Le franglais et le chiac sauvés par la science

Worry pas ton t’cheur, c’est cool de loaner des mots d’anglais quand tu t’chate en français!

Insécurité linguistique slogans bilingues
La sociolinguiste Shana Poplack (assise, entourée de son équipe de l'Université d'Ottawa) note que lors du lancement de son livre. (Photo: Natalie Dion)
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Publié 14/04/2018 par Jean-Pierre Dubé

Presque tous les bilingues au monde mixeraient leurs langues, souvent dans la honte.

Mais une nouvelle étude risque de changer la discussion entre les parlants qui mélangent et les puristes qui imputent aux mélanges une érosion de la langue. Pour la sociolinguiste Shana Poplack, de l’Université d’Ottawa, les différences dialectales n’ont rien d’inférieures, quoi que propagent les idées reçues.

«Je suis sociolinguiste, ce qui veut dire que j’étudie la langue telle qu’elle se parle et non la langue qu’on nous dit de parler. Je m’amuse énormément. La langue parlée est extrêmement expressive. Et cette expressivité provient en partie du fait que les gens ont accès non pas à une mais à deux langues. J’espère bien que la langue parlée sera sauvée par la science!»

Les trouvailles de la professeure sont fondées sur «l’analyse quantitative systémique» de millions de mots tirés de 43 000 phrases mélangées recueillies au fil de conversations avec 500 bilingues, surtout dans la région d’Ottawa. Le résultat de ses 35 ans de recherche sur 13 paires de langues, surtout nos deux officielles, paraît dans un nouveau livre intilulé Borrowing.

«Il n’y a jamais eu de langues pures»

Shana Poplack est mal à l’aise avec les identifiants franglais et chiac. «Ces étiquettes révèlent une vision nocive et dérogatoire de la langue parlée et je ne m’en sers pas. Ce n’est rien d’autre que des mélanges de langues tels qu’on trouve dans toutes les communautés bilingues au monde. Et partout, les bilingues utilisent les mêmes procédés pour mélanger les langues. Il n’y a rien de désordonné.»

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La titulaire d’une Chaire de recherche du Canada a constaté une résistance aux emprunts chez les instances normatives. Cette réaction ne reposerait pas sur la science, mais sur l’insécurité. «Il y a toujours ce côté moral dans les écoles, académies et offices de langue française. Ça part de l’idée qu’il y a eu des langues pures, mais rien n’est plus loin de la vérité.»

Un journaliste lui aurait relaté qu’il avait tenté de comparer le franglais du Canada au français de France. «Il n’y a jamais eu de langues pures: toutes les langues empruntent du vocabulaire. Et c’est là l’origine de cette impulsion moralisatrice.»

La chercheuse affirme que l’emprunt de mots d’une autre langue ne modifie pas le génie ni la structure grammaticale de la première langue. Cette pratique ne serait pas non plus un signe de paresse ou de méconnaissance d’une langue première. Alors pourquoi mélange-t-on les mots?

«Doubler les ressources pour s’exprimer»

«C’est une question de la variabilité que l’on observe dans toutes les langues. Pourquoi est-ce qu’on a différentes façons de dire quelque chose? Pourquoi est-ce qu’on a décidé ici d’utiliser le mot “courriel”, alors qu’en France on dit “mail”? Pourquoi on dit “une” job et ils disent “un” job? Il a fallu dire “hamburger” et “jazz” faute de mot français. Pourquoi utiliser “chum” quand on a beaucoup de synonymes de ce mot en français?»

La sociolinguiste ne sait pas précisément pourquoi. Il s’agirait simplement d’habitudes qui surgissent du fait d’être membre d’un groupe linguistique.

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«Tous nos choix sont contrôlés par les normes de la communauté à laquelle on appartient. Quand on est dans un milieu bilingue, ça devient normal de puiser dans les deux langues. C’est comme doubler les ressources disponibles pour s’exprimer.»

Shana Poplack espère que ses recherches sur 3,5 millions de mots serviront à booster la confiance dans la langue parlée: «Les mélanges tels qu’inventés par les jeunes altèrent le lexique à chaque moment. Mais ça ne peut pas altérer le génie de la langue.»

Auteur

  • Jean-Pierre Dubé

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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