Daniel Poliquin: plaisir et délire d’écrire

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Publié 07/03/2006 par Paul-François Sylvestre

Après avoir publié Le Roman colonial (2000) et L’Homme de paille (1998), deux romans qui avaient des saveurs historiques et/ou politiques, voici que Daniel Poliquin nous offre une 7e création romanesque qui se loge plus à l’enseigne du picaresque, voire du plus pur plaisir et délire d’écrire. L’ouvrage s’intitule La Kermesse, l’action se déroule en grande partie à Ottawa et les protagonistes mènent une vie hors de la mesure, pour ne pas dire carrément débridée. Le lecteur et la lectrice s’amusent gaiement.

La période couverte par le roman s’étend de 1914 à 1934, soit du début de la Première guerre mondiale jusqu’à l’aube de la Seconde guerre mondiale. Le personnage principal et narrateur se prénomme Lusignan. Il affirme dès les premières pages que le folklore de son village lui a appris certaines choses, puis il ajoute: «j’ai inventé le reste du mieux que je pouvais (…) ma mémoire exagère, je sais, mais c’est la seule façon de faire vrai».

Cet homme plus vrai que nature décide de devenir tour à tour journaliste, écrivain et homme d’État. Il franchit les deux premiers échelons aisément car «le conformisme est une voie d’avenir et, de surcroît, pas fatigante du tout». Le troisième échelon reste à voir, et ce même si Lusignan se ment comme toujours et qu’il se pardonne aisément.

Traducteur au Sénat, notre protagoniste devient officier-interprète dans le Régiment d’infanterie légère de la Princesse Patricia. C’est là qu’il rencontre Essiambre d’Argenteuil, un homme qui l’envoûte et à qui il prête «le pouvoir de dissoudre toutes mes insuffisances». Lusignan devient lieutenant et amant d’Essiambre.

Revenu au Canada, il multiplie les aventures avec des femmes mais c’est toujours à d’Argenteuil qu’il pense lorsqu’il jouit seul la nuit. Il sombre dans l’alcoolisme, ne trouve pas d’emploi stable, ne peut même plus dire qui est premier ministre du Canada. «C’est agréable de ne plus savoir ce genre de chose.»

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Après avoir cherché longtemps un beau pays où il se ferait vagabond pour expier ses lâchetés, Lusignan s’exile dans son village natal. Il remplace le notaire de la façon suivante: «Je cite des articles du code, j’appelle à mon secours la jurisprudence de la Nouvelle-France, je balance des mots latins et anglais, et je confonds mes interlocuteurs en inventant des lois qui n’existeront que dans des temps plus heureux.»

Il renoue avec Concorde qui a eu quatre enfants avec quatre hommes (il a été le premier). Concorde affirme que «pour faire un enfant avec un homme, il faut que le désir me travaille comme le diable; le bon Dieu fait le reste».

Comme vous pouvez le constater, Poliquin s’adonne à une écriture délirante. Il étaie son récit de commentaires tranchants, comme cette remarque sur la fonction publique: «le mérite n’y compte pour rien et l’avancement est toujours affaire de faveur». Il ajoute souvent une touche humoristique ou légère.

À titre d’exemple, les pères capucins qui figurent dans certaines scènes se prénomment Céleste, Fidèle et Candide. Un de leurs confrères est enfin nommé missionnaire, non pas chez les Papous «qui l’auraient peut-être -crucifié comme il en rêvait dans sa jeunesse: on l’a plutôt envoyé en pays de colonisation, à Timmins (…) où l’hiver dure huit mois.»

La kermesse du titre a lieu dans les jardins de l’église Saint-Jean-Baptiste, à Ottawa, pour fêter le premier anniversaire de l’Armistice. Quiconque a vécu à Ottawa se retrouve en pays de connaissance en lisant La Kermesse. On passe de la Côte-de-sable, avec son église du Sacré-Cœur, au Flatte ou Plaines Lebreton, avec ses paroisses Saint-Jean-Baptiste (Dominicains) et Saint-François d’Assise (Capucins), surtout avec son Hôtel Couillard où Lusignan ramène ses conquêtes féminines.

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Il est aussi question du nouveau cinéma Capitol, des magasins Caplan et Robinson, de l’école séraphique des capucins et du groupe artistique Le Caveau.

Je dois avouer que j’ai parfois trouvé que mon ami Daniel étirait certaines scènes ou certains passages un peu trop à mon goût. Une dame de la haute société écrit des lettres à Essiambre d’Argenteuil et cette correspondance m’a souvent paru excessivement longue, pour ne pas dire fastidieuse.

Il en va de même pour la description des mondanités à Rideau Hall. En revanche, l’auteur sait manier le pinceau du portraitiste avec brio. En parlant de ces femmes qui fréquentent Rideau Hall, mais qui ne trouvent jamais preneurs, il les appelle «des feuilles d’automne». En parlant de l’opinion qu’une femme a de Lusignan, il écrit: «Elle qui a toujours pensé de moi pis que pendre.»

Avec La Kermesse, Daniel Poliquin fait revivre toute une société qui se transforme de la manière étonnante. Son personnage principal a l’art d’être proprement insupportable dans le bonheur… et de se surpasser dans le malheur! Le romancier est, ici, au sommet de sa forme, emporté par le pur plaisir et délire d’écrire.

Daniel Poliquin, La Kermesse, roman, Éditions du Boréal, Montréal, 2006, 332 pages.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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