Choses à savoir sur le bout des doigts

Taschen
Zöllner Frank, Léonard de Vinci. Tout l'œuvre peint, Taschen, 2017, relié, 21x15 cm, 488 pages, 240 illustrations. En couverture: le doigt de Saint Jean-Baptiste (entre 1513 et 1516, p.311).
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Publié 27/02/2006 par Martin Francoeur

C’est bien beau de savoir plein de choses sur le bout des doigts… Connaître par cœur les exceptions à la règle des pluriels en «aux», savoir la liste des verbes essentiellement pronominaux, maîtriser les règles d’accord des adjectifs de couleur… Oui, c’est bien de savoir quelque chose sur le bout des doigts, mais c’est encore mieux si on connaît nos doigts eux-mêmes!

L’origine des noms qu’on a donnés aux doigts de l’être humain est en soi assez fascinante. Par curiosité, je suis allé fouiller dans quelques dictionnaires et quelques ouvrages de référence pour apprendre certaines choses et pour en valider d’autres, que je tenais pour acquises.

Commençons par le plus petit qui, pour une fois, ne sera pas le plus négligé pour autant. On l’appelle auriculaire. Le mot est en fait un emprunt au bas latin auricularius, dérivé de auricula, qui signifie «oreille». D’abord adjectif (doigt auriculaire), le mot est devenu un nom au cours du XIXe siècle.

L’expression «doigt auriculaire» signifie littéralement «doigt que l’on peut mettre dans l’oreille», ce qui fait référence au fait qu’il s’agit du plus petit des doigts. D’ailleurs, on l’appelle beaucoup plus familièrement le «petit doigt», que l’on retrouve même dans des expressions courantes. On n’a qu’à penser à «ne pas lever le petit doigt», qui signifie «ne faire aucun effort». Ou encore à «c’est mon petit doigt qui me l’a dit» pour désigner une chose que l’on sait mais dont on veut taire l’origine.

En fait, le petit doigt n’est pas vraiment le plus négligé de la main. Dans les faits, le parent pauvre est plutôt l’annulaire ou le quatrième doigt. Contrairement à ses semblables, il ne sert pas à grand-chose… D’ailleurs son nom est dû à ce qui est en somme son unique usage…

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Le mot annulaire est d’abord entré dans la langue française comme adjectif. C’était vers le milieu du XVIe siècle. Substantivé au masculin, il désigne le «qui porte normalement un anneau». Les auteurs du Dictionnaire historique de la langue française de Robert mentionnent que «ce passage d’un détail culturel à l’anatomie souligne l’importance des coutumes sociales dans la vision de la réalité naturelle». C’est donc parce qu’il porte l’anneau, symbole du mariage, qu’on a nommé ce doigt annulaire. Connaît-on une autre fonction de ce doigt? La question reste entière!

Passons au doigt le plus grand, le plus fort, mais aussi le plus… vulgaire. Le majeur. Son nom veut tout dire. Mais sur le plan étymologique, ça s’explique. Le mot majeur est un emprunt au latin major, comparatif de magnus (grand). Avec le temps, magnus a été supplanté par grandis, mais est quand même demeuré vivant dans certains mots encore courants aujourd’hui. On n’a qu’à penser à magnat, magnitude, magnum, magnanimité, etc.

Major signifie littéralement «plus grand». Il n’y a donc aucun mystère dans la définition de majeur, notamment dans son acception qui désigne le troisième doigt, c’est-à-dire «le plus grand des doigts». Le Dictionnaire historique de la langue française nous dit que «l’emploi récent de Majeur comme nom du plus grand doigt de la main (1907) réactive une valeur physique que semble n’avoir jamais eue l’adjectif».

Du doigt le plus grand, on passe au plus utile: l’index. Le mot a conservé sa consonance latine. Il s’agit en fait d’un emprunt savant, remontant au XVIe siècle, au bas latin index, qui signifie «celui qui montre, indique, dénonce». Par spécialisation, le mot s’est appliqué au doigt indicateur, dénonciateur. On n’a qu’à imaginer les gestes pour comprendre la signification du mot et l’association qu’on fait avec le doigt qu’il désigne.

Par extension, le nom a par la suite été utilisé pour désigner une table alphabétique, placée à la fin d’un ouvrage, et contenant les termes correspondant aux sujets traités ou les noms cités. Curieusement, on cherche souvent dans un index, avec l’index. Les linguistes vous diront que cette parenté n’est certes pas un hasard…

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Enfin, le pouce. Le doigt qui n’est pas comme les autres, qui est en quelque sorte rejeté par ses quatre frères… Celui qui vit en pays éloigné, qui ne pointe pas dans la même direction, qui courbe vers l’arrière beaucoup plus que les autres doigts. En est-ce vraiment un? Le débat est ouvert, mais la plupart des ouvrages nous confirment qu’il s’agit bel et bien d’un doigt. L’arrivée en français du mot pouce est beaucoup plus complexe. L’étymologie est plus abstruse et les liens de parenté avec d’autres langues sont parfois étonnants.

On nous dit que pouce est l’aboutissement de polz, pouz et peuce, issu du latin pollicem, qui vient lui-même de pollex, pollicis, qui signifie «pouce, gros orteil», mais aussi «nœud d’un arbre».Le mot désigne le premier et le plus fort des doigts humains. Les dictionnaires nous indiquent que les extensions de sens sont nombreuses. La plus commune de-meure l’ancienne mesure, subdivision du pied, qui correspond grossièrement à la partie su-pé-rieure du pouce, comprise entre la jointure et l’extrémité de l’ongle, chez un être humain adulte.

Le mot est aussi entré dans plusieurs expressions imagées, comme «faire du pouce», «ne pas reculer d’un pouce», «donner un coup de pouce» ou encore «se tourner les pouces». Le mariage de l’anatomie et du vocabulaire nous réserve parfois d’agréables découvertes. Découvertes qu’il ne faudrait surtout pas mettre à l’index…

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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