Le Grand Nord: un autre monde

Les tribulations d’un enseignant de Toronto au Nunavut

Cape Dorset en septembre
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Publié 09/12/2017 par Julien Lagarde

Si l’on s’accorde pour dire que le Canada recèle d’une grande variété de paysages et de réalités sociales, voyager au Nunavut donne une toute autre dimension à ce sens commun.

Voilà quatre mois que ma famille et moi nous sommes installés à Cape Dorset, petite localité située au sud-ouest de l’île de Baffin. Tentés par l’expérience du Grand Nord et poussés par une certaine routine propre à la vie citadine, ma femme et moi avons décidé de venir enseigner ici. Certes, nous n’avons pas quitté le Canada, mais nous avons bel et bien mis les pieds dans un nouveau monde.

Le Nunavut est un territoire des extrêmes: 2 millions de kilomètres carrés pour un peu plus de 35 000 habitants. En août, les belles journées d’été nous offraient des températures que d’aucuns qualifieraient de fraîches (une quinzaine de degrés en moyenne), et bientôt nous irons flirter avec les -30 degrés et le blizzard.

L’arrivée par avion, principal moyen de locomotion pour se déplacer au Nunavut, nous permet d’apprécier l’étendue de ce territoire et évoque très vite un sentiment de solitude face à cette immensité arctique. Le paysage, composé de toundra et de moyennes montagnes, aujourd’hui recouvert d’un épais manteau blanc, se dresse à perte de vue et nous fait vite comprendre que vivre ici, c’est avant tout survivre.

Cape Dorset en novembre
Cape Dorset en novembre

Converser en inuktitut

Bien que la majorité des habitants de Cape Dorset parlent l’anglais, les conversations se font en général en inuktitut. Traditionnellement orale, cette langue a été transcrite tardivement dans un système de notation syllabique dans le but de faciliter la christianisation par les missionnaires venus d’Europe.

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Si certains sons se sont vite avérés familiers à mes oreilles de francophones, comprendre et parler l’inuktitut relève pour le moment de l’exploit. Cette barrière linguistique n’entame cependant en rien la bonhomie des habitants qui nous ont témoigné un accueil des plus chaleureux.

L'aéroport de Cape Dorset.
L’aéroport de Cape Dorset.

Prix astronomique

Les premiers jours sont marqués par le repérage des principaux lieux qui jalonnent la communauté. Les deux magasins d’alimentation, véritables points névralgiques lorsque l’on est si isolé des principaux centres d’approvisionnement, sont plutôt bien fournis, mais à des prix astronomiques malgré les importantes subventions accordées par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme «Nutrition Nord Canada».

Une alternative à cela consiste à se faire livrer ses courses par bateau ou par avion, mais ce système reste surtout utilisé par les travailleurs qui ont les moyens financiers de payer comptant plusieurs mois de courses à l’avance.

Nous repérons aussi très rapidement où se situent le centre médical et l’aéroport. Il nous faut garder à l’esprit qu’en cas d’évacuation sanitaire ou médicale, ce sont des points de passage obligés.

Bonnes écoles sous-utilisées

Les deux écoles, élémentaire et secondaire, sont très bien dotées et ne souffrent pas la comparaison avec les écoles du Sud sur le plan matériel. Cependant, certaines réticences vis-à-vis du système éducatif, qui prennent notamment leurs racines dans la tragique histoire des écoles résidentielles, persistent chez certains membres de la communauté.

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Les nombreux problèmes sociaux auxquels les Inuits sont confrontés (pauvreté, alcoolisme, violence) ne permettent malheureusement pas aux jeunes générations de pleinement profiter de l’école comme d’un tremplin vers l’avenir.

Un avion de Canadian North.
Un avion de Canadian North.

Résilience

On comprend mieux, en posant le pied sur ce territoire et en partageant le quotidien de cette communauté, comment les Inuits ont su développer une incroyable résilience, depuis l’installation de leurs ancêtres, les «Thule», il y a environ un millénaire, jusqu’à aujourd’hui.

Le climat rigoureux et l’âpreté du mode de vie ont développé chez les Inuits un sens de la communauté que l’on ressent à chaque instant. Cette résilience a également été mise à l’épreuve par l’Histoire.

L’arrivée puis l’installation des Européens a en effet initié une profonde influence sur ce peuple jadis nomade. La création de la fameuse Compagnie de la Baie d’Hudson au XVIIe siècle a forcé les Inuits à se sédentariser près des comptoirs de traite, altérant ainsi leurs habitudes de migrations saisonnières.

Au milieu du XXe siècle, la situation économique des Inuits, portée à la connaissance du reste de la population canadienne, avait suscité une certaine indignation de la part des gens du Sud ainsi que d’autres nations, critiquant l’indigence du gouvernement fédéral. Dans un effort de remédiation, celui-ci avait décidé de placer les Inuits sous tutelle de l’État afin d’assurer leur subsistance.

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Décision de sédentariser

Mais dès l’après Seconde Guerre mondiale, en pleine Guerre froide, le gouvernement canadien prit la décision de sédentariser définitivement les populations dans des villages afin d’assurer une colonisation de l’Arctique, achevant ainsi un processus de déculturation et de marginalisation.

À peine plus d’un demi-siècle plus tard, nous comprenons à quel point les plaies mettent du temps à se refermer. Devenu totalement dépendant du Sud dans son approvisionnement, le Nunavut est pris entre une marche forcée vers le modernisme, et la violence sociale qu’elle implique, et un besoin vital de préserver et de promouvoir un riche patrimoine culturel.

Gageons que l’ouverture d’une nouvelle école secondaire, prévue pour septembre 2018, sera l’occasion d’un nouveau départ pour les habitants et la jeunesse de Cape Dorset, faisant honneur à la devise de ce jeune territoire: «Nunavut, notre Terre, notre Force».

Une partie du Nunavut, avec Cape Dorset au Sud-Est du territoire, là où le Détroit d'Hudson rencontre le Passage du Nord-Ouest au Nord de la Baie d'Hudson et du Québec.
Une partie du Nunavut, avec Cape Dorset au Sud-Est du territoire, là où le Détroit d’Hudson rencontre le Passage du Nord-Ouest au Nord de la Baie d’Hudson et du Québec.

Auteur

  • Julien Lagarde

    Globe-trotteur dans l'âme, passionné de sport et friand d'actualités en tout genre, Julien est enseignant en sciences sociales et vit actuellement au Nunavut.

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