De #MoiAussi à #NousAussi

soutien-gorge dos
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Publié 03/03/2018 par François Bergeron

Un haut fonctionnaire me confiait récemment avoir fait son examen de conscience et s’être souvenu avoir relevé le défi que lui lançaient des amis de détacher dans le dos le soutien-gorge d’une jeune femme, dans un party il y a une trentaine d’années.

«Je l’ai appelée récemment pour m’excuser», m’a-t-il dit. Soulagement: «Elle a trouvé ça très drôle»… Drôle qu’il l’appelle pour s’excuser après tant d’années, pas de l’incident lui-même qu’elle avait oublié.

Mon bonhomme croyait-il vraiment qu’une histoire aussi dérisoire allait le rattraper et nuire à son avancement? Qui n’entretient aucun souvenir d’anciennes maladresses bien plus mortifiantes ou d’actions stupides qu’on voudrait purger de sa mémoire et de celle des témoins de l’époque?

Momentum

Quoi qu’il en soit, la grande nouveauté du mouvement de dénonciation d’agressions sexuelles et de harcèlement, à Hollywood, chez nos élus et dans d’autres milieux de travail, est qu’il n’a pas perdu son momentum depuis l’automne dernier.

À plusieurs reprises, au cours des dernières années, de semblables révélations de comportements abusifs avaient fait sensation, mais étaient restées isolées ou étaient retombées dans l’oubli.

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Ou, dans le cas du procès Ghomeshi, elle s’étaient soldées par un match nul: le verdict d’acquittement était le seul possible après que les victimes se soient contredites, mais une certaine justice a été rendue en ce que la carrière médiatique de l’individu a été anéantie.

Survenant peu de temps après la grande enquête du Globe and Mail sur les plaintes classées «non fondées» par nos corps policiers, la vague #MoiAussi, qui a fait tomber Weinstein, Rozon et d’autres prédateurs qui se croyaient inatteignables, semble donc enfin avoir des conséquences positives durables.

Ce qui est arrivé à Patrick Brown montre tout de même que les pouvoirs publics et les médias doivent encore apprivoiser et baliser ce progrès.

Le chef de l’opposition conservatrice ontarienne méritait peut-être d’être largué par ses députés qu’il n’inspirait pas et par son parti qu’il gérait mal, mais pas à cause du contenu du reportage de CTV le 24 janvier sur deux jeunes femmes qu’il a croisées brièvement, il y a plusieurs années, et qui en auraient gardé un mauvais souvenir.

Un tel niveau de trivialité infantilise les accusatrices, discrédite les médias et sape le travail qui devrait mener – qui va mener malgré tout – à une plus grande sévérité, dans l’ensemble de la société, envers les vraies agressions et les comportements inacceptables.

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Premières Nations

Les Premières Nations espèrent aussi tenir un tel momentum pour leur cause avec l’affaire Colten Boushie, ce jeune homme abattu «accidentellement» en Saskatchewan par un fermier acquitté récemment par un jury blanc.

L’assassin présumé de la jeune Tina Fontaine, au Manitoba, vient lui aussi d’être acquitté, en raison de la faiblesse de la preuve. Ici, cependant, la composition du jury n’est pas en cause.

C’est l’affaire Fontaine qui avait incité le nouveau gouvernement libéral, dès son élection en 2015, à instituer l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui semble promise au même succès douteux que la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats: beaucoup de voeux pieux mais peu d’action concrète.

Les tenants et les aboutissants de la violence dans les communautés autochtones sont déjà bien connus et résistent, depuis des décennies, aux meilleures intentions des prédécesseurs de Justin Trudeau.

Et là aussi, il est légitime de souhaiter réformer notre système judiciaire sans en détruire les fondements: présomption d’innocence, fardeau de la preuve, jugement par ses pairs, etc. Jusqu’à maintenant, c’est la quadrature du cercle. S’il est nécessaire d’en discuter et d’y travailler, il serait malsain d’entretenir de faux espoirs.

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Liberté d’expression

C’est ce qu’on explique également à ceux qui demandent de l’action contre l’islamophobie, l’homophobie ou d’autres discriminations: ça ne peut pas se faire en bafouant nos libertés constitutionnelles d’opinion et d’expression.

Comme pour Ghomeshi, on peut faire tomber les plus détestables de leur piédestal – grâce, justement, à la liberté d’expression – mais on peut rarement les jeter en prison.

D’ailleurs, nos libertés d’opinion et d’expression sont elles-mêmes des causes qui ont gagné un certain momentum ces derniers mois: grâce à des champions comme l’assistante-prof Lindsay Shepherd, qui a résisté à l’inquisition orwellienne de son département d’Études en communications à l’Université Wilfrid Laurier; et grâce au prof de psychologie Jordan Peterson, de l’Université de Toronto, qui résiste aux contraintes morales et langagières débilitantes que des maniaques de la «justice sociale» veulent imposer sur les campus et dans la société.

Armes à feu

Aux États-Unis, après la récente tuerie à l’école de Parkland en Floride, ce sont les jeunes qui se mobilisent pour un meilleur contrôle des armes à feu et, cette fois, on sent que la NRA ne réussira pas à bloquer toutes les initiatives en ce sens.

Même Donald Trump a paru ébranlé. Il s’est couvert de ridicule en suggérant d’armer le personnel des écoles, mais il s’est dit ouvert à certaines restrictions élémentaires: âge, antécédents, calibres, etc. Et on sait que c’est un président que les échecs de ses prédécesseurs n’impressionnent pas: ici ça pourrait servir, surtout si les jeunes maintiennent la pression.

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Comme pour #MoiAussi pour les femmes, l’automne 2017 et l’hiver 2018 représentent peut-être un point de bascule pour d’autres groupes et d’autres causes qui ont assez attendu.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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