à l’identité d’un groupe quelconque». Le rôle de l’histoire serait donc de corriger les excès de la mémoire, notamment en «déglorifiant les héros de la société».

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John A. Macdonald à l’époque où il devient le premier premier ministre du Canada, en 1867. (Source : Bibliothèque et Archives Canada via Wikimédia)

Le pouvoir s’autocommémore

Son confrère Patrice Groulx pose le même regard et insiste sur la séparation entre les faits, ou données historiques, et les interprétations.

Ainsi, lorsque Macdonald est commémoré par ses pairs, «le pouvoir s’autocommémore», introduisant un attachement sentimental et insistant sur le meilleur profil de l’homme. Si le travail de l’historien est scientifique, celui de la commémoration est politique avant tout: «C’est un travail de glorification», ponctue l’expert.

Le cas de Louis Riel, chef métis exécuté en 1885 sur ordonnance du premier ministre Macdonald, illustre la façon dont un même personnage peut diviser. «Riel est à la fois un symbole des identités métisse, francophone et manitobaine. C’est un cas intéressant de concurrence mémorielle», relève Patrice Groulx.

La Société franco-manitobaine avait, en vain, réclamé en février 2017 au gouvernement fédéral que Louis Riel soit exonéré de sa condamnation pour trahison.

«La demande et le refus de le réhabiliter ont tous deux une signification. Des groupes et des identités se heurtent dans la société autour de la mémoire. Tous ces cas-là ne font que remettre en lumière des questions non réglée», analyse l’historien.

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Patrick Noël, professeur d’Histoire à l’Université de Saint-Boniface.

Dollard des Ormeaux

Pour Patrick Noël, déboulonner les statues et arracher les pages des manuels d’histoire n’est pas la solution. «Il est rare de trouver un personnage sans lacune, sans bavure, sans erreur. Lorsqu’une société décide d’ériger une statue, c’est qu’elle ressent le besoin de donner des repères, des balises identitaires.»

Si l’on ressent aujourd’hui le besoin de désacraliser un Macdonald au profit d’autres figures historiques, «c’est peut-être que l’identité canadienne a changé».

Autre exemple, le nom d’Adam Dollard des Ormeaux a longtemps fait l’objet d’un culte patriotique. Resté célèbre pour son sacrifice face à l’invasion iroquoise en 1660, baptisé «l’exploit du Long-Sault», sa mémoire était célébrée chaque année au Québec avec la Fête de Dollard – là où le reste du pays célèbre la fête de la Reine – avant d’être remplacé en 2003 par la Journée nationale des patriotes.

Pour Patrice Groulx, voilà l’exemple de l’affaissement d’un mythe. «Les historiens du 19e siècle, particulièrement les religieux, en ont fait un héros, un défenseur de la civilisation blanche contre la barbarie autochtone. Rappelons que lors de la bataille, Dollard était accompagné de 40 Hurons et de 4 Algonquins… La commémoration a amplifié le mythe jusqu’à déformer la réalité historique», estime l’historien.

La statue de Dollard des Ormeaux au parc Lafontaine à Montréal. (PhotoL Gene.arboit, commons.wikimedia)

Présentisme

Michel Duquet, lui, met en garde contre le présentisme, cette tendance à revoir l’histoire selon la culture du présent. «Peu de personnages s’en sortiraient avec une bonne note», ironise-t-il.

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Retirer un nom tendancieux du fronton d’une école rend-il donc justice? Pas selon Patrice Groulx, qui interroge: «On veut changer les symboles, mais change-t-on les fondements de ces symboles?»

Lui qui considère la Loi sur les Indiens fondamentalement «raciste» se demande si le retrait d’un Macdonald de la place publique a une quelconque influence. «Macdonald incarne l’institution canadienne parce qu’on en a fait l’incarnation, à tort ou à raison», note-t-il. Il reste que c’est le premier Premier ministre du Canada.

Michel Duquet, directeur général de la Société historique du Canada.

Les Acadiens de Moncton

De surcroît, n’est-il pas étonnant de retrouver le nom de Robert Monckton, cet officier britannique connu pour son rôle dans le Grand Dérangement des Acadiens, pour désigner la ville où se retrouve justement un grand nombre d’Acadiens?

C’est l’illustration que l’écriture de l’histoire est politique pour Patrice Groulx: «Les gagnants imposent leur nom. L’histoire s’est constituée dans le but de donner une assise mémorielle à un dessein politique. »

En définitive, les controverses autour de personnages illustres en disent certainement davantage sur l’époque actuelle que sur l’histoire elle-même. C’est que, dans une société en mutation, aux identités changeantes, la mémoire évolue et ses fondements en sont secoués.

Le général Robert Monckton a dirigé la déportation des Acadiens en 1755.

Auteur

  • Lucas Pilleri

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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