Jeremy Dutcher, un symbole de la renaissance culturelle autochtone

Le ténor sera bientôt en tournée nord-américaine et européenne

ténor et compositeur d'opéra
La pochette de l'album de Jeremy Dutcher, sortie en vinyle.
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Publié 04/03/2019 par Alicia Blancher

Jeremy Dutcher, originaire de la Première Nation Wolastoq, au nord-ouest du Nouveau-Brunswick, remporte le Prix de musique Polaris en 2018 pour son premier album voix et piano Wolastoqiyik Lintuwakonawa («Nos chansons malécites»).

Inspiré de chansons traditionnelles mêlées au style classique, ce dernier a été réalisé à partir d’un cylindre de cire appartenant à la communauté du ténor, datant du début du XXe siècle.

En tant que militant malécite (Première Nation dont le territoire ancestral chevauche le Bas-du-Fleuve québécois, l’ouest du Nouveau-Brunswick et l’est du Maine), Jeremy Dutcher était invité par le conseil autochtone du campus bilingue Glendon de l’Université York, jeudi 28 février.

Sa conférence, axée sur la conception de son album, a été suivie d’une réception et d’une célébration sacrée indigène, une «leçon traditionnelle».

Campus de Glendon à l'Université York
Jeremy Dutcher

Il célèbre sa culture en musique

Jeremy Dutcher quitte sa communauté à l’âge de 17 ans pour faire des études de musique à Halifax.

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«C’était la première fois que je mettais les pieds dans une grande ville. Ils avaient des bus, des transports en commun!», ironise le ténor.

C’est en faisant quelques recherches dans les Archives nationales à Ottawa que Jeremy Dutcher découvre des chansons malécites de 1907, accompagnées de cylindres de cire.

«Personne n’avait connaissance de ces musiques, et cela me posait vraiment un problème», explique-t-il.

«Retourner ces chansons à son peuple d’origine» 

 

Fasciné par ces voix ancestrales et ces histoires oubliées, Jeremy Dutcher écoute ces mélodies près d’un an avant de se les approprier.

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«Je pense que nous avons perdu cette capacité d’écoute profonde à l’ère moderne. C’était important pour moi d’écouter simplement leurs voix, afin de comprendre le message de ces chansons.»

Quelque temps après, il décide d’arranger ces mélodies au piano, et de les «présenter sur un plateau» à sa communauté, mais aussi au grand public.

«Si tu ne trouves pas ce qu’il te plaît sur le menu, va dans la cuisine et prépare quelque chose. Montre-leur alors comme cela est bon», souligne métaphoriquement le ténor, souhaitant mettre en valeur la musique autochtone à plus grande échelle.

Campus de Glendon à l'Université York
Le public, composé principalement d’étudiants, était attentif.

Néanmoins, son intention première était de «retourner ces chansons à son peuple d’origine». C’est pourquoi on peut entendre à la fin des arrangements orchestraux de Jeremy Dutcher les voix de ses ancêtres.

De même, aucune traduction n’est livrée avec l’album. «Il s’agit de partager notre histoire dans nos propres termes», précise le ténor, qui s’est affranchi du regard anthropologique des musées.

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«Ce n’est pas un travail qui peut se faire sur une seule génération. J’espère vraiment inspirer les jeunes».

«Le Wolastoqiyik n’est pas une langue mourante» 

 

Si Jeremy Dutcher reconnaît la précarité de sa communauté et de sa langue qu’il tient à protéger (moins de 1000 personnes la parlent), ce dernier ne souhaite pas associer le Wolastoqiyik à une langue mourante.

«Lorsque les gens parlent de mon travail, ils disent que je sauve cette langue. Je n’aime pas vraiment cette image».

En effet, dans un contexte politique de déclin des droits autochtones, les médias associent bien souvent ces communautés à des luttes de survie, voire au passé. S’affranchir de cette vision historique et politique, c’est l’objectif du plan d’action Stratégie autochtone de Glendon, à l’origine de cette conférence.

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Ouvrir les milieux universitaires aux savoirs indigènes

«Nous souhaitons avant tout souligner la renaissance autochtone», explique à L’Express Elaine Coburn, membre du Comité des Affaires autochtones à l’Université York.

Cette conférence fait ainsi partie d’une série de conférences annuelles à venir, présentées par des personnalités autochtones influentes dans divers domaines.

Campus de Glendon à l'Université York
Elaine Coburn, membre du Comité des Affaires autochtones de Glendon.

«Les questions autochtones sont trop souvent exclues du milieu universitaire. Or nous avons des professeurs et des élèves issus de ces communautés. Nous désirons qu’ils se sentent à l’aise dans nos enceintes», ajoute Elaine Coburn, regrettant tout de même le manque de budget attribué pour ces événements.

Une célébration sacrée, «une leçon traditionnelle»,  s’est tenue à la suite de la conférence. Amy Desjarlais, artiste et universitaire autochtone, s’est exprimée en anglais, en français et dans sa langue autochtone afin de montrer l’importance du langage dans le respect de l’autre, après avoir brûlé des feuilles de sauge.

«C’est un moment de réflexion, pendant lequel on se reconnecte avec la terre», nous explique Elaine Coburn, avant de conclure: «C’est important d’ouvrir les espaces universitaires à ces savoirs, dont ils ont été longtemps exclus».

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