La Commission Boucar: plaidoyer pour un «raccommodement raisonnable»

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Publié 22/04/2008 par Paul-François Sylvestre

En attendant le rapport de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, voici les conclusions de La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable. Tel est le titre de l’essai publié le mois dernier par l’humoriste Boucar Diouf.

Né au Sénégal, Boucar Diouf arrive au Québec en 1991, à l’âge de 25 ans, pour des études supérieures en océanographie à l’Université du Québec à Rimouski. Il y décroche son doctorat et y enseigne pendant huit ans. Depuis, il partage sa vie avec une chouette blanche de la Gaspésie (qu’il appelle son harfang des neiges) qui lui a donné un petit chocolat au lait prénommé Anthony.

Diouf vit toujours à Rimouski et il se définit comme «un Québécois pure laine vierge de mouton noir minoritaire visible le jour et invisible la nuit».

Devenu humoriste en raison d’un talent évident, Boucar Diouf estime que la situation des communautés noire, juive, arabe ou italienne peut être traitée à la blague, «à condition de le faire dans une perspective humaniste et intégrante». Ici, il donne raison à Eugène Ionesco, pour qui «là où il n’y a pas d’humour, il n’y a pas d’humanité».

Tout au long de cet essai sur un sujet brûlant d’actualité, Boucar Diouf ne mâche pas ses mots. Il les digère bien pour mieux les régurgiter. À tous les nouveaux arrivants au Québec qui tiennent à instruire leurs enfants uniquement en anglais, Diouf leur dit: «Rappelez-vous que votre passeport canadien vous autorise à vous établir dans la province anglophone de votre choix. Par conséquent, cessez de brandir la Charte canadienne des droits et libertés pour satisfaire vos caprices.»

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Lorsqu’il s’agit de convaincre des candidats à l’immigration, Diouf déplore qu’«on vante le caractère accueillant et l’esprit d’ouverture des Québécois, sans mentionner à ces nouveaux arrivants qu’ils devront adhérer à leurs valeurs fondamentales».

À titre de nouvel arrivant, Diouf en a appris des vertes et des pas mûres lorsqu’il a mis les pieds au Québec. Côté bouffe, par exemple, il s’est fait servir «des pets-de-sœur, du fromage en crottes et une bûche à l’érable».

Lorsqu’il est entré dans un bar, il a pu écouter une conversation entre deux amis où le premier dit: «Quand y m’en a crissé un, je m’en suis contrecrissé. Mais y m’en a recrissé un autre, faque là, j’ai dû décrisser.». Le second lui répond: «Crissant, ça! T’as crissement ben faite de décrisser, tu parles d’un câlisse de petit crisse, toé!»

Après seize ans de vécu québécois, Boucar Diouf est convaincu que le «raccommodement raisonnable» consiste, au fond, à «trouver des façon harmonieuses de cohabiter avec les autres dans une saine interculturalité». Le sport montre que cela est possible. Au cours d’un duel entre le Canadien et les Maple Leafs, «les francophones font bloc contre les blokes».

Mais Canadiens français et anglais deviennent des chums lorsque le Canada affronte les États-Unis. Et quand une équipe de d’Amérique du Nord reçoit les All Stars soviétiques, le continent au complet se ligue pour donner une raclée aux troupes de la Russie.

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Au cours des séances de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, Boucar Diouf a trouvé que la presse a eu tendance à carburer au sensationnalisme. On a monté en épingle les intervenants (largement minoritaires) dont les propos exacerbaient les tensions plutôt que de les apaiser. L’humoriste est d’avis que, pour raccommoder ou mettre fin à la querelle, «il faut choisir une aiguille qui coud plutôt qu’un couteau qui tranche».

L’ouvrage de Diouf cite Tahar Ben Jelloun pour nous apprendre que Ghetto est le nom d’une petite île en face de Venise. En 1516, les juifs de Venise furent envoyés dans cette île pour les séparer des autres communautés. D’où les mots ghetto et ghettoïsation. Cela dit, «le racisme n’a pas de frontière. C’est le vice le mieux partagé au monde: chaque race, nation ou groupe ethnique se l’impute l’un à l’autre.»

En conclusion, l’auteur-humoriste n’hésite pas à clamer que les Québécois qu’il fréquente «se disent prêts à accommoder sans restriction toute personne qu’ils auraient appris à connaître et à apprécier». Il termine son plaidoyer en décrivant merveilleusement bien son propre processus d’intégration à une autre culture.

Cela équivaut «à parcourir un bouquin plusieurs fois. La première lecture permet de se familiariser avec les personnages. À la seconde, notre attention se porte davantage sur l’histoire. Et après la troisième, si nous arrivons à la raconter avec passion, c’est que cette histoire est dorénavant la nôtre et que les personnages sont devenus des membres de notre propre famille.»

Boucar Diouf, La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable, Les Éditions Les Intouchables, Montréal, 2008, 176 pages, 14,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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