Gérer le PLOE comme l’aide en santé?

Langues officielles dans l’enseignement (2e partie)

Membre du Comité sénatorial sur les langues officielles, Raymonde Gagné a été la rectrice de l’Université de Saint-Boniface pendant plus d’une décennie. Elle a participé à l’élaboration d’ententes entre Santé Canada et le Consortium national de formation en santé qui pourrait servir de modèle pour le PLOE.
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Publié 10/11/2018 par Jean-Pierre Dubé

La pression monte pour qu’Ottawa fasse un ménage du Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE), dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles promise par le gouvernement Trudeau. Un rapport de la fin octobre du Comité sénatorial des langues officielles relance l’urgence pour PCH de refaire ses devoirs.

Le statu quo ne serait plus une option.

En partant, les communautés sont unanimes à revendiquer l’inclusion du préscolaire et du postsecondaire sous l’article 23 de la Charte des droits et libertés qui garantit l’accès à l’instruction dans la langue de la minorité. Elles veulent aussi une participation à la gouvernance des ententes.

Deux intermédiaires difficiles

Ces enjeux soulevés lors des audiences du Comité sont autant financiers que juridictionnels. Deux intermédiaires jaloux de leur compétence et revêches envers les francophones se dressent entre le pouvoir de dépenser du fédéral et le droit des minorités à des fonds publics.

Le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) propose un amendement pour mieux encadrer le PLOE. Il dénonce le processus de financement, compliqué par la présence de deux ordres de gouvernement (Conseil des ministres de l’Éducation, CMEC, et ministères) peu réceptifs aux priorités de la minorité. Le CÉF souligne les lacunes:

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– les besoins sont déterminés unilatéralement par les gouvernements, sans tenir compte du droit de gestion des minorités;

– les gouvernements n’ont pas d’obligation à consulter les conseils scolaires;

– la reddition de compte laisse l’entière discrétion aux ministères «de produire ou non des rapports et de les partager ou non»;

– les fonds affectés sont utilisés à des fins opérationnels et non aux coûts supplémentaires liés à la langue, la culture et l’identité.

Pas de reddition de comptes

Membre du Comité des langues officielles, la sénatrice Raymonde Gagné connait ces défis du terrain. Jusqu’en 2014, elle était la rectrice de l’Université de Saint-Boniface. «Je constate que c’est encore aussi flou que dans mon temps.»

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Le cadre du programme, rappelle-t-elle, vise le financement de base et les priorités des gouvernements. «C’est toujours une cible qui bouge. Les instruments sont structurés d’une façon qui rend difficile de mesurer les besoins. Les ententes ne permettent pas d’exiger une reddition de compte.»

L’exemple du Consortium formation en santé

Le doyen du Campus Saint-Jean, Pierre-Yves Mocquais, souhaite des changements au PLOE pour réduire le rôle des intermédiaires. «Il va falloir à un moment donné envisager une option différente. On pourrait adopter en éducation une approche similaire en termes de gestion à celle du CNFS [Consortium national de formation en santé].»

Dans le cadre des feuilles de route fédérales depuis 2008, le Consortium a reçu de Santé Canada un appui de 86,5 millions $ par tranche de cinq ans pour la formation et le réseautage. Le montant est passé à 96,5 millions $ pour le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023. Cette aide fédérale est la plus importante accordée à un organisme en milieu minoritaire.

Raymonde Gagné a participé dans le passé aux négociations entre PCH et le Consortium. «On a établi les besoins des établissements et on a réussi à s’entendre sur un financement. On sait quels montants ont été négociés, où va l’argent et on a une reddition de comptes.»

Des membres de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).

Émergence d’un nouveau rapport de force

Cette percée marque une évolution du rapport de force entre communautés et gouvernements, tant au national qu’au provincial.

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«Pour assurer une prévisibilité du financement, ajoute l’ancienne rectrice, on a choisi d’engager la Province dans le soutien de la programmation et de la recherche. L’entente a été signée avec le ministre de la Santé. Cette stratégie communautaire a été bénéfique.»

La différence avec le PLOE est frappante. Pour 2018-2023, des négociations sont en cours sur la base d’un financement plafonné, mais rien ne transpire. Le CMEC n’a pas répondu à une demande de renseignements.

Mais Patrimoine canadien répond: «Des ententes doivent être conclues avant le 31 mars 2019, précise l’agent Daniel Savoie des relations avec les médias, afin de permettre le versement des fonds prévus pour 2018-2019 à chacun des gouvernements.»

Les détails fournis par le ministère (voir le Tableau 3) suggèrent le début d’une transformation. PCH a placé hors du PLOE la somme de 220 millions pour «des projets de collaboration entre gouvernements et communautés» prévus dans le Plan d’action.


Tableau 3. Détail de l’aide de PCH dans le cadre et à l’extérieur du PLOE pour la période 2018-2023
(Source : Daniel Savoie, Services de relations avec les médias, PCH)

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Ottawa a renouvelé les ententes bilatérales du PLOE pour un total de 1,1 milliard $. Un investissement additionnel de 220 millions, prévu dans le nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023, sera investi dans des collaborations entre gouvernements et communautés.

Langue de la minorité

95 M pour les infrastructures éducatives et communautaires, incluant 67,25 M et 28 M sur cinq ans (provenant du budget fédéral 2017);

– 31,3 M pour soutenir le recrutement d’enseignants pour les écoles de la minorité;

– 11,1 M pour le Fonds d’action culturelle communautaire, dont 7,5 M pour appuyer des initiatives culturelles dans les écoles;

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– 5,25 M pour le fonds d’appui à l’école communautaire citoyenne.

Appui au bilinguisme des jeunes

31,3 M pour l’embauche de professeurs en français langue seconde et en immersion;

– 12,6 M pour le soutien des étudiants anglophones inscrits à des programmes postsecondaires en français;

– 21 M pour le programme des bourses d’été de langues (Explore);

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– 17,5 M pour le programme de moniteurs de langues (Odyssée).


Début d’un changement à Patrimoine canadien?

Parmi ces projets se trouvent 95 millions $ pour des installations scolaires et communautaires ainsi qu’un total de 62,6 millions $ pour le recrutement d’enseignants pour les écoles des minoritaires et les programmes d’immersion/langue seconde. Pas question de transférer ces fonds en bloc aux ministères.

La quête de solutions à la pénurie de personnel et l’élaboration de stratégies de recrutement réunit autour de la même table des ministères de l’Éducation, mais aussi l’Association des collèges et des universités de la francophonie canadienne et la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Ces deux groupes représentent 21 institutions postsecondaires et 28 conseils scolaires. Pourraient-ils jouer en éducation un rôle d’interlocuteurs et de gestionnaires d’ententes comme le CNFS en santé?

«Il faudrait voir les possibilités pour l’ensemble du système, conclut Raymonde Gagné. Ce serait peut-être mieux là où les ministères soutiennent peu les établissements. Il faudrait évaluer les conséquences d’un tel changement et s’entendre sur les grands principes. Mais ça mérite d’être discuté.»

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Le Comité sénatorial prévoit livrer un rapport final avant l’été prochain. La démarche de modernisation de la Loi annoncée par le gouvernement Trudeau débutera après les élections fédérales d’octobre 2019.

Auteur

  • Jean-Pierre Dubé

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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