Le mot interdit qui commence par C

Indice : ce n'est pas «sécession»

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Publié 03/08/2018 par François Bergeron

La ville de Toronto devrait-elle se séparer de l’Ontario pour devenir une 11e province canadienne, avec ses 2,5 millions d’habitants et son budget de 11 milliards $ ?

L’autoroute 407 au Nord pourrait en être la frontière «naturelle». La 401 traverserait la nouvelle province, sans entraves faut-il souhaiter, comme quand la 401 ontarienne devient la 20 au Québec.

Tant qu’à faire, le Nord de l’Ontario, disons à partir du lac Nipissing, pourrait former une 12e province d’un million d’habitants. Son économie et sa démographie sont déjà très différentes de celles du Sud.

De telles discussions sont futiles dans l’immédiat, parce que cette réforme constitutionnelle devrait non seulement obtenir l’accord du gouvernement actuel de l’Ontario, mais devrait idéalement être initiée par celui-ci. Elles sont relancées ces temps-ci par le projet du nouveau gouvernement conservateur de Doug Ford de réduire de 47 à 25 le nombre de conseillers municipaux torontois issus des élections du 22 octobre prochain.

La campagne des élus qui se représentent et des autres candidats en lice s’en trouve bouleversée. Leur circonscription double de superficie et de population, leur nombre d’adversaires aussi!

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Toronto serait la plus petite province du pays en superficie, mais la cinquième plus populeuse.

Recours juridiques ou politiques

Avec le maire John Tory, ils réclament un référendum, une injonction, la tutelle fédérale, l’intervention de la reine, n’importe quoi pour bloquer cette réforme, pour laquelle ont tout de même voté 17 des 44 conseillers municipaux en début de semaine, et qui aurait déjà l’appui d’un bon tiers des citoyens de la métropole, peut-être de la moitié.

C’est la candidate à la mairie Jennifer Keesmaat, qui trouve le maire trop mou dans cette affaire, qui a tweeté plus ou moins sérieusement le mot «sécession»…

Ce sera peine perdue: la Constitution canadienne donne clairement les affaires municipales aux provinces.

Or, les politiciens canadiens ne veulent plus reparler de Constitution, avec ses «société distincte», «clause nonobstant» et autre «formule d’amendement». Ils sont encore traumatisés par les référendums québécois de 1980 et 1995, et, dans l’intervalle, par l’échec des réformes constitutionnelles de Meech et de Charlottetown.

Abdication de leadership

À la moindre question sur un problème vaguement constitutionnel, la réponse instantanée de tous les chefs fédéraux et provinciaux est la même: on n’a aucune intention de toucher à la Constitution, ni d’en parler, ni même d’y penser!

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Nos soi-disant «leaders» abdiquent leur leadership ici.

Chaque année, entre le commerce de la bière et les pipelines, la santé et les armes à feu, l’immigration illégale et le cannabis, les premiers ministres devraient aussi pouvoir discuter normalement, naturellement, décomplexés, d’améliorations à apporter à la Constitution: préciser les droits des Premières Nations, renforcer le statut des langues officielles, réévaluer le rôle de la monarchie…

Et, une fois ou deux par siècle, ils pourraient discuter de l’utilité de créer une ou deux nouvelles provinces à partir de celle qui serait devenue trop populeuse: l’Ontario, où vivent aujourd’hui 14 des 37 millions de Canadiens.

Fusions et défusions

Inversement, en s’inspirant de la logique de la réforme de la carte électorale torontoise, nos premiers ministres pourraient discuter de fusionner les plus petites provinces comme le Nouveau-Brunswick, l’Île du Prince Édouard et la Nouvelle-Écosse (moins de 2,5 millions d’habitants ensemble), peut-être les trois provinces des Prairies (7 millions), les trois territoires du Grand Nord (120 000).

Malheureusement, pour l’instant, on n’est même pas capable de s’entendre sur l’utilité que l’île de Montréal puisse former une seule ville.

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À l’ONU ou dans les institutions continentales, on devrait aussi lever le tabou sur la rationalisation des frontières nationales: il y a peut-être trop de pays en Afrique (54), en Europe (50) et en Amérique latine (20)… et pas assez en Amérique du Nord (2).

Relisons et réactualisons les Nine Nations of North America de Joel Garreau (1981): on imagine aisément une demi-douzaine de pays souverains en Amérique du Nord (dont, bien sûr, le Québec français).

On peut aussi estimer qu’une telle décentralisation ne coûterait pas plus cher – une demi-douzaine de gouvernements moyens plus proches plutôt que deux gros plus lointains  – et susciterait même une compétition/émulation bénéfique.

C’est l’argument des opposants à la centralisation qui est proposée pour Toronto: ce qu’on économisera en salaires d’élus locaux, qui seront débordés et plus rarement accessibles, on le perdra en finesse et en souplesse.

Ce n’est pas difficile d’imaginer deux fois moins de pays en Europe et en Amérique latine, trois fois moins en Afrique; mais est-ce vraiment souhaitable?

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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