Conte: La perte de l’innocence

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Publié 19/12/2006 par Gaby desGroseilliers

Conte de Noël envoyé par une lectrice, Gaby desGroseilliers.

Quand j’étais jeune, au début des années 30, dans un petit village francophone de l’Ontario, Sturgeon Falls, c’était des religieuses françaises de France qui nous enseignaient. Elles avaient apporté leurs propres coutumes de Noël avec elles.

Elles nous faisaient donc découper de petits sabots dans du carton, où on inscrivait de bonnes pensées avant de les remettre à nos parents le grand jour. C’est qu’en France on ne pendait pas son bas comme ici à Noël, mais on déposait son sabot de bois près du foyer.

Si l’enfant avait été sage, le petit Jésus, en souvenir de sa naissance, le remplissait de bonbons. Sinon, le pauvre enfant en se levant le matin, y trouvait du charbon en indiquant que le petit Jésus n’était pas content et rappelant qu’il fait chaud en enfer… Nous étions contents d’être de petits Canadiens, n’ayant rien à voir avec les sabots, et nous efforçant, du moins en décembre, d’être très sages, afin d’avoir un bas bien rempli de bonbons, de noix et surtout d’une orange, fruit exquis réservé à cette date magique.

J’avais sept ans, j’avais été sage, donc je croyais dur comme fer que Jésus viendrait me récompenser puisque c’était Lui qui donnait les cadeaux de Noël. Les soeurs le répétaient, maman aussi, donc le doute ne pouvait subsister dans ma tête d’enfant. Seulement, sans le vouloir, ce Noël-là, papa vient entacher cette certitude.

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Mon Père était vétéran et faisait partie de la Légion canadienne. Nous étions au plus fort de la grande dépression des années 30, c’est pourquoi les membres de la Légion décidèrent de faire une fête afin que tous les enfants des vétérans puissent avoir un cadeau à Noël.

Mon père, fier de ses deux filles (France qui avait quatre ans m’accompagnait) s’empressa, dans la grande salle merveilleusement décorée pour Noël, de nous présenter à une dame habillée comme la Fée des étoiles, ainsi qu’à ses autres amis.

Il y avait déjà beaucoup d’enfants d’arrivés et papa me fit signe d’aller les rejoindre. Malheureusement, tout ce beau monde ne parlait que l’anglais et je n’en comprenais que quelques mots. Ils s’étaient tous rassemblés autour d’un gigantesque arbre de Noël, aux décorations scintillantes.

Près de cette merveille, était assis un gros bonhomme habillé de rouge garni de blanc, portant une tuque et des gants même s’il faisait très chaud dans la salle. De plus, il arborait une longue barbe blanche frisée, ainsi qu’une grosse moustache. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant, car Santa Claus est arrivé grâce à Coca-Cola dans ces années-là. Il attirait les enfants près de lui, les embrassait en répétant un seul mot, trois fois de suite: «Ho! Ho! Ho!» Puis il baraguinait quelque chose que je ne comprenais pas, probablement en anglais.

France, intriguée, voulait se rapprocher de lui comme les autres enfants, mais je retenais sa main de toutes mes forces l’empêchant d’avancer. Maman répétait souvent: «n’allez pas avec des étrangers!» Et celui-ci était vraiment étrange! Je cherchai mon père du regard pour lui demander son aide, mais il avait rejoint les autres grandes personnes qui étaient à rire et à blague près d’un gros bol de punch. Que faire?

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France tirait de plus en plus fort pour aller rejoindre l’étrange bonhomme. Heureusement, la Fée des étoiles remarqua ce qui se passait et vint vers nous. Quelle joie ressentie quand elle me parla en français!
– Eh bien, darling, tu ne veux pas t’approcher pour parler à Santa Claus et lui dire ce que deux belles petites filles veulent pour Noël? C’est lui qui apporte les cadeaux tu sais, mais il faut les lui demander.

Je la regardai avec compassion; pauvre femme ignorante qui ne savait pas que c’était le petit Jésus qui donnait les cadeaux! Imaginez! Elle voulait me faire croire que c’était cet étrange bonhomme que je voyais pour la première fois qui le faisait.

Elle ne savait pas elle, que moi j’allais à l’école, pas comme France, qui était trop petite, et que là les soeurs nous enseignaient la vérité; même maman le disait. Je haussai les épaules sans répondre, maman nous ayant enseigné qu’il faut toujours être respectueux envers les grandes personnes. La dame reprit:
– Ah! Je comprends. C’est parce qu’il parle anglais. Viens, je vais lui parler pour toi.

J’avais échappé la main de France qui s’empressa d’aller avec la dame vers le bizarre personnage rouge. Je me devais de la suivre pour la protéger. La dame parla au gros bonhomme qui attira France sur ses genoux, lui donna un sac de bonbons en disant d’une voix forte: «Ho! Ho! Ho! Moi Santa Claus! Moi aime bons petits enfants! Nowel! Merry Christmas! Cadeaux for good girls!»

Il étendit la main et prit deux cadeaux dans l’arbre, me faisant signe d’approcher. France avait déjà saisi le sien quand la dame me poussa gentiment vers lui.
– Prends-le, dit-elle, tous les enfants des vétérans en ont un. J’avançai donc, pris le cadeau en remerciant en français le gros bonhomme rouge pour France et moi. La dame nous conduisit alors vers une table surchargée de gâteaux, biscuits, bonbons, fruits, breuvages; des choses qu’on ne voyait que rarement chez nous.
– Tout cela est pour vous, dit la Fée des étoiles, laissez vos manteaux et vos choses sur les chaises et allez vous amuser avec les autres. Ne mangez pas trop de choses, ajouta-t-elle en souriant, vous pourriez être malade. Car France n’y allait pas de mains mortes dans les différents plats. Mais ce n’était qu’une enfant, elle.

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La dame nous quitta pour aller rire avec les adultes et se servir de punch; France, une fois son cadeau ouvert, une petite poupée, avait ouvert le mien, une tirelire, s’occupait maintenant des friandises. Inutile de chercher à nous joindre au groupe d’enfants: quand ils s’étaient rendus compte qu’on ne parlait pas l’anglais, ils nous avait délaissées.

Je ne sais combien de temps je restai sagement assise à regarder le bonhomme rouge qui, d’après la dame, s’appelait Santa Claus et apportait des cadeaux de Noël aux enfants sages. Ça ne tenait pas debout cette histoire et allait à l’encontre de tout ce qu’on m’avait dit jusqu’à date!

De temps en temps, je jetais un coup d’oeil dans la direction de mon père; France disait qu’elle s’endormait, mais il semblait bien s’amuser en jasant avec les autres. Heureusement que la Fée des étoiles était là pour nous. Elle souffla quelque chose à l’oreille de mon père. Il regarda vers nous, déposa sa tasse de punch sur la table et vint nous trouver.
– Vous ne vous amusez pas les filles? Pourtant, c’est plein d’enfants de votre âge.
– On ne les comprend pas p’pa, et pour eux, c’est pareil, alors on reste chacun de son bord.
– Bon, je vois. Alors voici ce qu’on va faire. Je vais vous reconduire à la maison et je reviendrai seul. Ça vous va?
– Ah oui, dis-je pleine de joie, même que France n’a plus faim et s’endort.
– Bon, ramassez vos cadeaux, mettez vos manteaux, on y va.

J’étais silencieuse en chemin alors que mon père me questionna. C’est alors que je lui demandai de résoudre le dilemme: qui disait vrai à propos de Noël, la dame et son bonhomme rouge ou les soeurs à l’école?
– Les enfants anglais semblent tous croire que c’est le bonhomme rouge qui apporte les cadeaux aux enfants sages.

Papa resta songeur quelque temps puis me dit: «on arrive à la maison. Tu demanderas à ta mère; elle est bonne dans ces problèmes-là.»

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Ça m’a fait penser que c’était ce que maman disait quand elle n’était pas certaine d’une chose: «demande à ton père». Je n’avais qu’à attendre.

À notre arrivée, maman surprise, demanda: «c’est déjà fini? Ça ne valait presque pas la peine d’y aller.»
– Non, c’est que les filles s’ennuyaient, j’avais oublié qu’elles ne parlent pas l’anglais. Je retourne pour le reste de la soirée et reviendrai plus tard. Mais Gaby a quelque chose à te demander. Je connais le problème, mais pas la réponse.» Il repartit.

Maman s’occupa de dévêtir France qui en peu de temps ronflait sur le divan. C’est alors qu’elle me donna sa pleine attention. Je lui exposai le problème à savoir qui avait raison: la dame anglaise ou les soeurs et elle-même. Elle me fixa de ses yeux bleus, avant de dire:
– Tu grandis vite ma fille; tu fais face aux problèmes de la vie. Voilà. Tu me dis que les autres enfants semblaient accepter l’idée de Santa Claus pourvoyeur de cadeaux?
– Oui, mais les soeurs ne m’ont jamais dit cela.
– Ce n’est pas grave cela, dit ma mère, nous autres on sait la vérité totale. Ta dame Fée a raison aussi; qui est-ce que tu penses a donné les cadeaux à ton bonhomme rouge pour vous les remettre?
– Bien je ne sais trop…
– Voyons, pense un peu. Si le petit Jésus est le Roi de tout, c’est lui qui donne et qui reprend. Sans Lui, ton Santa Claus n’aurait pas eu de cadeaux à vous donner, non?

Oui, dans ma tête d’enfant ça avait du bon sens.

– Comme ça, le bonhomme rouge n’est que le serviteur?
– Eh oui, mais ce n’est pas tout le monde qui sait le secret. Tu comprends maintenant?
– Je pense que oui… est-ce que ça veut dire que tous les adultes ont raison?
– Pas toujours, mais au moment, oui. Le Santa Claus remplace le petit Jésus pour ceux qui ne le connaissent pas; c’est pour faire plaisir à tous les enfants, tu comprends?

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Je me dis que oui, ça avait du sens, mais que les grandes personnes aimaient à compliquer la vie. Néanmoins, je partis me coucher en paix, sachant maintenant toute la vérité.

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