«Jeudi noir» en Ontario français

L'Université de l'Ontario français et le commissariat passent à la trappe

Le «jeudi noir» du 15 novembre 2018 marque l'histoire de l'Ontario français.
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Publié 15/11/2018 par François Bergeron

Double coup de tonnerre en Ontario français ce jeudi: le projet d’Université de langue française à Toronto, qui était déjà plus qu’un projet puisqu’il avait déjà son recteur et avait trouvé son édifice, passe à la trappe dans le premier énoncé économique et financier du gouvernement conservateur de l’Ontario, qui donne le ton pour le reste de son mandat.

Une seule petite phrase a signé l’arrêt de mort de l’UOF: «Un examen plus détaillé de la situation financière de la province a amené le gouvernement à annuler les plans de création d’une nouvelle université de langue française», lit-on en page 20 du document présenté par le ministre des Finances Vic Fideli.

énoncé économique et financier
Le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau.

Cet été, les ministres Caroline Mulroney (Affaires francophones) et Merrilee Fullerton (Collèges et Universités) s’étaient pourtant engagées à «assurer le succès de l’Université de l’Ontario français».

L’autre nouvelle sensationnelle est à la page 32: «On réduira de neuf à six le nombre de fonctionnaires de l’Assemblée législative d’ici le 1er mai 2019», pour confier leurs responsabilités au protecteur du citoyen, l’Ombudsman. L’une des trois personnes de trop est le commissaire aux services en français François Boileau.

Dans un projet de loi annexé à la mise à jour financière, on confirme que la Loi sur les services en français sera modifiée pour permettre ce transfert de fonctions à l’Ombudsman (qui est présentement un francophone, Paul Dubé, mais c’est une coïncidence). Pour une «refonte» de la Loi, c’en est toute une, mais pas celle qu’on attendait!

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Trahison

«Bouleversant. Inacceptable. Un coup bas. Je me sens trahi. C’est un recul important: l’Université était notre plus gros projet.» – Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario.

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Le président de l’Assemblée de la francophonie, Carol Jolin, à l’émission #ONfr de TFO jeudi après-midi.

«Extrêmement décevant. Désastreux.» – Dyane Adam, présidente du Conseil de gouvernance de l’Université de l’Ontario français.

«Sous le choc. Une perte sèche.» – François Boileau, commissaire aux services en français.

Ces réactions et plusieurs autres ont fusé de partout, le président de l’AFO appelant à la mobilisation pour faire renverser ces décisions, que d’aucuns ont comparées à celle, il y a 20 ans, de fermer Montfort, le seul hôpital de langue française de la province, à Ottawa. Le mouvement SOS Montfort avait réussi à faire reculer le gouvernement Harris.

Fermer le chantier

Rejointe par L’Express, Dyane Adam souligne un «paradoxe»: le gouvernement Ford prétend vouloir stimuler l’emploi, mais les emplois de demain nécessiteront des études universitaires, et il y a déjà une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée bilingue à Toronto et dans le Centre-Sud de la province…

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Université de l'Ontario français
Dyane Adam

L’expansion de trois campus de grandes universités anglophones avait déjà été annulée le mois dernier. «Mais chez les francophones, surtout à Toronto et dans le Centre-Sud, on n’avait rien. Or, c’est là que les jeunes francophones sont de plus en plus nombreux.»

Mme Adam confirme qu’au cours des deux prochains mois, elle va travailler à «fermer le chantier» de l’Université de l’Ontario français, ce qui va toucher des dizaines d’employés et de contractuels.

Mais elle promet de s’assurer «que tout le travail qui a déjà été fait ne soit pas perdu». Tout sera archivé et protégé de façon à ce que, dans quelques années, «quand le gouvernement estimera avoir mis de l’ordre dans ses affaires», on pourrait rapidement réactiver le projet d’Université de l’Ontario français à Toronto.

François Boileau s’est inquiété, lui aussi, du sort de son personnel, «qui avait développé une expertise reconnue jusqu’à l’international». Même s’il a confiance à la bonne volonté et aux compétences de Paul Dubé, il pense que l’Ombudsman sera débordé.

Jeudi noir

Pour l’instant, sur les réseaux sociaux et dans les médias francophones, on ne décolère pas:

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énoncé économique et financier
Le député néo-démocrate Gilles Bisson.

«Une atteinte grave aux droits des francophones.» – Nadia Effendi, présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario.

«Un gouvernement anti-multiculturel et anti-francophone.» – Gilles Bisson, Nouveau Parti démocratique.

«Une grave erreur. Une attaque contre la francophonie.» – L’ex-ministre libérale Marie-France Lalonde

«Les Conservateurs manquent de respect envers les 600 000 Franco-Ontariens.» – La ministre fédérale des Langues officielles, Mélanie Joly.

«Une gifle.» – Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.

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François Legault à Toronto

Même le nouveau premier ministre du Québec, François Legault, qui doit rencontrer Doug Ford lundi à Toronto (c’était prévu depuis quelque temps), a dit souhaiter que le français soit protégé au Canada à l’extérieur du Québec.

Les deux chefs de gouvernement vont-ils discuter en privé de ces nouveaux développements? Surtout, vont-ils les évoquer en public?

Plusieurs commentaires sont d’ailleurs venus du Québec. Peut-être, a-t-on fait remarquer ici et là, grâce à la récente controverse sur la survie des francophones du Canada suscitée par les propos de la choniqueuse Denise Bombardier à Tout le monde en parle.

La faute des Libéraux

Le gouvernement Ford blâme ces compressions et plusieurs autres changements annoncés ce jeudi sur «15 ans de piètre gestion du gouvernement précédent».

énoncé économique et financier

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Il prévoit un déficit de 14,5 milliards $ pour 2018-2019, «soit déjà 0,5 milliard $ de moins que le déficit hérité du gouvernement précédent» (résultat de 3,2 milliards $ d’économies vs 2,7 milliards $ d’allègements fiscaux).

«L’AFO accepte que la communauté franco-ontarienne fasse sa juste part dans les efforts vers un retour à l’équilibre budgétaire», a dit Carol Jolin. «Mais les 83,5 millions $ sur 7 ans prévus pour l’Université de l’Ontario français représentaient une goutte d’eau dans l’océan. Les gros ministères que sont la Santé, l’Éducation et les Services sociaux sont relativement épargnés.»

Selon l’AFO, la mise au rancart du projet d’Université et le transfert des responsabilités du commissariat aux services en français vers l’Ombudsman représentent donc «des efforts démesurés».

Impératif moral

«L’ampleur de nos défis fiscaux est bien réelle», a déclaré Vic Fideli. «Nous devrons prendre des décisions difficiles tandis que nous travaillons d’arrache-pied à remettre les finances de l’Ontario sur leurs rails.»

La préface de son document est intitulée «Chaque dollar compte»…

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Le gouvernement Ford prévoit un ralentissement de la croissance et une hausse de l’inflation au cours de son mandat.

L’équilibre budgétaire et la réduction du fardeau de la dette de l’Ontario «sont non seulement impératifs sur le plan financier, mais aussi sur le plan moral», martèle le ministre des Finances. «Le gouvernement précédent a dépensé bien au-delà de ses moyens, créant ainsi un déficit structurel proprement intenable. Ne rien faire est impensable. Nous devons dépenser de manière judicieuse et réinventer le gouvernement.»

Par ailleurs, le gouvernement affirme «faciliter la tâche de ceux qui veulent faire des affaires en Ontario» en proposant d’abroger des pans de la Loi pour l’équité en milieu de travail, «destructrice d’emplois», et de maintenir le salaire minimum à 14 $ l’heure (au lieu de l’augmenter à 15 $ comme le prévoyait le gouvernement précédent). Des contraintes réglementaires et des hausses d’impôts seront éliminées.

La province a hérité, des gouvernements libéraux de Dalton McGuinty et de Kathleen Wynne, d’une dette publique de 347 milliards $. «Le plan de l’Ontario reconnaît que la province a un problème de dépenses, et non de revenus», a conclu le ministre Fedeli.

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D’autres réactions

«Choqué. Outré. Abasourdi. Le gouvernement Ford n’a pas tenu ses promesses.» – Jean Lemay, président de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques.

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«Nos jeunes sont notre priorité, pourquoi ne sont-ils pas celle du gouvernement?» – Denis M. Chartrand, président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario.

«Incompréhension de notre gouvernement des besoins et attentes des électeurs francophones.» – Les présidents du Regroupement étudiant franco-ontariens et de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne.

«Annonce dévastatrice pour les Franco-Ontariens, mais aussi pour tous les Canadiens-Français, tous les Canadiens.» – l’équipe de la Fondation Sylvenie Lindor.

«Recul significatif et perte d’acquis particulièrement inquiétants.» – Denis Laframboise, Société économique de l’Ontario.

«Véritable affront. Attaque dangereuse à nos institutions.» – Raymond Legault, président de la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario.

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«Faire des économies sur le dos des francophones est injuste et arbitraire. Les droits des francophones ne doivent pas être impunément bafoués.» – Rémi Sabourin, président de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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