La langue française et ses lacunes

Des trous dans la langue

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Publié 07/04/2009 par Martin Francoeur

Je vous ai déjà parlé du livre 101 mots à sauver du français d’Amérique, écrit par Hubert Mansion. Il y a dans cet ouvrage de bien belles trouvailles: des mots qu’on dépoussière ou qu’on découvre, des sens méconnus, des expressions étonnantes… En le feuilletant encore et encore, la semaine dernière, je suis tombé sur le mot «cheap», pour lequel l’auteur se livre à une réflexion élargie. Une réflexion sur les lacunes de la langue française.

L’auteur note qu’il n’y a pas, à proprement parler, d’équivalent français parfait pour le terme anglais «cheap». On a peine à trouver un antonyme parfait pour «cher», employé au sens de «coûteux». Il y a bien certains adjectifs comme «abordable» ou «peu dispendieux», mais rien qui corresponde parfaitement et en un seul mot à l’adjectif anglais «cheap».

Hubert Mansion remarque avec justesse qu’il faut avoir recours à des périphrases ou, plus simplement, à cet équivalent anglais. «Prétendre, comme le dit un spécialiste, qu’il existe de nombreux équivalents français pour remplacer cet anglicisme en l’occurrence bon marché, peu coûteux, pas cher, au rabais est aussi vrai qu’assurer que l’arbre-qui-produit-des-glands-mangés-par-les-cochons est un équivalent de chêne», remarque-t-il dans son bouquin.

Le terme «cheap» est d’ailleurs devenu si populaire dans la langue courante qu’on le croirait presque accepté en français. Ce n’est évidemment pas le cas.

C’est là une des lacunes de la langue française. Notre langue a beau être complexe, riche et précise, il n’en demeure pas moins qu’elle contient quelques failles. On nous dit, par exemple, qu’il manque des mots pour désigner certaines parties du corps comme la saignée du bras ou la cavité derrière le genou.

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Si on pousse la réflexion plus loin, on remarque que le français manque parfois de précision. Mansion cite la phrase «Je prends une photo de l’hôtel», pour laquelle il est impossible de dire si le sujet a pris une photo de l’extérieur vers l’hôtel, en faisant de l’établissement le sujet principal de la photo, ou s’il a plutôt pris une photo du paysage qui s’offre à lui depuis l’hôtel. On pourrait même penser qu’il se trouve à la réception de l’hôtel et qu’il prend, dans un petit présentoir, une photo illustrant l’hôtel où il séjourne, afin d’en garder un souvenir.

C’est la même chose pour le verbe «louer», pour lequel il est difficile de savoir si on donne ou on prend en location. Si quelqu’un dit : «J’ai loué un appartement à bon prix», il peut aussi bien s’agir du locataire qui a enfin trouvé un logement, que du propriétaire qui est soulagé d’avoir trouvé quelqu’un qui lui payera un loyer mensuel pour un logement qui était vacant.

L’auteur donne aussi l’exemple des enfants qui ont perdu leurs parents. Ce sont des orphelins. Mais les parents qui ont perdu leur enfant n’ont pas droit à un vocable pour les désigner. Ils doivent, comme le rapporte Hubert Mansion, se résigner à dire que « leur enfant est mort ».

Restons dans les choses familiales pour constater que la «belle-mère» peut être à la fois la mère d’un des époux, vue par l’autre époux, mais aussi la conjointe d’un père qui s’est remarié, vue par les enfants de celui-ci.

Le monde de la conjugaison est aussi parsemé de lacunes. Plusieurs verbes n’ont pas de conjugaisons à certains modes ou à certains temps. Frire n’a pas d’imparfait. Poindre n’a pas de passé. D’autres verbes ne se conjuguent qu’à la troisième personne du singulier. Les trous, dans le Bescherelle par exemple, sont nombreux.

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De tels constats ont fait dire au linguiste Marouzeau que «le français est peut-être une des langues les plus lacunaires». Et Fénélon a même osé dire ceci: «Notre langue manque d’un grand nombre de mots et de phrases; il me semble même qu’on l’a gênée et appauvrie, depuis environ cent ans, en voulant la purifier. […] Je voudrais autoriser tout terme qui nous manque, et qui a un son doux, sans danger d’équivoque.»

C’est peut-être – heureusement – grâce à une telle philosophie que le français s’est enrichi de plusieurs mots empruntés à des langues étrangères. Mais il y a encore de la place.

Comme pour désigner quelque chose de «cheap…»

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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