Échos de la France des siècles passés, les mots acadiens survivent

Le Dictionnaire du français acadien, un ouvrage unique

Certains mots ont bien survécu en Acadie grâce à l’isolement des colons français venus s’établir en Amérique dès 1604.
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Publié 31/08/2019 par Ericka Muzzo

Si certains vieux mots acadiens ont si bien survécu, c’est en grande partie grâce à l’isolement des colons français qui sont venus s’établir en Amérique dès 1604.

Sans réels moyens de communication avec leur mère patrie, la France, ceux qu’on nomme aujourd’hui Acadiens ont pu conserver des mots abandonnés par l’Europe, et donner à la langue française une tout autre couleur.

Avant l’Académie française

C’est là le constat principal d’Yves Cormier, l’un des rares sinon le seul linguiste acadien contemporain. Il est l’auteur de la deuxième édition du Dictionnaire du français acadien parue en mai 2018, près de 20 ans après la première édition.

Près de 200 nouveaux mots sont venus compléter ce lexique du vocabulaire acadien, pour un total d’environ 650 mots comme «chavèche», «prusse» ou encore «dorissée».

«Les siècles passés loin de la réalité française nous ont permis de personnaliser notre langue. Le français ici est beaucoup plus varié, parce qu’on a quitté la France avant la création de l’Académie française», a expliqué Yves Cormier lors d’une conférence au programme du Congrès mondial acadien à Moncton.

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Anne Godin et Yves Cormier ont partagé leur grande expérience de ce sujet avec les participants, anecdotes colorées à l’appui. Photo: Éricka Muzzo, La Voix acadienne

Un dialecte poitevin

Créée en 1635 sous le cardinal de Richelieu, l’Académie française visait à standardiser la langue. «À l’époque, il y avait plus de 600 dialectes en France. Quand on se déplaçait hors de notre région, on ne se comprenait pas! Ça rendait compliqué pour le roi de gérer tout le monde, donc l’Académie a mis en place une seule langue, celle de Paris», expose Yves Cormier.

Les colons français n’ont donc pas été touchés par cette normalisation de la langue. Comme ils venaient en grande majorité de la région de Poitevin, c’est de ce dialecte que découle aujourd’hui le français acadien. Chez les Québécois, il est plutôt issu de la Normandie.

Du souper au dîner

Un bon exemple est celui du terme «souper», qui n’est plus utilisé en France. «En 1830, les Français ont choisi de plutôt utiliser les termes petit-déjeuner, déjeuner et dîner. De notre côté de l’Atlantique, on a conservé l’utilisation de déjeuner, dîner et souper», souligne Yves Cormier.

Cela témoigne d’une réalité importante aux yeux du linguiste: les mots acadiens sont issus de l’Europe, qui a simplement choisi de les abandonner au cours des siècles.

«Pour moi, qui ai connu l’insécurité linguistique, c’est important de prouver que nos mots trouvent leurs racines en Europe, même s’ils n’ont jamais forcément été dans le dictionnaire. Ils sont issus de dialectes qui étaient parlés avant l’Académie française», rappelle Yves Cormier.

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La nouvelle édition du Dictionnaire du français acadien et le livre Saveurs d’Acadie : cuisine traditionnelle et d’aujourd’hui d’Anne Godin et Amélie Poirier étaient en vente lors du Congrès mondial acadien. Photo : Éricka Muzzo, La Voix acadienne

Les Acadiens éparpillés

Autre fait intéressant: seulement 20% des mots acadiens contemporains sont connus de toutes les régions de l’Acadie.

«La baie Sainte-Marie (en Nouvelle-Écosse) est celle qui a le mieux conservé la vieille langue, parce qu’elle était la région la plus éloignée», indique encore le linguiste.

La répartition géographique des termes témoigne de la manière dont les Acadiens se sont déplacés à la suite de la Déportation. Ils étaient effectivement forcés de s’éparpiller, comme une loi interdisait la présence de plus de huit familles acadiennes dans un même village.

La «poutine râpée» à ne pas confondre avec l’autre

C’est ainsi qu’aux Îles-de-la-Madeleine et au Cap-Breton, on parle de se «faire gorziller», ce qui signifie «crissement qui donne la chair de poule».

La «poutine râpée» du sud-est du Nouveau-Brunswick est un plat typique de la région, composée de pommes de terre râpées et façonnées en boule.

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À l’Î.-P.-É., le terme spécifique «rempart» est utilisé pour désigner la «galerie couverte d’une maison».

Certains mots ont aussi été empruntés aux langues amérindiennes, comme le terme «bonhomme couèche» pour signifier «marmotte». Il est issu de «moonumkweck», qui était probablement trop difficile à prononcer pour les colons.

Yves Cormier et son Dictionnaire du français acadien. Photo: Norbert LeBlanc, Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Secouer l’insécurité linguistique

Finalement, Yves Cormier tient à souligner qu’aucun français ne devrait être perçu comme supérieur aux autres. «C’est la différence qui fait notre richesse linguistique. On est un peu constipés par rapport à notre langue, et c’est ce qui crée l’insécurité linguistique».

C’est aussi vrai au niveau de l’accent, qui varie grandement d’un endroit à l’autre, et qui est souvent perçu comme un terme péjoratif. Comme le souligne à la blague Anne Godin, «c’est toujours l’autre qui a un accent, jamais nous!»

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