Des droits, des responsabilités, des idées… Une réponse

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Publié 20/12/2018 par François Larocque

Dans son éditorial du 17 décembre 2018 intitulé «Des droits, des responsabilités, des idées», François Bergeron, le rédacteur-en-chef de L’Express, nous fait part de ses réflexions sur les décisions du gouvernement de l’Ontario de mettre sur glace le projet de l’Université de l’Ontario français (UOF), d’abolir le poste de commissaire aux services en français et son Commissariat (CSF), et de le remplacer par un ersatz logé désormais au bureau de l’ombudsman.

Je crois comprendre qu’il s’agit de l’un ces textes que l’on retrouve parfois en fin d’année qui font le bilan des mois (et des émois) précédents. S’agissant des institutions que nous avons perdues en 2018, M. Bergeron veut «apporter quelques nuances qui ne plairont pas à tous». Voilà qui intrigue!

L’auteur égrène ses doléances et consolations, comme pour s’y réconcilier avant le nouvel an. Il traite de l’UOF (la qualifiant d’ovni qui ne saurait voler), mais surtout de l’abolition du CSF (le qualifiant d’acteur impuissant dont on apprendra à se passer). Ces critiques sont dignes d’intérêt, mais elles méritent également quelques nuances.

L’Université de l’Ontario français

Je suis diplômé de l’Université d’Ottawa où je travaille désormais comme professeur au sein du Programme de common law français de la Faculté de droit. J’ai adoré mes études et aujourd’hui je me compte très chanceux de pouvoir gagner ma vie en français dans une grande université ontarienne.

Toutefois, lorsque M. Bergeron affirme qu’il n’est «pas vrai que nos jeunes sont malheureux ou désavantagés ou perdent leur français dans les universités bilingues», quelques précisions s’imposent.

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UOF
Au centre: la présidente de l’UOF Dyane Adam. Au micro: la ministre libérale Marie-France Lalonde. Lors du dévoilement du nom des membres du Conseil des gouverneurs de l’UOF au printemps 2018.

D’abord, disons-le, les universités bilingues ne le sont pas toutes au même degré, et la protection qu’elles ont obtenue par leur désignation respective en vertu de la Loi sur les services en français est tout aussi variée. La loi habilitante de l’Université d’Ottawa lui confie le mandat de faire rayonner la langue et la culture française en Ontario, mais les autres universités bilingues ne sont pas investies d’une telle mission.

Il convient par conséquent de s’inquiéter de la pérennité des programmes universitaires français dans cette province et de l’espace que les universités bilingues pourront assurer à la francophonie dans l’avenir.

Enfin, faut-il le reconnaître, il n’est pas donné à tous les étudiants et étudiantes francophones de s’épanouir dans un environnement universitaire de bilinguisme soustractif. L’UOF a manifestement un rôle à jouer à ces égards.

Le commissaire aux services en français

M. Bergeron a raison de souligner l’impuissance du nouvel ombudsman adjoint (que la loi 57 appelle néanmoins «commissaire aux services en français»). Toutefois, il a tort de suggérer que c’est du pareil au même avec ce nouveau «commissaire».

C’est méconnaître la différence entre un commissaire et un ombudsman adjoint que d’espérer que ce dernier reprenne le «bâton de pèlerin» de François Boileau.

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C’est aussi méconnaître la fonction du CSF que de lui reprocher de manquer «de mordant».

Les commissaires linguistiques du monde entier (p. ex. Canada, Nouveau-Brunswick, Nunavut, Irlande, Pays de Galles, Kosovo, etc.) ont pour vocation première de travailler dans les coulisses afin de résoudre les différends linguistiques entre les minorités de langue officielle et leurs gouvernements. Ce sont avant tout des enquêteurs et des médiateurs, et non pas des policiers et des procureurs.

Alors que l’ancien commissaire jouissait de la discrétion de mener ses propres enquêtes et d’aller au-devant des plaintes pour faire la promotion des services en français à l’échelle de la province, le nouvel ombudsman adjoint ne pourra agir que sous les directives de son supérieur.

Le premier était un agent de la législature, au même titre que la vérificatrice générale. Le second est un employé du bureau de l’ombudsman dont la marge d’action sera nécessairement subsidiaire à celle de son patron.

Le nouveau «commissaire» n’aura pas l’indépendance et l’inamovibilité de son prédécesseur, ni l’influence institutionnelle qui en découle.

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Commissariat aux services en français de l'Ontario
Le commissaire François Boileau présentant son 11e rapport annuel à Queen’s Park le 18 juillet 2018.

Enfin, il est peu charitable de nier le lien de causalité entre les interventions de l’ancien CSF et les avancées des dernières années en matière de droits linguistiques.

Ses actions et ses recommandations avaient indéniablement un poids; elles faisaient la lumière sur certaines lacunes tout en proposant des pistes de solution réalistes. À titre d’exemple, la recommandation en 2016 d’éliminer le marasme des «régions désignées» qui, notamment, ne concordent pas avec les «secteurs bilingues» prévus dans la Loi sur les tribunaux judiciaires, était lumineuse.

M. Bergeron a tort lorsqu’il affirme que cette recommandation «revient au même» que proclamer l’Ontario officiellement bilingue. Ce sont deux propositions extrêmement différentes! La première se ferait à Queen’s Park et aurait pour effet d’uniformiser l’offre des services en français partout en Ontario. La seconde exigerait l’aval du Parlement fédéral et une modification de la Constitution du Canada.

Refonte de la Loi sur les services en français

Je suis l’un des «profs de l’Université d’Ottawa qui [avec l’AFO et l’AJEFO] planchent actuellement sur un projet de refonte de la Loi sur les services en français».

L’exercice n’est pas «surréaliste» comme l’affirme M. Bergeron. Je la qualifierais plutôt d’existentielle, puisque la priorité n’est pas «la récupération des acquis perdus», mais plutôt de donner une forme législative aux aspirations de la communauté franco-ontarienne.

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Cette communauté demeure convaincue de la pertinence d’une telle refonte.

Elle sait aussi prendre son mal en patience. Les gouvernements se succèdent, mais les Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes demeurent.

Auteur

  • François Larocque

    François Larocque est titulaire de la Chaire de recherche de la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques et professeur au Programme de common law en français de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

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